ussitôt permis, aussitôt appliqué ! Un règlement européen rendant la coiffe de surbouchage facultative pour recouvrir les goulots de vins effervescents et mousseux dès ce 28 août, le vigneron Alexandre Lamblot (champagne Lamblot, 4 hectares en bio à Janvry dans la Marne) s’est débarrassé de la feuille métallique qui était jusque-là obligatoire sur ses goulots. Réfléchissant depuis un an à une alternative à la coiffe traditionnelle (y compris avec d’autres vignerons se creusant la tête), il a opté pour une bande de papier autocollant et prédécoupé pour recouvrir partiellement muselet, bouchon et goulot de sa production annuelle (40 000 bouteilles). Un concept développé en local, avec Antonin Aubry, le directeur artistique de l’agence CP Création (Épernay) et l’imprimeur LATA (Cernay Les Reims).
Iconoclaste, cette innovation est née d’une conviction écologique, réduire l’impact carbone sur l’habillage/l’expédition et améliorer la recyclabilité (le complexe aluminium et plastique ne l’étant pas). Ce nouvel emballage est aussi poussé par une nécessité économique, la pénurie de coiffes en aluminium a fait flambée les prix et les délais. Et cette idée a surtout été inspirée par l’initiative d’un autre jeune vigneron : Clément Piconnet (champagne Piconnet, 8,5 ha en bio à Neuville-sur-Seine dans l’Aube).
Pour commercialiser ses 1 500 bouteilles de cuvée parcellaire en 2020, Clément Piconnet a décidé, « presque sur un coup de tête en 5 minutes », de s’affranchir de la coiffe pour avoir recours à une bande de papier recyclé faute de coiffe (photos ci-dessous) et pour avoir une identité artisanale qui tranche avec le reste de sa gamme (17 000 cols, utilisant une coiffe classique). Reconnaissant ne pas avoir pensé à la réglementation à l’époque, le vigneron a reçu des retours positifs dès ses premières ventes à l’export.
Notamment d’un client italien, habitué à voir des essais originaux dans l’appellation lombarde Franciacorta. C’est finalement en Champagne que Clément Piconnet ressent le plus de crispation pour ce bandeau, la tradition d’une coiffe métallisée étant vue comme une différenciation valorisante évitant aux champagnes d’être mélangé avec les bières, cidres… Entendant cet argument, le vigneron ne le comprend pas : « je serai en tête de gondole à 8,99 € pour destocker à noël je l’entendrai, mais là entre 70 et 80 €… »


Ayant envoyé ses premières bouteilles fermées par une bande de papier en octobre, Alexandre Lamblot confirme avoir de bons retours des marchés, mais parfois des critiques de collègues champenois. « Un vigneron m’a dit une fois que ça faisait bière. Un caviste français m’a fait part de son appréhension sur les retours de ses clients. L’export semble plus ouvert d’esprit, l’emballage y étant vu comme superflu par rapport au produit » explique le vigneron.
Reconnaissant lui-même avoir été « un peu dérouté au premier abord », il est convaincu que le résultat est qualitatif dans le fond (la cohérence environnementale) et la forme (sa bandelette couvre toute la capsule pour avoir l’esprit d’une coiffe, elle est prédécoupée pour faciliter l’ouverture et avoir un rendu propre après le débouchage). « L’objectif n’est pas de choquer. Je ne vois pas en quoi cela abîme l’image de la Champagne. La coiffe était là pour protéger les bouchons contre les insectes et l’humidité, puis est rentrée dans les mœurs. Et il existe le bouchage à la ficelle : on peut montrer le bouchon en Champagne » note le vigneron, pour qui la Champagne est en train de vivre le même changement d’habitude qu'à l’arrêt des longues coiffes avec leurs collerettes traditionnelles.


Sujet de débat au sein de la filière champenoise, la question de l’obligation de coiffer les bouteilles pourrait être inscrit dans le cahier des charges de l’AOC Champagne prévenait cette rentrée le Syndicat Général des Vignerons (SGV, qui propose une alternative de coiffe en papier). Le risque de sortie de l’AOC a de quoi freiner des ardeurs… Ou pas. « Il y a toujours une petite crainte, même une appréhension. J’espère que je ne vais pas me retrouver bloqué » évoque Alexandre Lamblot, pour qui le constat reste net : écologiquement « la coiffe n’est plus dans l’air du temps » et techniquement son usage semble moins se justifier.
En pratique, le coût de cette bandelette s’approche du prix d’une étiquette et n’a rien à voir celui d’une coiffe. La pose des bandelettes se fait à la main pour Clément Piconnet et Alexandre Lamblot, qui utilisaient chacun des outils semi-automatiques pour les coiffes et ne voient finalement pas de perte de temps par rapport au passé. Alexandre Lamblot indique travailler au développement d’une machine pour automatiser le processus avec Aria Packaging (Dizy). Clément Piconnet avait un tel projet, mais le risque d’une obligation de la coiffe en AOC Champagne a démotivé son partenaire industriel.
La pose manuelle de la bande de papier demande de l'organisation pour les champagnes Piconnet.