près les tensions sur l’interdiction des herbicides ou l’intégration des Vignes Semi Larges (VSL), voici la grogne sur l’obligation d’apposer une coiffe en métal (ou en papier) sur les bouteilles de Champagne. Revendiquant 17 vignerons, le collectif Ça décoiffe en Champagne annonce ce lundi 8 avril vouloir défendre « la liberté d’utiliser ou non la coiffe » pour tous les opérateurs « utilisant légalement un autre système que la coiffe (bandelettes, agrafes, etc.) ». Soutenus par l’Association des Champagnes Bio (ACB) et la Fédération des Vignerons Indépendants de Champagne, ces membres viennent de saisir publiquement l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) de l’appellation Champagne « pour faire entendre son opposition à l’inscription de l’obligation de la coiffe au cahier des charges ».
Si depuis le 28 août 2023 et un règlement européen inattendu du 30 mai 2023, « l’apposition de la feuille revêtant l’attache de la bouteille des vins mousseux (couramment appelée "coiffe") » n’est plus obligatoire sur les vins effervescents, la filière champenoise a « décidé d’inscrire l’obligation d’apposition de la coiffe dans le cahier des charges de l’appellation » suite à un vote fin 2023 du conseil d'administration du Syndicat Général des Vignerons de Champagne (SGV) et une position similaire du Conseil Interprofessionnel du Vin de Champagne (CIVC). Une mesure consensuelle expliquait à l’époque Maxime Toubart, le président du SGV, pour qui « la coiffe fait partie de l'image de la bouteille de Champagne. C'est un signe distinctif important, nous avons décidé de ne pas la rendre facultative. » Parmi les partisans de sa conservation, on trouve Christophe Juarez, le directeur général de l’union coopérative Terroirs et Vignerons de Champagne (TEVC), jugeant que « c’est un signe extérieur d’identification de l’appellation Champagne. Ce qui n’empêche de travailler à son optimisation et à sa meilleure recyclabilité. »


Une mesure contreproductive écologiquement et économiquement pour le collectif Ça décoiffe en Champagne, qui estime qu’« une bandelette ou une agrafe sont moins générateurs de pollution » et défend « le facteur économique pour une réduction des coûts et surtout un nouveau risque de pénurie de matière première comme la Champagne l’a déjà connue il y a encore quelques mois ». Le CIVC indique dans une déclaration du 13 décembre 2023 que le surbouchage est une tradition historique champenoise, « avant l’apparition de la capsule en métal vers 1850, les bouchons et muselets des bouteilles de Champagne étaient recouverts de cire ou de goudron pour les protéger », que son impact écologique est limité comme elle est recyclable et que « la coiffe pèse seulement 0,6 % des émissions totales de gaz à effet de serre de la filière Champagne », et d’ajouter « comme le montrent les études de marché, au moment de l’achat comme de la dégustation, la présence d’une coiffe permet aux consommateurs d’associer indiscutablement une bouteille à du Champagne ».
Consultés par Vitisphere, les résultats des deux études consommateurs menées pour le CIVC en 2023 sur les marchés français, britanniques et américains par Harris Interactive (étude quantitative sur 2 000 Français) et Ipsos (focus groups France, Grande-Bretagne et États-Unis). « Pour 59 % des répondants, l’esthétique est importante au moment de choisir la bouteille » conclut Harris Interactive après avoir proposé différents packagings à des consommateurs (coiffe dorée/argentée, bandelette, rien du tout…), soulignant que « pour 59%, l’esthétique reflète la qualité du Champagne à l’intérieur. En déclaratif, la coiffe n’a pas d’influence significative sur l’intention d’achat d’une bouteille indiquée à 32€ TTC. » Pour Ipsos, la coiffe est un « distinctive category asset » car elle « permet aux consommateurs de reconnaître le produit comme étant un Champagne, alors même que les autres effervescents l’utilisent aussi ». Pour le CIVC, « la coiffe serait un élément d’identification et de reconnaissance du produit Champagne » qu’il faut maintenir.
Pas pour le collectif Ça décoiffe en Champagne, qui lance un sondage pour fédérer les avis et réflexions. « La coiffe n'est plus un élément de différenciation du champagne vis à vis des autres boissons puisque désormais quasiment toutes les boissons effervescentes apposent cette coiffe pour "faire comme du champagne" » indique le collectif, soulignant que « bien souvent les consommateurs ne savent pas, ou ne s'embêtent pas à retirer délicatement la coiffe. Elle est bien souvent déchirée et jetée. La bouteille étant servie nue. » Et « les coiffes représentent environ 3 600 tonnes de CO2 par an soit l'équivalent d'une consommation de 5 400 ménages qui se chaufferaient toute l'année à l’électricité » ajoute le collectif Ça décoiffe en Champagne. Martelant que la coiffe n'est pas propre à la Champagne et que des opérateurs utilisent des ficelles et coiffe en plastique qui ne sont pas bien différentes indique le vigneron Alexandre Lamblot, membre du collectif et se passant de coiffe, pointant également que des producteurs conséquents ont annulé des projets de se passer de coiffes par crainte d'interdiction imminente.


Dernière pierre à l’édifice de la fronde, les vignerons indiquent que « tant que l’obligation de la coiffe n’est pas validée par l’INAO [NDLA : l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, pilotant l’évolution des cahiers des charges AOC], tous les vignerons peuvent librement s’en affranchir sur tout ou partie de leur gamme de cuvées dès à présent ». À l’exception de la Grande Bretagne, appliquant encore la réglementation européenne passée, quand la coiffe était obligatoire. Et qu'il n'y avait pas de chicayas.
Ayant été récemment reçus par le SGV, des membres du collectif regrettent l'absence de débat et de possibilité de faire évoluer les positions en interne. Contacté par Vitisphere, Maxime Toubart « réfute l'idée qu’il n’y pas eu de débat. Il y en a toujours beaucoup au sein du SGV (en sections locales, en assemblée), mais à un moment, il faut trancher. Notre décision collective est d'obliger le maintien de la coiffe (sous différentes formes) ». Alors que des opposants le citent (« Une appellation qui n’évolue pas est une appellation qui se meurt »), Maxime Toubart réplique que « l’évolution ne veut pas dire non plus partir à l'extrême et prendre des positions qui peuvent faire prendre un risque comme l’arrêt d’obligation de la coiffe. »