rainte de bordereaux borderline à Bordeaux depuis le coup de tonnerre du jeudi 22 février avec le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux. La juridiction condamnant sur le principe d’Egalim les négoces Cordier et Ginestet à 350 000 euros de dommages et intérêts pour « avoir fait pratiquer » au vigneron Rémi Lacombe « des prix abusivement bas » sur 10 transactions en 2021 et 2022. Les parties ayant un mois pour faire appel à compter de la date de signification du jugement (il n’y a pas d’appel officialisé à date*), il n’existe pas actuellement de jurisprudence Lacombe à proprement parler. En revanche, ce coup de théâtre judicaire sert de coup de semonce juridique aux transactions en vrac de la place de Bordeaux.
Si l’interprofession semble avoir anticipé une fragilité sur l’obligation de proposition initiale de contrat par le producteur en modifiant les contrats d’achat-vente (voir encadré), « la problématique finalement soulevée par ce jugement, c’est le non-respect de l’interdiction de vente à perte. C’est une première. Ça peut changer la façon de faire de tout le monde (si ça devient définitif) » pointe un courtier girondin, pour qui la place de Bordeaux se trouve plongée en pleine terre inconnue : « les experts juridiques des négociants et courtiers planchent dessus... Pour l’instant, il n’y a pas d’éléments précis et fiable. Tout ça est en réflexion chez tout le monde. C’est le flou artistique. » Résultat de cette incertitude, « il ne se fait plus beaucoup d’affaires, alors que des propriétaires sont très vendeurs (par difficulté de trésorerie). Nous sommes tous dans l’expectative, accentuée par les vacances scolaires » (samedi 17 février au dimanche 3 mars pour Bordeaux).


« C’était le Far West. Mais là ça devient n’importe quoi. Toutes les affaires sont bloquées » commente un négociant spécialisé dans le vin en vrac qui note les réflexions de certains pour se doter de mentions protectrices individuelles. « C’est une catastrophe… Tout est fait dans la précipitation, personne ne réfléchit… C’est un enfer ! Rémi Lacombe a mis un coup de pied dans la fourmilière et depuis ça grouille… » commente un spécialiste du courtage de campagne. « Ça part vraiment en cacahuète, la filière n’a jamais été autant divisée » regrette un représentant syndical de l’Entre-deux-Mers, pointant que « la solidarité et l’effort collectif ne vont pas tarder à sortir des dictionnaires de la langue française. Quel gâchis ! »
« Déjà que les affaires n’étaient pas hyper dynamiques… Ça perturbe encore plus » reprend le courtier précédemment cité, qui note qu’« indépendamment des prix, il n’y a pas de volume de transaction comme il n’y pas de commandes des marchés. Ils semblent aussi à l’arrêt. » À l’arrêt de tribunal s’ajoute l’arrêt commercial.
* : S’il est déposé, le pourvoi en appel ne suspendra pas automatiquement l’exécution des peines. Il faudra pour cela que les appelants « obtiennent l’arrêt de l’exécution provisoire par le premier président de la Cour d’appel (ce qui est une procédure séparée) » indique maître Louis Lacamp, avocat de Rémi Lacombe.
Utilisant un dispositif type proposé par le Comité National des Interprofessions de Vins à Appellation d'Origine et à Indication Géographique (CNIV), le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) semble avoir identifié une fragilité dans la non-application systématique de la loi Egalim et de sa marche en avant des prix, de l’amont à l’aval, avec le principe de première proposition de prix par le producteur et non l'acheteur. D’où l’ajout depuis quelques mois d’une case à cocher : « contrat précédé d'une proposition du producteur ». En cas de réponse « ☐ non », il est indiqué que « le contrat a été négocié dans le respect de la liberté contractuelle du producteur, ce dernier ayant pu faire valoir ses propositions préalablement à la signature du contrat et n'ayant pas souhaité effectuer une proposition. »
« Cette phrase est apparue dans l’été 2023 je crois (on ne voit pas beaucoup de contrats passer…) » se souvient un syndicaliste de la rive droite, pour qui « cela donne l’impression de couvrir le négoce dans la contrainte du viticulteur d’accepter le prix proposé… Producteur et négoce sont libres de signer un contrat d’achat/vente, mais quand on a la corde au cou, c’est plus difficile de dire non... »
Contacté, le CIVB n’a pas donné suite à date de publication.