stimant que toute entorse au devoir d’exemplarité mérite des condamnations tout aussi exemplaires, la procureure Nathalie Queran demande des peines particulièrement lourdes à l’encontre des frères Jean et Marc Médeville et de leur entreprise (SCEA Jean Médeville, 6 châteaux et 160 hectares de vignes dans le bordelais). Comparaissant ce 28 mai devant la quatrième chambre du Tribunal Judiciaire de Bordeaux pour « pratiques commerciales trompeuses, falsifications et détention prohibée de saccharose », les présidents des syndicats viticoles de Bordeaux (pour Marc) et de Cadillac Côtes de Bordeaux (pour Jean) encourent individuellement des peines de 6 mois de prison avec sursis et de 50 000 € avec sursis. Tandis que leur entreprise familiale pourrait risquer 1 million d’euros d’amende, assorti d’un sursis. La procureure ne cachant pas avoir envisagé la demande d’une mise sous surveillance.
D’après les contrôles effectués d’août 2017 à mai 2019, « on constate des manquements multiples. Une erreur ça peut arriver, mais là on a le panel de tout ce qu’il ne faut pas faire. C’est assez impressionnant ! Ajout de sucre sans tenue de registre, dépassement de Titre Alcoométrique Volumique (TAV) après enrichissement, taux d’enrichissement maximal dépassé, osmose inverse sans déclarations préalables ni tenue de registre, assemblages entre appellations sans aucun enregistrement (AOC Bordeaux blanc, Graves, premières Côtes de Bordeaux…), coupage de vin blanc dans du rosé, vendanges hors de l’aire AOC pour du Sauternes, vins AOC sous noms d’exploitations non-vinifiées séparément (7 lots sur 23 de rouges et 8 lors sur 32 de blancs)… » liste Nathalie Queran. S’appuyant sur le rapport d’enquête de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence et de la Consommation (Direccte), la procureure cite également un argumentaire commercial des domaines Médeville vantant, en ligne, un cuvier qui « permet d'assurer une vinification et une gestion parcellaire donc une traçabilité parfaite ».


« Les peines présentées pour une situation ponctuelle sont sans commune mesure avec la réalité du dossier. Les sanctions requises sont crassement injustes » s'étrangle maître Jean Gonthier, l’avocat des prévenus, qui soulève des parti-pris rigoristes de la Direccte (voir encadré pour les craintes de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux sur le sujet). La défense des frères Médeville part du postulat de base que les inspecteurs de la répression des fraudes ont orienté leurs déductions : « c’est peut-être la paranoïa de l’avocat, mais la fable que l’on nous raconte a la volonté de charger la barque. Les interprétations de la Direccte suivent son dessein en donnant une coloration de malhonnêteté et de préméditation au dossier »
Pour la défense des frères Médeville, les inspecteurs de la Direccte auraient dû « faire des analyses par Résonance Magnétique Nucléaire pour vérifier que des sucres ont été ajoutés. Ils affichent un parti-pris en affirmant péremptoirement qu’il y a une surconcentration par osmose inverse, ils essaient de faire croire à une boîte noire du sucre… » Dans cette optique, maître Jean Gonthier demande la relaxe des prévenus, sauf pour les « quelques lots sans vinifications strictement étanches », mais sans retenir l’intention de frauder.
Les parties civiles se placent quant à elles sur le domaine de l’obligation d’exemplarité de présidents garants de l’image d’appellations viticoles. « Pour garantir le prestige des vins de Bordeaux, l’obligation de garantir l’intégrité du produit est une obligation qui pèse sur toute la profession » souligne maître Frédéric George, intervenant pour la Confédération Paysanne. « On a un cas assez significatif de la viticulture girondine du passage de l’ancien à un nouveau monde avec ce contexte économique extrêmement compliqué, ces normes qui s’ajoutent et qui peuvent expliquer certaines défaillances » tempère maître Alexandre Bienvenu, intervenant pour la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB). Demandant un euro de dommages et intérêts, l’avocat constate « malgré tout que ces défaillances sont en série, et je pense qu’il y a certains éléments qui démontrent la nécessité d’entrer en condamnation ».
« Il est toujours très déstabilisant de plaider des manquements au cahier des charges [contre des] vignerons qui sont extrêmement actifs dans la défense de la filière » note maître Julie l’Hospital, défendant l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO). Demandant 36 000 € de dommages et intérêt, l’avocate ajoute qu’il « est également délicat d’écouter leur discours qui demeure équivoque malgré tout sur le respect du cahier des charges, sur le fait que tout soit banalisé à des erreurs, des omissions, des concours de circonstances… Alors qu’eux les premiers ont parfaitement conscience de l’importance de pouvoir renvoyer le respect du cahier des charges aux consommateurs. » En droite ligne avec les parties civiles, « à la lecture du rapport de la Direccte, j’ai l’impression d’un désordre organisé » résume la juge de la quatrième chambre, Caroline Baret.


« Aux grands dieux, je n’ai jamais produit ne serait-ce qu’une microgoutte de vin frauduleux, en dehors du cahier des charges et de l’AOC » rétorque Jean Médeville. Le président de l’appellation Cadillac et des centres œnologiques de la chambre d’Agriculture de Gironde (œnocentre) reconnaît être « loin d’être irréprochable dans tout ce qui a été relevé par la Direccte. Les constats papiers sont justifiés, mais nos explications techniques lèvent les reproches»
« Nous reconnaissons des erreurs de traçabilité, c’était une période de transition et on y a remédié » renchérit Marc Médeville, expliquant toute la difficulté de l’année 2016 pour son entreprise, avec la convalescence de son cousin s’occupant de l’administratif et le départ des deux œnologues de la SCEA. « Certes il y a un défaut de traçabilité dans la tenue des registres, mais il n’y a pas l’intention d’être frauduleux. C’est une erreur humaine dont mon frère et moi assumons pleinement la responsabilité en tant que chefs d’entreprise » conclut Marc Médeville.
Délibéré ce 25 juin.
* : Pour les marques château Bibey, château Boisson, château Fayau, château Greteau, château du Juge, château du Mouret, château Peyreblanque, château Puy Boyrein, la Chapelle, le clos des Capucins et le domaine de Broy.
Dans le rapport d’enquête de la Direccte, deux points font tiquer maître Alexandre Bienvenu, l’avocat de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB). Les enquêteurs jugent notamment d’un mauvais œil des rosés et clairet issus de saignées de cuves de rouge. Se rapportant à l’article D645-12 du Code Rural (« il ne peut être déclaré dans la déclaration de récolte, pour les vins produits sur une superficie déclarée de vignes en production, qu'une seule appellation d'origine contrôlée ou qu'un seul type de produit bénéficiant de la même appellation d'origine contrôlée »), l’administration souligne qu’on ne peut déclarer les AOC Bordeaux rouges et Bordeaux rosé/clairet à partir d’une même parcelle. « On aurait aujourd’hui des volumes immenses à Bordeaux qui seraient frauduleux pour ne pas avoir respecté cet alinéa qui existe depuis des années et dont on découvre aujourd’hui qu’il interdit la saignée » s’emporte l’avocat Alexandre Bienvenu, soulignant les « enjeux économique énormes pour la filière » d’une telle exégèse.
Concernant l’utilisation des noms de châteaux issus de fermage, la Direccte semble envisager que le décret n° 2012-655 du 4 mai 2012 (« relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles ») implique que l’utilisation de leur nom soit inféodée à l’inclusion des bâtiments ou de l’outil production dans le bail. Réfutant cette interprétation, maître Alexandre Bienvenu souligne qu’« indiquer qu’il faut impérativement prendre les bâtiments lorsque vous prenez un bail de ferme n’a pas de sens. Si dans l’article 8 vous pouvez vinifier dans vos propres chais, à quoi cela sert-il de prendre des bâtiments qui n’auront aucune utilité ? C’était d’ailleurs la position de la Direccte lorsque la FGVB lui avait posé la question en 2008, indiquant que l’on n’avait ni à acheter ni à louer ces bâtiments. De ce point de vue l, je regrette qu’il y ait une petite raideur de la Direccte. »