es vins du Rhône veulent voir le verre de rouge à moitié plein. Après une année 2022 commercialement « contrastée » avec un recul de 6 % des volumes vendus (à 2,47 millions d’hectolitres), les AOC rhodaniennes sont à plusieurs vitesses : ainsi les « crus du Rhône : ne connaissent pas la crise (+4 %), les côtes du Rhône Villages avec noms de commune qui sont l’antichambre des crus Côtes du Rhône connaissent une belle progression (+5 %) » rapporte Philippe Pellaton, le président d’Inter Rhône, ce 3 avril lors d’une conférence de presse pendant le salon Découvertes en Vallée du Rhône (à Ampuis). Et « quand on descend malheureusement sur les appellations régionales : Côtes du Rhône, Ventoux Costières de Nîmes… On a quelques fortunes diverses au sein même de ces appellations des entreprises plus en difficulté que d’autres » constate le viticulteur gardois, soulignant que cette crise commerciale touche principalement les vins rouges.
En témoigne le développement des vins blancs : +7 % en un an, représentant 11 % des volumes commercialisés (pour 14 % de rosés et 75 % de rouges). « On voit que l’on est capable de gagner des parts de marché en blanc » relève Philippe Pellaton, qui martèle l’objectif de blanchiment de la production (visant un doublement des vins blancs, à 300 000 hl en 2030). Si le plan stratégique 2035 de la vallée du Rhône repose sur une diversification des couleurs, en blanc mais aussi en rosé, les vins rouges ne sont pas mis à l’as. Vice-président d’Inter Rhône pour le négoce, Samuel Montgermont affirme ainsi l’« ambition de devenir le vignoble référent en vins rouges ». Ce que confirme le vice-président de l’interprofession pour la viticulture, Denis Guthmuller : « on va continuer à faire des vins rouges et à bien les faire » avec l’objectif de performances commerciales accessibles par la refonte des profils produits pour « s’adapter à un contexte de consommation en train de changer [qui permet de trouver] l’opportunité de répondre aux attentes de demain ».
Si le Syndicat Général des Vignerons des Côtes du Rhône se dote d’un plan stratégique 2023-2026 pour premiumiser sa production, Inter Rhône va soutenir la promotion de ses vins à l’export en passant son budget annuel dédié de 11 millions à 14 millions d’euros sur les quatre prochaines années. S’appuyant sur les réserves et fonds interprofessionnels, cette stratégie « est un choix assez courageux » explique Philippe Pellaton, défendant une orientation « qui amène de la valeur, qui amène de la nécessité d’énergie pour conquérir des marchés. C’est un choix de construction. De moyen et long termes au détriment de choix plus court-termistes. Ça reste un dossier qu’il faut porter, ce n’est pas évident tous les jours de porter ce genre de vision à moyen terme quand l’urgence de la situation obligerait à des solutions plus extrêmes et plus rapides. » Alors que l’interprofession des vins de Bordeaux souhaite cofinancer l’arrachage de ses vignes excédentaires, Inter Rhône écarte cette idée.


« Sur la partie arrachage, il n’y pas au sein de l’interprofession Inter Rhône de mécanique imaginée pour accompagner d’éventuels arrachages. Les débats peuvent exister entre les familles, il pourra exister demain. Aujourd’hui ce n’est pas la voie qui est choisie et qui est effective » explique à Vitisphere Philippe Pellaton. Comme le résume Denis Guthmuller, « on préfère flécher nos budgets interprofessionnels vers la promotion. Plutôt qu’un cofinancement de l’arrachage, on travaille sur d’autres pistes pour la réduction du potentiel de production » (comme la diversification des cultures, temporaires ou pérennes).
Reste actuellement une situation économique tendue dans le vignoble rhodanien. Face à la baisse des sorties de chais, « ça nous inquiète. Derrière les chiffres bruts il y a des entreprises, des vignerons, il y a un tissu social et économique » indique Philippe Pellaton, qui note « sur notre tissu de production une problématique sur le marché du vin en vrac » et « constate que les entreprises qui connaîtraient des difficultés aujourd’hui resteraient un peu trop positionnées sur ce marché du vrac ». Un métier en voie d’extinction dans le vignoble, car ayant déjà cessé d’être présent dans le négoce selon le président d’Inter Rhône : « les négociants vracqueurs ont un peu disparu. Ce qui renvoie à la production la nécessité de se rapprocher des marchés. »
D’après une étude économique d’Inter Rhône, il y a 10 ans 380 000 hl de vins transitaient par les négociants-vracqueurs. Actuellement, ce sont 80 000 hl qui passent par leurs chais d’assemblage. Soit 300 000 hl de vins qui doivent trouver d’autres réseaux. « Il y avait un négociant vracqueur important, il n’y en a quasiment plus » esquisse Samuel Montgermont. Un poids lourd qui s’appelait Raphaël Michel, négoce touché par une affaire de fraudes sur 300 000 hl* et coulé après une tentative de relance infructueuse (sous le nom d’Anagram). « Le métier a disparu subitement, avec la disparition de Raphaël Michel, on le prend de plein fouet. C’était 300 000 hl d’AOC rhodaniennes, c’était important. Le temps que la filière se réorganise, ça génère beaucoup de perturbations » analyse Philippe Pellaton, qui ne croit « pas que ce métier revienne sur la table : il appartient d’exprimer aux vignerons que ce maillon de la chaîne n’existe plus. Quand on produit du vin en vrac, on est beaucoup plus loin consommateur. Il faut que l’on rapproche ces vignerons des marchés cibles. Il faut que l’on accompagne la nouvelle structuration de la filière. »
* : Judiciairement, « nous n’avons pas de nouvelles de Raphaël Michel. Nous sommes malheureusement dans l’attente » indique Philippe Pellaton.