ouvelle année noire dans le Jura. Comme en 2017, 2019, et 2021, l’espoir d’une bonne récolte s’est envolé dès les gelées d’avril. Dans la pluie et le froid, les vignerons ont ensuite vu les inflorescences tomber, vriller, couler. « Ils ont été très courageux face à la pression inédite de mildiou en faisant le maximum pour sauver le peu de raisins qu’il leur restait et préserver le feuillage pour préparer 2025 », salue Gaël Delorme, technicien viticole de la Société de Viticulture du Jura (SVJ) et de la Chambre d’Agriculture.
Les vendanges ont démarré autour du 9 septembre avec deux semaines de retard sur 2023 et ont duré une vingtaine de jours. Les raisins sont rentrés dans un bon état sanitaire mais les rendements sont, comme prévu, catastrophiques. « Ils sont compris entre 15 et 20 hl/ha vers Arbois, 10 et 15 hl/ha vers Lons-le-Saunier, et atteignent difficilement les 5 hl/ha dans le sud du Revermont », liste Jean Lalarme, responsable du laboratoire Oenojura. Les cépages poulsard et trousseau n’ont presque rien donné. Heureusement pour les vignerons bien éprouvés, le millésime est plus facile dans les caves que dans les vignes.
« 80 % des jus ont dû être complémentés en azote à l’encuvage mais ensuite les fermentations se sont très bien déroulées. 98 % d’entre elles sont terminées », rapporte Antoine Zbyrko, responsable du service œnologie au laboratoire départemental du Jura. « Quelques fermentations en levures indigènes ont mis un peu de temps à démarrer après le lessivage de la flore du raisin par la pluie et à se terminer du fait de la fraîcheur dans les chais, mais aucune ne s’est arrêtée et nous n’avons pas eu de souci de piqûres lactiques comme les deux dernières années », détaille Jean Lalarme.


Le millésime est marqué par de petits degrés. « Ils sont plus proches des 12 % que des 14 % de 2023 et plusieurs cuves ont été chaptalisées », indique Antoine Zbyrko. Il se caractérise également par une belle acidité. « L’absence de période caniculaire durant l’été a empêché l’acide malique de se dégrader. En fin de fermentation, certains vins en contiennent 4,5 g/L », précise l’œnologue. « Compte tenu des petits volumes, il y aura peu de savagnin ouillé cette année mais l’acidité naturelle va donner de jolis côtes-du-jura tradition et vins jaunes », enchaîne Jean Lalarme. En rouge, les œnologues s’attendent à des vins sans trop de matière mais frais et très gourmands, sur le fruit. Enchantés par ce qu’ils dégustent, « des vins classiques du Jura », ils vont tout de même surveiller l’évolution des profils après les fermentations malolactiques qui peinent à démarrer cette année. « En blanc rien n’a bougé dans les cuves non ensemencées, et elles commencent tout juste sur rouge alors qu’elles se faisaient beaucoup sous marc ces derniers temps », rapporte Antoine Zbyrko. Le développement des bactéries lactiques est inhibé par les teneurs en acide malique, les pH bas, autour de 3,2-3,3 en blanc et 3,5 en rouge, et la baisse des températures.
Inquiétudes sur l'avenir des exploitations
Ces facteurs limitent aussi le risque d’autres contaminations microbiennes. « Les vignerons vont avoir moins de mal à tenir leur approche « nature » et à limiter les intrants que les années passées », se réjouit Jean Lalarme. Jusqu’à présent, les œnologues n’ont pas été confrontés aux Brettanomyces. « Mais nous allons y rester vigilants, comme aux goûts de souris et aux montées d’acidité volatile sur vins finis en recrudescence en 2022 et 2023 que je soupçonne d’être liées à la présence de la bactérie Lactobacillus hilgardii », prévient Jean Lalarme, qui, bien que concentré sur le bon déroulé des vinifications, ne peut s’empêcher de s’inquiéter pour l’avenir des exploitations. « Même s’ils ont la chance de pouvoir lisser leurs stocks sur 6 ans, les vignerons ont vraiment besoin d’une meilleure année 2025 », termine Antoine Zbyrko.