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"Ça suffit !" La filière vin veut distiller et arracher sans délai
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Lenteurs européennes
"Ça suffit !" La filière vin veut distiller et arracher sans délai

Distillant l’impatience plus que les vins et arrachant des soupirs plus que des vignes, les mesures d’aide au vignoble français tardent à se mettre en place, faisant monter la tension et les rumeurs dans la filière. Le point complet avec Jérôme Despey, président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer.
Par AA Le 26 mai 2023
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Pour répondre à l’urgence de la crise viticole, il ne faut plus tergiverser prévient Jérôme Despey. - crédit photo : Vitisphere (archives 2018)
L
a question taraude le vignoble : quand peut-on espérer l’ouverture de l’appel à projet pour la distillation de crise ?

 

Jérôme Despey : Avant toute chose, je prends l’initiative de demander au ministre de l’Agriculture [NDLR : Marc Fesneau] de taper du poing sur la table auprès du commissaire européen à l’Agriculture [Janusz Wojciechowski]. Il y a un conseil européen des ministres de l’Agriculture mardi prochain [mardi 30 mai à Bruxelles], il faut dire stop et demander la mise en œuvre la plus rapide possible. Les délais sont devenus insupportables : ça suffit ! Il y a beaucoup de rumeurs. Mais je le dis clairement : la distillation se fera. Il n’y a pas de remise en cause de la distillation : on est sur des actes réglementaires. Le temps réglementaire n’est pas le temps de l’urgence attendu par les viticulteurs.

Le prochain conseil spécialisé de FranceAgriMer aura lieu jeudi premier juin : il faut maintenant avancer. On va rapidement arriver aux vendanges, qui approchent. Il faut éviter la mise en tension des viticulteurs et des distilleries. Il faut des réponses les plus rapides possibles. Je demande au ministre de taper du poing sur la table, de dire que tout a été fait. Ne perdons pas plus de temps. Le débat budgétaire a été mené, une décision politique a été prise [NDLR : un engagement pour une distillation en deux phases de 80 millions d’euros chacune, avec 40 millions € issus de fonds nationaux et 40 millions € de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole, l’OCM vin, avec la possibilité d’un déblocage de 40 millions € supplémentaires issus des réserves de crise de l’Union Européenne].

Le calendrier prévisionnel de FranceAgriMer prévoyait une mise en œuvre de la première phase mi-mai pour des livraisons aux distilleries à partir de la fin mai et jusqu’à début décembre pour permettre aux distillateurs de pouvoir respecter les engagements de distillation. Les 40 millions € de l’OCM doivent être payés avant le 15 octobre, c’est un engagement européen.

 

Où est-ce que que la discussions bloque actuellement : à Bruxelles, au ministère de l’Agriculture ?

Le ministre a porté la demande de distillation à la Commission Européenne, avec une simple information pour le déblocage des crédits nationaux (40 millions € ce printemps et autant cet automne) et il faut un acte réglementaire, un acte délégué, pour utiliser les crédits OCM dans la limite européenne de 15 % des fonds nationaux (soit deux fois 40 millions €). Il y a eu beaucoup d’échanges entre la Commission et le ministère, et il y en a toujours. Maintenant, la situation a trop duré. L’acté délégué est attendu mi-mai/fin-mai : il y a toujours des demandes de compléments, de justifications. Nous n’avons toujours pas de visibilité sur la publication d’urgence de l’acte délégué (urgence demandée par la France, ce qui implique une application immédiate). Il y a urgence à ce que la Commission Européenne sorte l’acte délégué pour ne pas mettre plus en difficulté les entreprises et vignerons qui sont impatients.

 

Pour l’accès aux fonds de la réserve de crise européenne, la demande française d’une rallonge de 40 millions € semble suspendue à des discussions sur les aides aux pays européens limitrophes de l’Ukraine.

Nous sommes toujours mobilisés pour obtenir gain de cause et arriver à 200 millions €. Il y a des besoins de crédits en lien avec la guerre en Ukraine, avec la sécheresse en Espagne, avec l’influenza aviaire… Le besoin français pour la distillation a été identifié il y a longtemps. Le ministre m’a dit ne pas abandonner et avoir la volonté d’y arriver. Nous n’avons pas d’inquiétudes, il y aura deux phases de distillation : la première doit ouvrir le plus rapidement possible, la deuxième doit intervenir cet automne. Si l’on n’obtient pas maintenant ces 40 millions, l’essentiel sera de les avoir pour la deuxième phase*.

 

Les prix de distillation ont ému par leur faiblesse : 45 €/hl pour les vins de France, 65 €/hl pour les IGP et 75 €/hl pour les AOP…

Il y a eu beaucoup de discussions avec le ministère sur les prix de distillation. La réglementation oblige à être en dessous des prix de contrats et du prix de marché. On peut démontrer qu’il n’y pas d’effets d’opportunité avec la distillation. Les bassins de Rhône Provence et Centre Val de Loire bassins ont été retirés de l’aide à la distillation pour les vins de France : des contrats y ont été enregistrés en dessous de 45 €/hl (certains à 30 €/hl sur des volumes conséquents). On a retiré ces situations anormales pour ne pas être à 25 €/hl. Ces prix immoraux nous ont meurtri. Cela démontre le travail sérieux qui a été mené et l’absence de surcompensation des prix pratiqués.

 

L’Espagne et le Portugal veulent également bénéficier de l’aide à la distillation de crise : est-ce que cela peut aider ou retarder la demande française ?

L’Espagne et le Portugal se raccrocheraient à l’acte délégué demandé par la France. Nos trois pays sont sur la même ligne : nous demandons une procédure accélérée, avec des modalités simplifiées et de la flexibilité comme pour le covid. La crise est là, c’est démontré. Il de l’attentisme et beaucoup de stockage, qui pèse sur le marché avec la vendange qui arrive. Il y a de l’inquiétude dans les différents bassins de production. Comme à Bordeaux, avec de l’attente pour le plan d’arrachage négocié par les collègues bordelais.

 

Attendue ce lundi 22 mai, l’ouverture de la plateforme arrachage a été reportée début juin, potentiellement pour un lancement par le ministre de l’Agriculture en Gironde…

Il faut clôturer la demande d’arrachage portée par Bordeaux. Il faut pouvoir solder la mesure, il y a beaucoup d’inquiétude dans la campagne. Les annonces de la distillation ont été faites le 6 février et celles pour l’arrachage à Bordeaux le 1er mars. Plusieurs mois après, la mise en œuvre n’est pas effective. Ça suffit : les vignerons et entreprises attendent un calendrier qui les rassure. Nous ne pouvons pas perdre plus de temps. Maintenant il faut passer à autre chose, avancer sur le travail stratégique de la conquête de parts de marché et la segmentation, travailler les cavistes et la restauration, accompagner les investissements… Il ne faut plus que l’on ne revienne pas sans arrêt sur des mesures obtenues et qui prennent trop de temps à être mises en place. Et nous avons d’autres chantiers à mener, comme l’arrachage différé, que je n’oublie pas, ou les réflexions sur le stockage.

 

Maintenant que les risques de gelées sont passés, on entend une crainte grandissante de chais remplis avant les vendanges 2023… Est-ce que 160 à 200 millions € seront suffisants pour apurer les surstocks ?

Nous sommes fin mai, il y a encore quelques semaines avant la vendange. Ce ne serait pas responsable de supputer de ce que pourrait être une récolte. Soyons prudents et responsables. La filière avait estimé le surstock à 3 millions d’hectolitres. Le but est d’arriver à 200 millions € de distillation pour assainir ce surstock de 3 millions hl lié à une déconsommation, surtout de vins rouges, dans une situation d’inflation où les consommateurs privilégient l’alimentaire au non-alimentaire.

À nous de nous battre ensuite à l’export, d’être dynamique pour gagner des parts de marché et ne pas arriver à des situations où il n’y a pas assez d’approvisionnement pour certains segments (voir encadré). Et il faut raison garder, nous avons des bassins qui se portent bien : Alsace, Beaujolais, Bourgogne, Champagne, Cognac, Centre Val de Loire, des zones de Provence et du Languedoc… Il ne faut pas un entraînement général conjoncturel, les situations sont très hétérogènes. Il y a des éléments de perspectives, qui ne doivent pas masquer les difficultés. Il faut répondre à l'urgence de ceux en difficulté de court-termeet se fixer des stratégies de conquête à moyen et long termes.


 

* : Jérôme Despey précise qu’il y aura une seule souscription pour ces deux phases, avec des sanctions s’il n’y a pas respect de l’engagement.


+3 000 ha nécessaires pour les vins de base

Exemple de segment en croissance : les vins d’apéritif et mousseux. Pour répondre à des croissances commerciales de 20 à 30 % par an, « nous aurions besoin de l’équivalent de 3 000 hectares supplémentaires en France » déclare Franck Ribayre, le vice-président du Syndicat Français des Vins Mousseux (SFVM), dans un communiqué de la Fédération Française des Vins d’Apéritif (FFVA, dont le SFVM est un membre). Notant que « près de 60% des besoins des entreprises du secteur sont comblés par des importations, principalement en provenance d’Espagne », la FFVA plaide pour le développement de vignobles français sans indication géographique pour que les vins de France ne servent plus « de variables d’ajustement en fonction de la générosité du millésime »

Représentant 4 % du vignoble français, « les vins sans IG ont tout à fait leur place aux côtés des vins AOC et des IGP » déclare Jérôme Perchet, le président de la FFVA, pour qui « il est inconcevable, déraisonnable et irresponsable de bâtir l’avenir de notre filière sur des approvisionnements en provenance d’Espagne, pays qui traverse l’une des pires sécheresses de son histoire. […] Nos régions françaises ont la capacité de fournir une matière première de qualité pour nos vins d’apéritif. » Reste aux 30 groupes de négoce constituant la FFVA d’assurer des perspectives réellement attractives au vignoble pour les séduire. Pourquoi pas avec de la contractualisation pluriannuelle pour être résolument moderne ?


 

 

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Tous les commentaires (1)
Vigneron Le 31 mai 2023 à 09:47:11
On dépend de l'Europe, mais l'Etat français est-il encore souverain pour sauver son agriculture? Doit-on déplacer l?Élisée à Bruxelles? On a l'impression que l'Etat n'a plus de moyens, ni de plans. Même pour sauver l'incendie.
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