menu burger
Lire la vigne en epaper Magazine
Accueil / Politique / "Pas de changement des choses sans changement des gens" pour les vins de Bordeaux
"Pas de changement des choses sans changement des gens" pour les vins de Bordeaux
Lire plus tard
Partage tweeter facebook linkedin

Jacques Lurton
"Pas de changement des choses sans changement des gens" pour les vins de Bordeaux

Dans le maelström de la crise, des propositions alternatives émergent pour piloter les vins en AOC Bordeaux. Ce qui traduit une nécessité de renouvellement pour Jacques Lurton, figure des vins de Bordeaux, aussi iconoclaste que son père, le défunt André Lurton.
Par Alexandre Abellan Le 03 juillet 2023
Lire plus tard
Partage tweeter facebook linkedin
Partisan de la liberté d’entreprendre et de penser, Jacques Lurton « ne porte pas des messages novateurs, mais révolutionnaires ». - crédit photo : Alexandre Abellan (Jacques Lurton lors de la manifestation vigneronne du 6 décembre 2022 à Bordeaux)
C
omment analysez-vous les tensions qui secouent actuellement le vignoble de Bordeaux ?

Jacques Lurton : Aujourd’hui, en tant que vigneron adhèrent au syndicat de Bordeaux et à celui de l’Entre-deux-Mers ayant travaillé plus de 35 ans dans le Nouveau Monde, j’ai une vision très différente de tout ce qui se fait actuellement à Bordeaux. Nous avons sérieusement besoin de nous renouveler et je ne suis pas le seul à la penser. Quand je parle avec mes collègues viticulteurs, il y a une grande nécessité de renouvellement. Le système est à bout, on a tout essayé et cela ne marche plus. Il y a une grande détresse dans les Bordeaux génériques mais pas seulement, malheureusement, d’autres appellation de notre région ne sont pas épargnées par cette crise sans précédent.

Ceux qui souhaitent le changement ne le voient pas sans un renouvellement des personnes qui conduisent notre politique viticole. Difficile de les contredire : comment devenir inventif, imaginatif, créateur, quand on ne l’a pas été depuis tant d’année, Quand vous prenez les équipes en place depuis 20 ans, comment par un coup de baguette magique peuvent-ils porter le changement et devenir plus innovateurs qu’ils ne l’ont été par le passé qu’ils incarnent ? On a besoin de se réinventer et de trouver une nouvelle direction, une nouvelle façon de procéder.

On est à un moment historique où il y a besoin de proposer autre chose.

 

Fin 2022 vous proposiez un impôt révolutionnaire pour financer l’arrachage (avec une participation des appellations prospères), vous portez désormais une révolution culturelle ?

Mon impôt révolutionnaire, malheureusement ça n’a pas marché. On m’a dit qu’il était impossible de financer l’arrachage par le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) que l’argent collecté par les Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) ne pouvait servir à financer l’arrachage. Cependant, cela avait déjà été fait dans un passé récent et tout d’un coup on s’aperçoit que le CIVB est capable de sortir 19 millions d’euros pour financer de l’arrachage. Il y a un double discours.

Nous ne pouvons plus compter sur l’Europe, ni sur l’ État qui nous a complètement lâché pour régler nos problématiques locales. Nous devons devenir autonomes et gestionnaire de nos forces comme de nos difficultés.  

 

Vous évoquez des vignerons portant de nouvelles propositions pour l’AOC Bordeaux, qui sont-ils ?

Je ne vais bien sûr pas vous citer des noms. Mais je rencontre beaucoup de monde dans mon secteur du canton de Branne. Le nom de mon papa, André, resonne dans beaucoup d’esprits, il a été un leader de son époque, il a su faire bouger les lignes, il n’avait peur de rien et surtout de personne.  Le combat il en avait fait un métier, à son époque quand on avait quelque chose à dire on « ouvrait sa gueule » comme il aimait à déclamer. Les gens me parlent, car ils associent le nom de mon papa au mien et ont besoin de se sentir conforté dans leurs actions d’aujourd’hui.

Tous ces viticulteurs que j’ai rencontrés sont à bout. Cependant ils ne veulent pas renoncer, ils veulent vivre de leur métier qui les passionnent. Et ils sont prêt à passer par un bouleversement si c’est la seule solution pour s’en sortir. Car l’arrachage définitif pour eux ce n’est pas une solution. Se couper un bras est possible pour mieux repartir, mais tout laisser tomber, perdre son bien le plus cher qui est la terre, sa propriété, son cadre de vie, ses voisins, sa vie de village, tout cela est impossible. Surtout avec la misère financière dans laquelle le plan d’arrachage va laisser tellement d’ente nous.

 

Quelles sont les solutions ?

Aujourd’hui, le système nous enferme et nous oblige à produire un vin dont on n’a plus besoin. Pourquoi a-t-on un surplus à Bordeaux ? Parce que l’on n’est plus capable de créer le marché, de faire envie, de s’adapter rapidement. On ne dispose pas des outils pour réguler la production en fonction du marché. On a planté une vigne, et tous les ans elle pousse et produit, ensuite on est obligé de la récolter et de vinifier un vin dont on sait très bien qu’il n’aura pas de débouché. Puis on met en place une politique de distillation et on attend que la baudruche se regonfle… Il est important de rendre le système plus flexible, plus simple aussi car nous sommes dans un millefeuille de règles et d’organismes qui se contredisent et bloquent toute solution.

Il va donc falloir repartir d’une page blanche. Garder tout ce qui est bon comme nos valeurs, nos cépages et notre typicité, cependant il est possible de faire évoluer certains de nos produits pour les rendre plus attractifs, plus actuels pour aller conquérir un marché qui nous fuit. Nous ne pourrons repartir sans un changement radical de nos façons de procéder. Quand je compare les méthodes de production de certains pays du nouveau monde, ils n’ont qu’un objectif, vendre leur vin, et tout leur système est construit pour faciliter cette tâche.

Ici nous passons notre temps à nous tirer une balle dans le pied en nous mettant des barrières qui nous enlèvent toute réactivité. C’est une des raisons principales de cette crise sévère que nous traversons. Les réunions professionnelles ne servent qu’à essayer de régler des problèmes législatifs ou des règles compliquées et aucun temps n’est consacré aux idées, au développement ou aux marchés. Nous croyons que toutes ces règles vont protéger notre consommateur et rendre notre message plus crédible. Mais le consommateur n’en a rien à faire de tout ce cheminement compliqué que nous nous imposons pour lui, il veut du bon vin tout simplement. Et quand il trouve son bonheur dans un vin chilien, ou australien il ne se pose pas plus de question.

La consommation et l’intérêt pour le vin baissent. Il y a tout un tas de facteurs, mais on s’aperçoit que l’on est au bout du bout du système.

 

Quelles sont vos idées ?

Le bordeaux générique doit se réinventer avec des idées révolutionnaires, pas de petits changements. Pour moi, un des premiers problèmes est l’association de la marque au foncier. A quoi cela sert-il qu’un château ou domaine, soit propriétaire du foncier qui sert à produire son vin ? Si le raisin est vinifié, assemblé, marqueté par lui, n’est-ce pas suffisant. Que les marques de "château" soient obligées de mettre tout leur argent dans le foncier, puis dans la production de raisin ne laisse aucune ressource pour se placer sur les marchés.

Si le raisin était libre, beaucoup de viticulteurs pourraient être des producteurs de fruit et vivre de leur métier en ayant des contrats avec des acheteurs vinificateurs qui eux seraient dégagés de cette obligation de produire leur propre raisin. Chaque AOC de Bordeaux peut ne pas être en phase avec cette idée car elle pourrait aller à l’encontre de l’image que se font les grands crus, et libre à eux de ne pas se l’appliquer, cependant pour le "Bordeaux générique" cette flexibilité permettrait à chacun de vivre de son métier et surtout donnerait tellement de souplesse commerciale aux marques "château".  Ce qui est incroyable, c’est qu’il n’y a pas besoin d’aller voir à l’autre bout du monde pour trouver un système comme celui-ci, il est déjà en place dans d’autres régions viticoles de France, tout aussi bien en Espagne ou en Italie.

Ensuite notre plus gros problème, c’est de résoudre l’utilisation de la marque Bordeaux. Cette dernière appartient à tous et ne peut être revendiquée par le syndicat majoritaire en volume, car elle entraîne une confusion des genres pour nos consommateurs. Le vin le moins valorisé de notre région porte comme origine/marque le nom qui est la propriété de tous et qui regroupe les AOC les plus prestigieuses. Il faut que les « Bordeaux génériques » trouvent une façon de se renommer. C’est primordial pour l’image générale d’un nom que le monde entier nous a envié et qui fait encore rêver tant de gens.

Puis pour devenir plus rentables et plus flexibles dans la continuité de la séparation du foncier et de la marque, nos règles de production au syndicat de Bordeaux devraient être un copier-coller de celle des vins de pays. Cela ne veut pas dire sortir des cépages qui font notre style et notre identité mais rendre le système plus souple et adaptable aux changements que nous subissons de façon toujours plus brutale depuis quelques années. Nous serions plus compétitifs vis-à-vis de ceux qui nous taillent des croupières sur les marchés avec des vins dont le consommateur se fiche par exemple de savoir s’il a été produit à 45 ou à 100 hectolitres par hectare.

Avec ces règles plus souples le bordeaux générique peut se réinventer et proposer des vins dans un style que les consommateurs vont apprécier.

 

De telles modifications vont demander des modifications importantes de réglementations nationales et communautaires…

Peut-être. Mais il ne faut pas se faire peur et aller de l’avant. Si on ne se pose pas les questions, on ne va jamais y arriver. S’il y a une vraie volonté du syndicat des vins de Bordeaux, qui mieux, que ses adhérents, peut avoir envie que ça fonctionne ? Quand je propose des idées combien de fois j’entends, "je ne crois pas que cela va être possible". Personnellement je ne crois pas à l’impossible et je suis intimement persuadé que ceux qui aujourd’hui ne veulent pas voir, le métier dont ils sont amoureux, disparaître, veulent croire qu’il y aura une possibilité de s’en sortir.

Dans les viticulteurs que je côtoie il y a un grand espoir, plein de jeunes avec des idées progressistes. C’est eux qu’il faut écouter, c’est eux qui doivent prendre les rênes et imposer leur avenir.

 

Briguez-vous un mandat pour porter ces projets ?

Je ne suis candidat à rien, c’est trop tard pour moi. J’apporte mon eau au moulin en essayant de participer, de réveiller les consciences : je veux juste être un vigneron de ma belle région de l’Entre-deux-Mers et de Bordeaux apportant ses réflexions.

 

Vous n'êtes pas encore abonné ?

Accédez à l’intégralité des articles Vitisphere - La Vigne et suivez les actualités réglementaires et commerciales.
Profitez dès maintenant de notre offre : le premier mois pour seulement 1 € !

Je m'abonne pour 1€
Partage Twitter facebook linkedin
Tous les commentaires (3)
Le dépôt de commentaire est réservé aux titulaires d'un compte.
Rejoignez notre communauté en créant votre compte.
Vous avez un compte ? Connectez vous
pg Le 15 juillet 2023 à 16:28:59
Mr Jacques Lurton était-il candidat à une élection ? Je n' ai pas l'impression. C' est regrettable. Les Lurton ont prouvé ce dont ils étaient capables. Mais ils y a plus de coups à prendre que de bénéfices à tirer de responsabilités syndicales. André Lurton en fédérant les Graves du nord , fédéraient tous les grands châteaux de l' appellation Graves . L' intérêt commercial était évident. Que les graves du sud aient été "abandonnés" n' étaient pas sont soucis. Sont but était de repositionner aux yeux de tous le très grand terroir de cette partie des Graves. Terroir peut-être quelque peu endormi... Opération réussie. Pessac-Léognan égal grands châteaux, égal grands vins. Pour ce qui est de sauver les Bordeaux , ce sera plus compliqué . Mais , je ne vois pas comment des responsables syndicaux qui ont ?uvré à l' agrandissement de l' appellation , qui n' ont pas vu le mur venir , qui veulent gérer la crise et qui veulent écrire le futur de l' appellation , pourraient être les hommes du renouveau de Bordeaux. Il faudrait m' expliquer. Mais , n' étant pas Bordelais , quelque chose doit m' échapper.... Et je ne suis pas le seul.
Signaler ce contenu comme inapproprié
le vigneron énervé Le 03 juillet 2023 à 15:53:04
Monsieur Lurton vous aurez une réponse rapide à vos propositions. Le 7 juillet, à l?assemblée générale, le syndicat des Bordeaux renouvelle un tiers des membres de son Conseil d?Administration.
Signaler ce contenu comme inapproprié
Voltaire Le 03 juillet 2023 à 13:51:39
Il faut se souvenir en 1976 le vin du midi n était plus adapté à la demande du consommateur. Un office des vins de table a été créé avec un prix de base garanti. Une politique de restructurations a été également mise en place avec arrachage primé et replantation primé avec des cépages dis ameliorateur. Cette politique de longue haleine a permis de redorer l image du midi . Le sud de la France ne faisait plus de la Bibine. Les administratifs, les politiques étaient au pied du mur et ont constitué cet office selon une démarche constructive. À ce jour nous avons des politiques qui constatent leur échec sans solution car ils ont monté depuis 30 ans des usines à gaz et un France Agrimer qui ne souhaite que de sanctionner toute initiative indépendante. Cette politique dirigiste est un échec. Tous les 20 ans le consommateur changera son goût. On a vu le boisé maintenant c est le fruité. Il faut libérer notre viticulture et laisser le viticulteur planté ce qui veut et vinifier selon son feeling. Le consommateur s y retrouvera arrêtons de le prendre pour un imbécile. Monsieur Lurton a raison il faut réformer nos institutions en supprimer beaucoup. En période de crise c est le moment de redéfinir une nouvelle politique viticole en éliminant les personnes qui ne voient que leur intérêt personnel
Signaler ce contenu comme inapproprié

vitijob.com, emploi vigne et vin
Gironde - CDD Château de La Rivière
Vaucluse - CDI PUISSANCE CAP
La lettre de la Filière
Chaque vendredi, recevez gratuitement l'essentiel de l'actualité de la planète vin.
Inscrivez-vous
Votre email professionnel est utilisé par Vitisphere et les sociétés de son groupe NGPA pour vous adresser ses newsletters et les communications de ses partenaires commerciaux. Vous pouvez vous opposer à cette communication pour nos partenaires en cliquant ici . Consultez notre politique de confidentialité pour en savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits. Notre service client est à votre disposition par mail serviceclients@ngpa.fr.
Politique
© Vitisphere 2025 -- Tout droit réservé