la matinée technique des œnologues de Gaillac, le 25 avril dernier, Thomas Beauvillain est venu présenter sa méthode innovante. Depuis plus de trois ans, cet œnologue-conseil de Cahors propose de débourber les moûts grâce à son matériel breveté et commercialisé : une presse à rouleaux et un séparateur. Pourtant, à voir l’intérêt du public, sa méthode semble encore méconnue et peine à se vendre malgré des essais très concluants.
«Mon procédé consiste, en rouge ou en blanc de macération, à écraser les raisins éraflés à leur arrivée au chai grâce à une presse à rouleaux, explique Thomas Beauvillain. Ensuite, une pompe à marc ou une sauterelle achemine la vendange en haut d’une cuve où un séparateur sépare le jus qui tombe dans une cuve de débourbage, du marc qui part dans une autre cuve. Les jus sont débourbés rapidement et réintégrés au marc pour une cuvaison courte ou classique.» À la clé, Thomas Beauvillain promet des vins plus fruités et d’une finesse aromatique incomparable.
Promesse tenue chez Franck Noguiez, gérant du Château Suau, à Capian, dans l’Entre-deux-Mers, qui a réalisé deux essais. En 2021, il fait le test sur 80hl de cabernet franc et en 2022, sur 160hl de cabernet franc et de cabernet sauvignon. «Nos 60ha sont en bio et vendangés à la machine, sauf pour les liquoreux. Nous ne faisons pas de tri. J’avais déjà tenté de faire des saignées de façon à décanter les moûts sans matériel, mais ça fonctionne beaucoup moins bien car le marc a tendance à retenir les bourbes.»
Au Château Suau, les moûts sont flottés et réincorporés directement sur le marc pour une cuvaison de trois à quatre semaines. «Nous ne faisons quasiment pas de pigeages ni de remontages afin de ne pas extraire.» Sur les deux années, Franck Noguiez obtient les mêmes résultats. «Par rapport aux témoins, on a une netteté du fruité des vins, on élimine le masque végétal des cabernets et on a aussi davantage de longueur en bouche, détaille-t-il. Je constate aussi une acidité volatile plus basse de 0,1point sur le vin débourbé avec la méthode Beauvillain. On a plus de vins de goutte que de vins de presse et ces derniers sont aussi plus faciles à assembler, avec moins de végétal.» Convaincu par la méthode, il regrette de ne pas pouvoir acheter le matériel. «Malgré le gain qualitatif, c’est difficile de l’amortir et de le valoriser», observe-t-il.
Même son de cloche chez Philippe Romain, à Cahors. Le propriétaire du domaine Serre de Bovila est convaincu par cette méthode mais sa situation économique ne lui permet pas d’investir. En 2022, sur une parcelle de 5ha, il vinifie deux cuves de 80hl avec cette méthode. «Je souhaitais répondre à la demande de la clientèle et faire un vin de malbec moderne, plus fruité et plus rond», raconte-t-il.
«Le matériel est facile à mettre en œuvre. Chez nous, pour éviter d’avoir de trame tanique, on a débourbé les jus et on les a rajoutés sur les pellicules pour une cuvaison de quatre à cinq jours.» En guise de témoin, il vinifie deux autres cuves de 80hl de malbec avec quatre à cinq jours de macération également, «afin de voir si l’on arrive à obtenir la même finesse aromatique». Le résultat ne se fait pas attendre.
«À l’aveugle, c’était flagrant. Les vins de la méthode Beauvillain sont vraiment sortis du lot, avec plus de rondeur, de fruité, et une réelle différence de qualité. Aujourd’hui, le vin se tient encore très bien.» Philippe Romain lui a même dédié une cuvée à part entière : La Conquista. «J’ai fait environ 8 000 bouteilles, ça a très bien fonctionné.»
Franck Noguiez et Philippe Romain espèrent tous deux refaire des essais en 2024. Le premier sur un plus gros volume afin d’en faire une cuvée particulière ; le second sur du cabernet franc en espérant gagner en rondeur et masquer le côté végétal de ce cépage.
De son côté, Thierry Lezin, maître de chai au Château Haut-Simard, à Saint-Émilion, réfléchit à acheter uniquement le séparateur à jus que l’on place au sommet des cuves. «On foule nos raisins, explique-t-il. On se dit que c’est suffisant pour séparer les jus des peaux, même si l’on n’arrive pas à extraire autant de jus. Thomas Beauvillain ne nous garantit pas le même résultat si on n’utilise pas sa presse à rouleaux mais acheter l’ensemble du matériel impliquerait des aménagements supplémentaires dans notre cave. D’autant que nous avons déjà un tribaie qui élimine beaucoup de lies.»
En 2022, il vinifie trois cuves de merlot de 180hl d’une même parcelle : la première, vinifiée avec la méthode Beauvillain, qui connaît trois semaines de cuvaison, la deuxième, dont il débourbe les jus de benne et les jus de cuve sans le matériel, et une cuve témoin sans débourbage. «Entre la deuxième cuve et la cuve témoin, je n’ai presque pas vu de différences, rapporte Thierry Lezin. En revanche, les dégustations des vins issus de la méthode Beauvillain n’étaient pas concluantes au début. Finalement, ce sont celles qui sont sorties du lot aux deux dernières dégustations de novembre 2023 !»
«Les vins sont beaucoup plus colorés et avec des tanins plus durs, ce qui est intéressant pour les vins de garde. En revanche, cette méthode nécessite de revoir l’itinéraire technique. Dès qu’on presse, on commence à extraire, on peut donc imaginer des cuvaisons moins longues. Chez nous, les vendanges durent un mois et on doit gérer les remontages et des délestages tout en rentrant de la vendange. Cela pourrait permettre d’économiser des remontages et de la cuverie.» Et si la méthode Beauvillain, en plus d’un gain qualitatif, permettait de gagner en confort de travail ?