Cela faisait des années qu’on n’avait pas eu aussi froid et aussi longtemps ! », indique Amélie Neau, propriétaire du domaine de Nerleux, à Bellevigne-les-Châteaux. Dans ce coin du Maine-et-Loire, la température a commencé à baisser le 13 janvier pour descendre jusqu’à -3 °C, au plus bas, avant le redoux du 22 janvier.
Amélie Neau (Crédit photo DR)
Lorsque cette vague de froid est arrivée, Amélie Neau avait déjà stabilisé trois cuvées – un blanc, un rouge et un rosé – qu’elle devait mettre en bouteilles fin janvier pour une mise en vente mi-mars. « Ce sont nos premières cuvées du nouveau millésime, explique-t-elle. Fin décembre, je les ai refroidies à -1 °C pour leur stabilisation tartrique, sans ajout de crème de tartre. »
Pour ces vins-là, l’épisode de froid est donc survenu trop tard. « En revanche, pour les autres cuves, il devrait avoir fait le travail, estime la vigneronne, qui a ouvert son chai pour faire chuter la température. Je vérifierai avec des tests avant les mises. J’espère faire des économies d’énergie même si elles ne compenseront pas les hausses des matières sèches. Tout a tellement augmenté », poursuit-elle.
Revers de la médaille, pendant la vague de froid, Amélie Neau a eu des soucis pour réchauffer les trois cuvées qu’elle devait mettre en bouteilles. « J’ai voulu les monter à 15 °C pour les dégazer avant de les filtrer sur terre. Malheureusement, avec le froid, la pompe à chaleur fonctionne difficilement. Elle n’a pas suffi pour l’une des cuvées : je l’ai filtrée et ensuite réchauffée », explique-t-elle. Dix jours plus tard, à la faveur du redoux, les vins sont filtrés et réchauffés. « Ils sont prêts pour les salons », confie-t-elle le 3 février.
Plus au sud en Dordogne, Pomport connaît les mêmes frimas. Au domaine de Grange Neuve, les températures sont tombées à - 7 °C. Anthony Castaing, le propriétaire, lui non plus ne se souvient pas depuis quand il a fait si froid. « Cela a commencé vers le 10 janvier et ça se réchauffe seulement depuis hier », affirme-t-il le 20 janvier.
« Je suis en bio. Je stabilise donc chaque année mes blancs, mes rosés secs et mes blancs moelleux au froid et avec de la crème de tartre, juste avant la mise. Je les maintiens sous agitation à - 2 °C en y diffusant de l’azote pour éviter la dissolution d’oxygène puis j’attends que cela sédimente. En tout, cela me prend environ quatre jours. »
Sera-t-il dispensé de ces manipulations cette année ? Anthony Castaing l’ignore encore. « Généralement, on débute entre fin mars et début avril, et on traite les vins au froid juste avant. J’évite de procéder à des mises en hiver, d’une part pour ne pas dissoudre d’oxygène et d’autre part car cela m’obligerait à réchauffer les vins pour faciliter leur filtration. Avec cette vague de froid, c’est sûr qu’il doit y avoir du tartre au fond des cuves, mais je ne suis pas allé voir. Je verrai ça au moment des mises », indique-t-il le 3 février.
Anthony Castaing espère faire à la clé des économies. « Avec la stabilisation à froid, j’ai un pic de consommation qui alourdit fortement la note. Surtout en 2023, quand le prix de l’électricité a flambé », rappelle-t-il.
Concernant ses rouges et ses liquoreux, le temps fait son œuvre. En effet, ces vins passent deux ou trois hivers en cuve. « Cela suffit souvent à faire tomber naturellement le tartre », poursuit Anthony Castaing.
À la cave coopérative Vinovalie, c’est sûr, les vins ont déposé. « On a eu - 5 °C et des journées où le thermomètre ne dépassait pas 2 °C, détaille Cédric Monviel, le responsable du laboratoire. En préparant des assemblages de blancs, on a découvert beaucoup de tartre au fond des cuves. On l’a également remarqué dans des échantillons que nous avons préparés pour Wine Paris. Nous avons laissé des bouteilles dehors pendant deux jours car nos frigos étaient pleins. Des cristaux de tartre se sont formés au fond. »
Ici aussi on espère quelques bénéfices après la chute du mercure. « Nos premiers vins – des gamays rouges nouveaux – sont mis en bouteille début octobre pour partir à l’export, explique Cédric Monviel. On s’assure de leur parfaite stabilisation avec un passage au froid à - 2 °C avec de la crème de tartre dosée à 400 g/hl. Pour les autres vins, on utilise de la CMC, de l’acide métatartrique ou Antartika, un colloïde protecteur. Malgré cela, on a parfois des difficultés à stabiliser nos vins et nous avons recours à l’électrodialyse. Cette année, ça ne devrait pas être nécessaire. On devrait également avoir plus de facilité à clarifier nos blancs. Le millésime a été compliqué car on a eu beaucoup de pourriture. De ce fait, on a traité toutes nos cuves avec 50 à 70 g/hl de bentonite pendant la fermentation. Le froid devrait accélérer la clarification de ces vins. »
En Provence, le froid s’est engouffré jusqu’au pied de la montagne Sainte-Victoire où se situe le Domaine des Diables. « On a eu - 6 °C, mais cela n’a rien d’anormal : en 2012, on a eu - 20 °C ! », indique Guillaume Philip, le propriétaire. Comme bien d’autres chais de sa région, le sien est isolé, surtout contre les chaleurs estivales et les grandes amplitudes de températures. Le froid n’y est donc pas entré. De plus, tous les vins avaient déjà été stabilisés… au froid, lorsque le mercure a plongé. « Le froid ne nous impacte pas au chai, en revanche, ça fait du bien à la vigne ! », assure Guillaume Philip.