uverte ce mercredi 6 mars, l’offre à bas prix de la foire aux vins de printemps 2024 des 1 600 magasins de Lidl ne passe pas pour les vignerons de Bordeaux. Dans l’Entre-deux-Mers, le collectif Viti 33 annonce bloquer ce matin, dès cinq heures, la plateforme de Cestas, tandis que la section de Sainte-Foy des Jeunes Agriculteurs de Gironde prévoit trois visites en magasins dès 14 heures (à Sainte-foy, Castillon et Libourne). Dans leur viseur, les offres à prix cassé de cette foire aux vins. Notamment le premier prix mis en avant : 1,89 euro la bouteille de Bordeaux "terres légendaires" avec l’achat d’une caisse de 6 cols (millésime 2022, médaille d’or Gilbert & Gaillard).
Alors que le prospectus défend « les vins de Bordeaux, une région viticole emblématique en France, incarnent le patrimoine et l’art raffiné de la viticulture, fusionnant traditions et techniques modernes », ce sont surtout les très petits prix qui sont légion dans l’offre de Lidl avec des offres 2+1 ou 4+2 ou 5+1. Comme les 2,49 € de la bouteille de Bordeaux Supérieur "château Roquecave" pour 6 cols (millésime 2021), les 2,49 € de la "croix de Mandelotte" (Bordeaux blanc 2023), les 2,50 € du "château du Colombier" (Bordeaux 2021 médaille d’or du Concours Bordeaux 2022), 2,91 € le "vieux château Grenet" (AOP Côtes de Bourg 2021 labélisé HVE et médaillé d’or du concous Féminalise)…


Si d’autres régions affichent de bas prix (des côtes-du-Rhône au Languedoc en passant par l’Alsace*), « Bordeaux est le moins cher du catalogue. Cela montre notre image totalement dégradée. Ce sont des prix cassés qui ne veulent rien dire » s’emporte Didier Cousiney, le porte-parole du Collectif Viti 33, qui note qu’à « 1,89 € TTC la bouteille, il doit y avoir 60 à 70 centimes de vin dans la bouteille [NDLA : soit 80 à 93 €/hl ou 720 à 837 € le tonneau]. Doubler ce prix serait jouable pour les clients. À 3 € la bouteille ils s’y retrouvent… »
Après avoir bloqué la centrale de Système U (et le négoce des Grands Chais de France), le mouvement vigneron veut dénoncer des « prix indécents qui ne permettent pas de vivre. C’est la course à l’échalote de la déflation et le négoce ne joue pas le jeu. Quand on a faim et qu’il faut payer les traites, on vend à n’importe quel prix » rapporte Didier Cousiney. Ayant échangé ce lundi 5 mars avec la direction de Lidl, le « retraité actif » espère pouvoir organiser prochainement une rencontre avec les centrales d’achat et le négoce : « ce serait déjà une avancée ».
Se positionnant en complément de l’action du collectif Viti 33, l’opération de stickage des bouteilles dans les magasins Lidl par les Jeunes Agriculteurs doit aussi permettre d’échanger avec des consommateurs. « Nous allons leur expliquer que quand ils achètent une bouteille à 1,89 €, ils tuent des vignerons » pose Théo Hernandez, le référent JA 33 de Sainte-Foy. Appelant les clients à choisir de payer un peu plus cher la bouteille pour « permettre l’évolution des appellations », le vigneron de la rive droite prévient que « sinon la région sera rapidement en friche : un vigneron représente cinq emplois. En ne rémunérant pas le vignoble, on touche tout l’écosystème. »
Un message apporté aux consommateurs que Lidl espère justement nombreux avec ces offres à prix cassés. « Il risque d’y avoir des bouchons dans les rayons » annonçait le communiqué de presse de la foire aux vins, revendiquant une opération commerciale « axée sur les petits prix, mettant en vedette des vins de qualité accessibles, parfaitement adaptés aux plus petits budgets » : « un événement à ne pas manquer pour constituer sa cave à petits prix ».


Alors que le débat sur le prix plancher est ouvert, avec la perspective d’une loi Egalim 4, le collectif Viti 33 appelle ses acheteurs à appliquer le cadre actuel. « Dans Le monde d’aujourd’hui c’est à nous les producteurs porteurs des stocks de notre filière à proposer le prix. Tout le monde ne l’a pas encore compris » regrette Renaud Jean, membre du collectif Viti 33, faisant référence à la récente condamnation de deux négociants pour prix abusivement bas et à la case rajoutée par l’interprofession dans ses contrats d’achat de vin en vrac. « Travaillons vite à la création de l’Organisation de Producteurs (OP), seul lieu où le prix minimum garanti peut être discuté » estime le vigneron, rejetant au passage le seuil des 1 000 € le tonneau évoqué depuis un mois, qu’il présente comme un « vieux relent d’un très très vieux monde. Car ce chiffre n’a que l’intérêt d’être rond est décalé. Il y a 15 ans, il représentait déjà un symbole vide de sens alors aujourd’hui ? Le symbole de ceux qui regardent dans le rétroviseur alors qu’il faudrait être prescripteur et innovant. »
« Nous ne sommes pas là par plaisir. Nous serions mieux dans nos vignes à tailler ou dans nos chais à bichonner nos vins qu’à faire les cons sur les ronds-points » souligne Didier Cousiney. Les manifestations vigneronnes sont en effet la conséquence de drames économiques, mais aussi humains. Alors que le tabou du suicide reste fort dans le monde viticole, Théo Hernandez appelle les vignerons en difficulté à parler entre eux : « quand ça ne marche pas, on se dit que l’on est mauvais gestionnaire. Le groupe permet de discuter et de comprendre que les difficultés sont conjoncturelles. Ça remet la gniaque et permet de dormir 2 à 3 heures de plus la nuit... »
* : Avec les offres, le catalogue affiche 1,89 € la bouteille des "Cercles des vignerons" en IGP Bouches du Rhône (millésime 2023 labelisé HVE), 1,99 € l’AOP Côtes du Rhône vieilles vignes (2022 médaille d’or Gilbert & Gaillard), 1,99 € le "Clostre Brunel" AOP Saint Chinian (2022) et 2,99 € "Camille Meyer" AOP Alsace (riesling 2022 HVE).
La manifestation devant la centrale logistique aura réuni 60 manifestants pour 15 tracteurs selon la préfecture de Gironde.