ne salle, deux ambiances. Dans la vaste famille des vins de la vallée du Rhône, il y a ceux qui s’en sortent et ceux qui en bavent. Les premiers se définissent comme des fourmis parmi les cigales, les seconds se voient plutôt comme le pot de terre face au pot de fer. S’il y a un consensus sur la nécessité de distiller les 250 à 350 000 hectolitres de vins rouges excédentaires en appellation Côtes du Rhône (dont les cours moyens du vin en vrac vont récemment de 135 €/hl pour le millésime 2022 à 85 €/hl pour le millésime 2021), la question de l’arrachage déchire… On croirait un pléonasme, c’est plutôt un euphémisme.
Tracée par l’interprofession rhodanienne, la stratégie de blanchiment de la production de vin (avec un doublement d’ici 2030) permet de construire une stratégie collective innovante tout en maintenant le potentiel de production. Du moins si l’outil d’arrachage différé est débloqué au niveau communautaire, ce qui n’est pas encore gagné. Donnant des perspectives aux vignerons dans la force de l’âge, ce cap ne répond pas aux demandes des opérateurs en fin de carrière… et à bout de nerfs.
N’ayant pas les repreneurs ou fermiers espérés pour permettre un départ digne à la retraite, 2 à 3 000 hectares seraient à arracher dans le contexte actuel de déconsommation des vins. Prévisible, l’érosion de la consommation de vin a connu une forte accélération depuis la crise covid : ce qui semblait être une lointaine tendance de marché heurte de plein fouet des vignobles entiers. Ce qui ferme soudainement des débouchés, sans que le devenir de ces parcelles ne soit anticipé, ni que l’avenir de leurs propriétaires ne soit sécurisé.
Le besoin rhodanien d’arrachage rappelle inévitablement la demande de plan social de Bordeaux. Affirmé depuis mai 2022, le besoin girondin d’arrachage aboutit, grâce à un accord des familles de la production et du négoce, à un dispositif d'aides qui ne répond pas encore à l’ampleur du problème, mais permet au moins de s’y attaquer pour dégager des volumes excédentaires. En Côtes du Rhône, il semble qu’il n’y ait pas d’accord sur l'aide à l'arrachage. Un point d’achoppement étant pour les uns que les arrachages ne se font jamais correctement (touchant par exemple de vieilles parcelles peu productives). Un blocage étant pour d’autres qu’il faut une participation financière de l’interprofession (alors que ceux se portant bien préfèrent des fonds sur les aides à l’export et à la promotion).
Déni ou retenue dans la perception des besoins d’arrachage, l’alignement des planètes contre les appellations rouges génériques impose des décisions urgentes. Ne serait-ce que parce que les demandes de distillations ne peuvent devenir récurrentes. Et si les ventes en grande distribution des Côtes du Rhône rouges ont dépassé les rouges de Bordeaux en 2022, c’est par une moindre réduction relative des volumes. Les deux appellations sont en chute, imposant des réponses à ses producteurs en fin de carrière afin de donner un cadre plus serein aux vignerons restant en activité. « Le vrai moyen de gagner beaucoup est de ne vouloir jamais trop gagner et de savoir perdre à propos » écrit Fénélon dans Les aventures de Télémaque (1699).