ouac pour le commissaire magret. S’intéressant exclusivement à la filière vin, le dernier dossier du Canard Enchaîné (124 pages pour 6 € en kiosque) égratigne les investissements des milliardaires dans le vignoble comme les nouvelles tendances de consommation. Aussi cynique que vinique, sa palme s’empêtre pourtant dans quelques imprécisions regrettables. Exemple dans l’article « un arrière-goût de scandale » qui veut épingler « la main de plus en plus lourde sur les produits chimiques » des vignerons « pour bichonner leur production à haute valeur ajoutée » en rapportant qu’« une vigne conventionnelle reçoit en moyenne 20 traitements dans l'année, un chiffre en hausse ». Au-delà de la justesse du chiffre (les dernières données ministérielles évoquant 18 traitements en 2019) une telle augmentation des fréquences de traitements en conventionnel n’est pas le signe d’une volonté de pollution : au contraire… On peut y voir la réduction des matières actives agressives (par la réglementation et l’évolution des pratiques) et le développement d’alternatives (biostimulants, biocontrôles, etc.). L'utilisation de produits agréés en bio amenant globalement à plus de traitements (3 à 5 en plus pour les fongicides, produits de contact obligent, la pluie les lessivant).
L’article poursuit avec une statistique aussi massue que non-sourcée : le vignoble « représente à peine 3 % de la surface agricole, absorbe à elle seule 20 % des pesticides consommés en France ». Une statistique qui est reprise depuis des années, sans que son fondement puisse être avéré. Si le ministère de l’Agriculture indique ne pas pouvoir chiffrer le tonnage de l’utilisation viticole des pesticides, la seule source officielle que l’on puisse avoir pour de telles données remonte à un rapport sénatorial de 2012 (où il était question de 3,3 % de la SAU pour 14,4 % des dépenses de pesticides, à partir de calculs de l’INRA). Pas de quoi cancaner…
Rapportant des mesures de résidus de pesticides dans les vins, le Canard Enchaîné cite le biologiste Gilles-Eric Séralini (université de Caen) pour juger que « ces doses que l'on appelle "résiduelles" suffiraient à rendre de l'eau impropre à la consommation ». La consommation de vin en volume n’étant pas celle d’eau, le risque sanitaire devrait cependant être différent entre les deux boissons. La question de l’absence de Limite Maximale de Résidus (LMR) pour les vins (alors qu’il existe une LMR pour les raisins de cuve) aurait sans doute mérité un éclaircissement. Mais le palmipède relève une « conséquence, expérimentée par tous les amateurs de vin : les produits chimiques influent sur le goût », ajoutant que « les fongicides (pour prévenir le mildiou, notamment) tuent les levures naturelles à l'origine d'arômes complexes ». Mais la recherche œnologique a démontré que le concept de levure de terroir est un mythe, la présence au vignoble, bio ou conventionnel, de levures Saccharomyces cerevisiae étant anecdotique et sans lien avec les souches s’imposant lors de la fermentation alcoolique en chai. Les difficultés fermentaires seraient plutôt liées aux effets du changement climatique, avec des concentrations de sucre croissantes.


Ce dossier du Canard Enchaîné relance la riche semaine médiatique du label Haute Valeur Environnementale (HVE). Dans la ligne des récentes critiques du journaliste Hugo Clément, l’article « le logo gogo » estime qu’« un peu comme le Canada Dry, qui a la couleur du whisky mais qui n'en est pas, un produit HVE n'est pas bio ». Reprenant l’argumentaire des associations opposées à la HVE (et l’attaquant devant le Conseil d’État), le Canard Enchaîné ajoute dans son article que « le collectif reproche à la HVE de permettre l'utilisation de produits phytosanitaires, pas très verts pour l'environnement et la santé des consommateurs. » HVE ne serait donc acceptable que s'il était bio. Mais il semble qu’il existe un embrouillamini sur le sujet des phytos et de la bio dans la rédaction du palmipède, l’édito d’Erik Emptaz indiquant pour ce dossier que « les vins bio et nature […] font moins appel à la chimie (mais un peu quand même) que les classiques ». De quoi se prendre les pieds palmés dans le tapis, alors que l'interdiction d'usage de produits chimiques est la base philosophie de la viticulture bio.
Les canards, ça ose tout, et pour les vins, c’est même à ça qu’on les méconnait…