ux dernières vendanges, il semblait être LA solution pour bloquer les fermentations malolactiques des vins blancs et rosés, tout en baissant les doses de SO2. Marc Thibaut, maître de chai à la Cave coopérative de Névian, dans l’Aude, y a vu une véritable opportunité. « Les négociants nous demandent des vins sans malo avec moins de 80 mg/l de SO2 », confie-t-il. Alors quand Pierre Dubrion, consultant œnologue à l’ICV, lui a parlé de l’acide fumarique, il n’a pas hésité à faire un essai.
« L’année dernière, nous avons vinifié 15 000 hl de blancs et 12 000 hl de rosé, détaille Marc Thibaut. J’ai ajouté de l’acide fumarique dans deux cuves, une de 200 hl de grenache rosé et une de 1 000 hl de blanc, sauvignon et chardonnay, où nous suspections un départ de fermentation malolactique spontanée en fin de FA. Pour stopper la malo, j’ai ajouté 30 g/hl d’acide fumarique à la cuve de rosé. La malo est malgré tout partie. Le lendemain, j’ai à nouveau ajouté 30 g/hl d’acide fumarique, et la malo s’est arrêtée. C’est pourquoi j’ai ensuite traité la cuve de blanc directement à 60 g/hl, la dose maximale autorisée par la réglementation, pour être sûr que ce soit efficace. »
À Verdelais, en Gironde, deux domaines se sont également tournés vers l’acide fumarique pour bloquer leurs malos, sur les conseils de leur œnologue Marie-Laurence Porte, du laboratoire Enosens. Guillaume Larrieu, maître de chai au Château Charreau, explique : « Nous vinifions nos sauvignons blancs et nos rosés de cabernet-sauvignon sans malo. Pour apporter de la rondeur et de la complexité aromatique, nous les laissons sur lies, dans des cuves de 80 hl, pendant deux mois. L’année dernière, les moûts avaient des pH élevés, de l’ordre de 3,4 et une acidité totale faible de 3,6 g/l. Le SO2 ajouté au pressurage était insuffisant pour bloquer les malos. On a donc essayé l’acide fumarique. 30 g/hl ajoutés en fin de fermentation alcoolique ont suffi à empêcher les FML jusqu’à la mise en bouteille. »
À quelques kilomètres de là, au Château Dufilhot, Jacques Dejean, le maître de chai, a suivi le même protocole pour ses rosés de cabernet-sauvignon. Mais il a tout de même fini par sulfiter. « L’acide fumarique n’est qu’un intrant transitoire pendant la période de bâtonnage, précise-t-il. Pour éviter que la malo ne se fasse en bouteille, il faut stabiliser les vins à 25-30 mg/l de SO2 libre avant la mise. » À la Cave coopérative de Névian, Marc Thibaut se méfie également des départs de malo en bouteille. Pour l’éviter, il centrifuge ses vins et les filtre de façon stérile avant le tirage.
Selon Daniel Granès, le directeur scientifique de l’ICV, le principal défaut de l’acide fumarique est sa faible solubilité : 5 g/l dans de l’eau à 20 °C. C’est peu comparé à l’acide tartrique dont la solubilité est de 1 400 g/l à 20 °C. Alors chacun a sa technique pour l’incorporer au vin. Ainsi, à la Cave coopérative de Névian, Marc Thibaut l’ajoute au cours d’un remontage. « Je le réhydrate dans 50 fois son poids en vin puis je l’incorpore via un VinPilot Venturi pour bien homogénéiser la préparation. »
Au Château Dufilhot, Jacques Dejean incorpore, lui, l’acide fumarique par aspiration à l’aide d’un petit tuyau lors d’un bâtonnage. Au Château Charreau, Guillaume Larrieu profite lui aussi du bâtonnage. « Je dissous le produit dans quelques litres de vin à l’aide d’un fouet, je l’incorpore par le haut de la cuve, puis je brasse à l’aide d’un chapeau chinois fixé sur un manche pour bien homogénéiser », détaille-t-il.
Au vu de ces premiers résultats, l’acide fumarique apparaît comme une alternative ponctuelle au SO2 pour stopper ou inhiber les malos, plutôt qu’un véritable remplaçant. Cette année, à Verdelais, les deux maîtres de chai ne prévoient pas d’en utiliser si l’acidité et les pH des vins sont satisfaisants et si les quantités de SO2 apportées au pressurage suffisent. Même son de cloche du côté de la Cave coopérative de Névian. « Si aucune cuve ne part en FML spontanée, nous n’aurons pas besoin d’acide fumarique », assure Marc Thibaut. Le SO2 n’est pas près de perdre sa place.
Les propriétés acidifiantes de l’acide fumarique sont en cours d’évaluation à l’IFV. Philippe Cottereau et François Davaux, ingénieurs œnologues ont mené une étude l’an dernier sur des moûts de Négrette et de Grenache noir. « Nous avons ajouté 1,2 g/L d’acide fumarique au tiers de la fermentation alcoolique comme cela se fait habituellement avec de l’acide malique ou de l’acide tartrique, à des doses équivalentes, indique Philippe Cottereau. L’idée était de voir si l’on peut combiner les effets inhibiteur de la fermentation malolactique et acidifiant de l’acide fumarique. Les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes. L’ajout de l’acide fumarique n’a eu que très peu d’effet sur le pH du vin, son intensité colorante et son profil aromatique. » Philippe Cottereau précise que les levures ont transformé en acide malique ou consommé une partie de cet acide, la quantité restante étant insuffisante pour inhiber les bactéries. D’autres essais devraient avoir lieu où l’acide fumarique sera incorporé sur moût avant FA