ox populi, vox vini. Assemblée générale sous haute tension ce vendredi 7 juillet au syndicat des vins AOC de Bordeaux, réuni à Beychac-et-Caillau pour l’élection du tiers sortant des membres de son conseil d’administration. Contrairement aux habitudes, le nombre d’impétrants était supérieur à celui des postes : 28 candidatures pour 16 places. De quoi causer un inhabituel vote à bulletin secret, confortant finalement l’équipe en place, remportant 13 sièges, et blacboulant le collectif des viticulteurs bordelais, à l'origine de réunions, manifestation et pétition, qui soutenait ici les 12 candidats d’opposition. « À croire que ça ne va pas assez mal à Bordeaux pour renverser la table » grince un vigneron de l’Entre-deux-Mers. L’un de ses collègues philosophant : « quand on veut changer l’eau du bocal, on doit enlever les poissons… » Pour un autre participant viticulteur, « la démocratie a parlé et fait éclater cette baudruche de putsch ». Pour ne pas dire une tentative de jacquerie, soutien de Jacques Lurton oblige.
Finalement, seuls trois opposants sont élus (par une centaine de délégués présents pour une vingtaine de pouvoirs sur moins de 180 délégués), avec la reconduction de Michel-Éric Jacquin, vigneron à Croignon qui a interpellé le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, sur le besoin d’arrachage bordelais fin 2022 et les passages de stagiaire à membre de plein droit pour Olivier Metzinger, vigneron à Rions et membre du collectif des viticulteurs où il a rédigé une étude économique sur le déficit chronique de la production de vin en vrac à Bordeaux, et Julien Luro, vigneon à Targon, secteur dont il était déjà le responsable pour l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG). Non reconduit*, l’opposant Didier Cousiney, porte-parole du collectif, précise qu’« on ne voulait pas renverser la table, on voulait porter des idées novatrices avec des jeunes vignerons. Il y avait 12 personnes présentées indépendamment et soutenues par le collectif, avec lequel elles sympathisent. » Acceptant la défaite, le vigneron au Pian-sur-Garonne épingle « la franchise de certains gars : ils disaient être contre Pierre ou Jean, mais ils ont voté pour le système en place. Ceux qui sont en poste depuis 20 ans et n’arrivent pas à avouer leur impuissance et constater leur échec. Ils ont travaillé pour garder leurs places d’administrateurs et leurs postes dans la filière, qui doivent être confortables. »


« À la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB), au Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB)… Tous les mandats sont assis sur poste d’administrateur à l’ODG. Ce scrutin allait plus loin que les postes d’administrateurs » pointe Stéphane Gabard, le président du syndicat bordelais. Parmi les sortants réélus se trouvaient des personnalités de la filière, locale et régionale. Comme Bernard Farges, viticulteur à Mauriac et figure du vignoble français, qui a été reconduit avec le plus haut score alors qu'il était le plus exposé en tant qu'ancien président du syndicat des Bordeaux (2006-2013 puis 2016-2019), actuel vice-président du CIVB (qu’il a présidé de 2019 à 2022), président du Comité National des Interprofessions des Vins à appellation d'origine et à indication géographique (CNIV, depuis 2021), président de la Fédération Européenne des Vins d'Origine (EFOW, depuis 2016), vice-président du conseil d’administration de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV)... Si la liste n'est pas exhaustive, il est également membre du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer et de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO).
« Souvent ces élections [du tiers sortant] n’ont pas beaucoup d’enjeux, avec peu de candidats et de renouvellement » indique Stéphane Gabard. Plus tendu, ce scrutin du 7 juillet laisse inchangés les équilibres au sein du conseil d’administration des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs : avec trois administrateurs opposants. De quoi rassurer Stéphane Gabard : « on voit que les adhérents ont compris les enjeux et nos actions. Quand on représente la filière, on incarne des sujets que l’on porte et qui peuvent être impopulaires » faute d’alternative, comme c’est le cas avec le dispositif de renaturation de l’arrachage sanitaire.
Malgré une nette défaite, Didier Cousiney annonce que le « collectif est remotivé. Il va se structurer pour créer une association » et proposer ses idées « à des responsables dans l’attentisme : ils écoutent et répondent comprendre. Il n’y a pas d’anticipation. » Le vigneron en veut pour preuve le cas de domaines, dont la récolte 2023 vient d’être emportée par la deuxième vague de mildiou qui frappe la Gironde, qui voudraient revenir en arrière en réduisant/annulant leurs demandes de distillation de crise. « Il a fallu dire qu’il était inacceptable de subir des pénalités pour se désengager avant d’avoir une solution* » relève Didier Cousiney (voir encadré).
L’équipe aux commandes affirme également sa volonté d'agir, grâce au vote adoptant de nouvelles cotisations syndicales. Si les cotisations syndicales appliquées à chaque hectolitre d’AOC Bordeaux sont maintenues**, une cotisation à la surface est créée : 6 €/ha. Porté sur la cotisation au volume produit, l’ODG faisait ainsi en sorte que l’impact des pertes de cotisation par la baisse de production ne soient pas assumées par les vignerons touchés par des aléas climatiques, mais par le syndicat.


« C’était tenable quand il y avait peu d’aléas climatiques. Mais on ne peut pas utiliser les réserves pour des coups durs qui deviennent récurrents » explique Stéphane Gabard, ajoutant que la cotisation bordelaise n’avait pas été modifiée depuis 12 ans et pointait parmi les moins élevées de la région. « On savait depuis 2017 qu’il faudrait modifier la cotisation, mais on attendait des jours meilleurs » indique le président de l’ODG, qui veut mettre cette nouvelle cotisation à profit pour équilibrer les comptes et éviter la réduction des services mutualisés aux adhérents (promotion, administration…).
La prochaine assemblée générale de l’ODG Bordeaux se tiendra en février 2024 : si le projet de réhabilitation en centre œnotouristique de Planète Bordeaux est suspendu sine die, les réflexions sur la modification du cahier des charges des AOC Bordeaux devraient y être présentées. De la création de pét’nat’ à l’évolution de la sucrosité ou le profil des vins rouges légers, les débats s’annoncent déjà nourris.
* : Comme Jean-Luc Buffeteau, du secteur de Sauveterre.
** : 34 centimes d’euro pour les bordeaux rouges, blancs, rosés et clairets, 54 cents pour les Bordeaux supérieurs et les crémants
D'après les règles fixées pour la distillation 2023, "l'engagement (…) devient ferme et définitif de plein droit le lendemain du jour de la publication de la dite décision, sauf renonciation du producteur ou du négociant adressé en courrier recommandé avec accusé de réception au distillateur co-contractant au plus tard le lendemain du jour de la publication de ladite décision." Les distilleries déclarant ce 7 juillet les candidatures à la distillation reçues, les entreprises le souhaitan tont jusqu'à ce 8 juillet minuit pour renoncer sans pénalité.