Plusieurs levures pourraient empêcher l’apparition d’arôme de champignon frais (ACF). Une hypothèse issue de six années d’études sur Centre de Recherche Robert-Jean de Vogüé Moët Hennessy.
« On surnomme parfois l’ACF l’arôme « Claude François », car il s’en va et il revient, sans que l’on ne sache pourquoi, plaisante Marion Hervé, cheffe de projet R&D chez Moët Hennessy Champagne Service. De nombreux genres et espèces de champignons rencontrés sur les raisins peuvent en produire, notamment Crustomyces subabruptus, des Penicillium ou des Aspergillus. On sait que ce défaut survient lors de millésimes chauds et humides, sur des grappes botrytisées ou contaminées par ces espèces et qu’il se révèle en fin de fermentation alcoolique ».
Pendant trois millésimes, dans le cadre d’une thèse, l’équipe de Marion Hervé récupère le microbiote présent sur les grappes de 31 parcelles de pinot noir et meunier et le cultive sur boîte de Petri. Puis elle réalise autant de micro-vinifications et une évaluation sensorielle des vins obtenus.
« En 2021, sur 31 vins, neuf présentaient des arômes d’ACF ; en 2022, aucun et quatre en 2023 »indique Marion Hervé. Et l’ADN des échantillons recueillis dans les boîtes de Petri a parlé. « On observe des corrélations entre les micro-organismes présents sur les grappes et la production d’ACF. Botrytis, Vishniacozyma, Cladosporium et Penicillium sont plus les espèces les plus fréquentes lorsqu’on a de l’ACF. Au contraire, on surtout retrouvé des levures Metschnikowia pulcherima, Starmerella bacillaris et Pichia kluyveri et peu de champignons sur les grappes qui ont donné des vins sans ACF. Ces levures, dont deux sont déjà utilisées en bioprotection, pourraient empêcher l’apparition du défaut ». Une hypothèse à confirmer dans le cadre d’un post-doctorat. A suivre donc.
Trois ans de suite, le Comité Champagne s’est intéressé aux contaminations microbiennes des moûts après débourbage. « En 2022, nous avons échantillonné 12 centres de pressurage de différente taille équipés de toutes sortes de pressoirs, explique Benjamin Clément, responsable du laboratoire de microbiologie du Comité Champagne. Nous avons prélevé 800 échantillons en tout, les uns au premier jour des vendanges, les autres au milieu et au dernier jour. »
Dans quatre centres, la charge microbienne a augmenté tout du long de la vendange. Dans trois centres, elle est restée stable. Dans trois autres, un pic de contamination s’est produit au milieu des vendanges. Enfin, la charge microbienne a baissé tout au long de la vendange dans deux centres. Contrairement à ce que pensait le Comité champagne, ni la taille des centres de pressurage, ni le type de pressoir dont ils sont équipés n’expliquent ces différences. Sans doute est-ce l’hygiène.
En 2023, le Comité prélève des échantillons dans 15 centres. « L’état sanitaire était plus compliqué, la variabilité inter-centre était plus élevée qu’en 2022 : en début de vendange, sur certains moûts, nous avons dénombré jusqu’à 3 millions de micro-organismes par millilitre (UFC/ml) sur d’autres seulement… 18. Point de vigilance : nous avons retrouvé la levure Hanseniaspora uvarum, responsable de piqûres acétiques, dans 75% des centres et dans 63% des moûts » indique Benjamin Clément.
En 2024, les chercheurs n’échantillonnent que quatre centres mais ajoutent trois points de prélèvements : dans l’eau de rinçage, dans le pressoir et le belon. « On constate peu d’évolution de la contamination des moûts entre le belon et le moût débourbé. Cela peut s’expliquer par les températures fraîches et la faible récolte qui a permis de respecter les procédures d’hygiène entre deux tours de pressoir ».
Au laboratoire de génie chimique de Toulouse, Patricia Taillandier s’intéresse à la biosportion, en collaboration avec Lallemand. « C’est la fixation de molécules par une surface biologique, explique-t-elle. On veut se servir de cette propriété pour retirer des molécules indésirables du vin, notamment les éthyl-phénols, responsable des odeurs d’écurie dans les vins contaminés par Brett, et son précurseur, l’acide coumarique. La chercheuse a testé deux écorces de levures, l’une de Saccharomyces et l’autre de… Brettanomyces".
Premiers constats : les éthyl-phénols sont mieux adsorbés que l’acide paracoumarique et les écorces de Saccharomyces sont plus efficaces que celles de Brett. Ces écorces ont été obtenues soit par un traitement à haute pression, soit par chauffage. Les premières se sont avérées plus performantes que les secondes. A noter, ces essais ont été réalisés sur un vin synthétique et fortement contaminé.
Autre alliée : une bactérie. Christian Coehlo, enseignant chercheur en sciences des aliments à VetAgroSup de Clermont-Ferrand l’assure : « Lactobacillus plantarum a la capacité d’adsorber du cuivre et des résidus de produits phytosanitaires. De 2022 à 2024, nous avons purifié des biopolymères produits par quatre souches de cette bactérie, deux du vin et deux du fromage. Après cela, nous avons mesuré leur capacité de bioadsorption. Résultat : après 24h de contact, les biopolymères d’une souche du vin ont permis d’éliminer 75% du cuivre et 20 à 40% de résidus phytosanitaires ». Des perspectives encourageantes pour décontaminer des moûts.