ous venez d’être officiellement nommés président et vice-président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer, quel est le cap de votre mandat alors qu’il faut gérer l’urgence de l’arrachage définitif et se projeter sur la mise en place du plan de filière ?
Jérôme Despey : Il est important de rappeler que la gouvernance de FranceAgriMer est peut-être l’une des seules qui permette de réunir la production et les metteurs en marché avec les bassins de production. Le cap que l’on se fixe avec Camille Masson est d’ouvrir des perspectives avec les données économiques et les études de prospective pour se projeter vers l’avenir. L’établissement a aussi une mission d’accompagnement et de gestion de crise. Qu’on y pense aujourd’hui pour l’arrachage définitif ou dans les années antérieures avec la distillation et le stockage privé. Nous faisons également l’interface entre les attentes de la profession et l’administration, le ministère de l’Agriculture.
Camille Masson : Je suis un jeune vice-président empli d'espoir de faire bouger les lignes malgré la tempête que connait notre filière. Mêlé à l'expérience de Jérôme Despey, élu pour la quatrième fois, et qui sait où aller pour tirer le bon levier, nous serons au rendez pour porter notre filière. S'il est certain que la gouvernance partagée de FranceAgriMer avec la viticulture permet les discussions entre l’amont et le négoce, elle doit être renforcée. Aujourd’hui, nous avons été très orientés vers des aides conjoncturelles par les aléas et par les demandes des professionnels. Il faut du structurel, c’est essentiel. Sinon, il n’y aura plus de conseil spécialisé demain. Aujourd’hui, on a répondu aux urgences par des aides conjoncturelles qui pourraient, peut-être, in fine avoir des impacts structurels. On a peu répondu à la création d’une filière valorisée et conquérante sur les marchés. Je ne doute pas que l’on s’y consacre pleinement en prenant appui sur le plan de filière national porté par le Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV).
Comment le conseil spécialisé va-t-il gérer le financement de l’arrachage temporaire : en sanctuarisant des aides et en en réduisant d’autres ?
Jérôme Despey : En lien avec le précédent vice-président de FranceAgriMer, Georges Haushalter, il n’y a jamais eu aucune ambiguïté sur l’arrachage temporaire. C’est un outil pour permettre de restructurer le vignoble et pour construire l’avenir en équilibrant l’offre et la demande sur les attentes des consommateurs. Ce sera l’enjeu du Groupe à Haut Niveau de pouvoir mettre en place l’arrachage temporaire. Notre objectif est de donner de la perspective pour que FranceAgriMer puisse mettre en œuvre les attentes de la filière via l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin) et son Plan Stratégique National (PSN). Il est important que l’OCM vin soit axée sur le devenir de la filière, la conquête de parts de marché, l’accompagnement des investissements pour permettre l’adaptation et la transmission.
L’arrachage temporaire pourra être accompagné par notre OCM dès que le Groupe à Haut Niveau l’aura acté. Le prochain PSN va être discuté par un groupe de travail se réunissant en novembre pour débattre du budget de 2025 (reconduit, mais restreint) et de l’après 2026 (pour structurer la filière et conquérir des marchés). Je ne veux pas voir d’OCM vin qui soit orientée vers la destruction, la décapitalisation. Le financement de l’arrachage définitif est assuré par les fonds nationaux liés aux conséquences de la guerre en Ukraine. Je ne lâcherai pas l’arrachage temporaire. L’arrachage définitif est un crève-cœur, qui me fait la boule au ventre.
Camille Masson : Pour le négoce, l’arrachage temporaire est une segmentation du marché, pour que les produits collent aux attentes et à la demande. C’est recapitaliser le vignoble, ne pas diminuer la superficie du vignoble, maintenir les autorisations de plantation et surtout, s’adapter au marché. L’Union des Maison du Vin (UMVIN) par la voix de son président Michel Chapoutier est raccord avec toutes les mesures économiques de nature à redynamiser la filière, pour peu qu'on ait un tableau de bord de traçabilité des mesures à l'image de l'obligatoire traçabilité dans les chais... Le négoce est très attaché à ce qu’il y ait des retours sur l’usage des fonds conséquents de la distillation et de l’arrachage définitif. Il est important de savoir où sont allés ces soins palliatifs, pour quelles entreprises et quels vignobles.
Jérôme Despey : Il faut faire le bilan des aides apportées. Les éléments liés à la distillation seront présent présentés au conseil spécialisé de décembre en réponse à la demande formulée par l’UMVIN. Il y a beaucoup de discussions dans notre conseil spécialisé, nous ne sommes pas toujours d’accord, mais nous trouvons des compromis. Je partage l’idée que le vrai sujet est celui de la segmentation de notre filière. Il faut positionner nos vins sur toute la gamme, de son entrée à ses sommets. Il ne faut délaisser aucun segment de marché. On ne peut pas se plaindre des importations de vins espagnols si l’on ne se donne pas les moyens de les concurrencer.
Camille Masson : Il est important d’envoyer des ondes positives dans le vignoble. Les critiques ciblent souvent le conseil spécialisé et l'insuffisance des mesures prises, mais si demain il n’existait plus, aurions-nous autant de moyens fléchés vers la consolidation d'une filière vitale à la balance commerciale française ? C’est une chance que ces opérations soient gérées par la filière en lien avec les pouvoirs publics et non l'inverse.
Que souhaiteriez-vous obtenir dans les négociations sur la prochaine Politique Agricole Commune (PAC) ? Certains parlent de réintroduire les primes d’arrachage dans l’OCM…
Jérôme Despey : Il est normal qu’il y ait des débats sur la nouvelle PAC. Il faudra défendre les autorisations de plantation (la viticulture étant le seul secteur qui puisse encore en bénéficier), le budget de l’OCM (diminué lors de la dernière PAC) et son orientation vers la structuration (pour répondre au marché et redonner espoir dans le renouvellement des générations).
Camille Masson : Aujourd’hui, nous sommes dans le brouillard économique. Il va falloir réfléchir à nos actions orientées vers les marchés. C’était le message de Georges Haushalter : flécher les fonds vers la promotion dans les pays tiers. Maintenant que la déconsommation n’est plus un vilain mot, étant avérée en France, il faut se donner tous les moyens et prendre toutes les mesures pour favoriser les flux vers l’export. Même si avec le flou économique actuel, cela peut être compliqué : quand les marchés achètent moins et que des destinations se ferment comme on le voit avec les taxes chinoises sur les cognacs (actuellement sous forme de cautions aux importateurs, ce qui a déjà un impact).
Comment traiterez-vous les sujets de la simplification des dossiers de demande d’aide et les reproches sur l’intransigeance des contrôles de FranceAgriMer amenant à des pénalités et des remboursements d’avances ?
Camille Masson : C’est un sujet, alors que les trésoreries sont exsangues et que l’on sort d’années extrêmement compliquées pour la production. Les trésoreries ne peuvent pas se passer d’avances tant à l'amont qu'à l'aval de notre filière.
Jérôme Despey : Je partage le constat des difficultés de la situation économiques et du moral de notre viticulture. Si l’enveloppe OCM ne permet pas d’avoir les fonds pour les avances (avec les dépenses de la distillation contraignant les budgets), nous demanderons à l’Etat de se substituer pour les obtenir (dans l’attente de retrouver l’équilibre financier).
Sur les contrôles, une fois le plan de filière arrêté, il faudra éviter de se retrouver dans des situations amenant des difficultés à cause de contrôles pénalisant les entreprises avec des sanctions pour une erreur de case cochée. Ce n’est pas que la faute de l’administration, il faut aussi que tous les acteurs de la filière définissent les priorités des aides financières pour simplifier les appels à projet. Il faut également éviter des régimes de sanctions trop lourdes. Et faire jouer le droit à l’erreur, qui n’est toujours pas abouti, n’intervenant plus après que le dossier ait été déposé. Le problème est que l’erreur ne se voit qu’au moment du contrôle… Il est évidemment hors de question de laisser la triche impunie : ne mélangeons pas la simple erreur et la fraude caractérisée.
Camille Masson : Si demain on veut que les entreprises continuent de se doter d'accompagnement financier leur permettant d’avancer sur leurs dossiers, il faut réduire les risques encourus lors des contrôles.
Certains opérateurs, du vignoble comme du négoce, reprochent à FranceAgriMer d’être trop pointilleux dans ses contrôles, plus rudes que ceux d’Espagne ou d’Italie. Y-a-t-il une transposition française ?
Jérôme Despey : Je la conteste. Les contrôles européens sont les mêmes pour chaque pays dès lors que les appels à projet sont clairement établis. En Espagne, les mesures de sélectivité sont plus importantes qu’en France, où l’on a pour principe d’ouvrir au plus grand nombre le bénéfice de l’OCM. Quand on restreint le champ d’application, les contrôles sont plus faciles.
Vous êtes président et vice-président du conseil spécialisé vin et cidre : qu’est-ce que le cidre peut inspirer ) la filière vin ?
Jérôme Despey : Il est vrai que l’on passe beaucoup de temps dans notre conseil spécialisé sur le vin, comme le cidre n’a pas d’OCM spécifique (mais peut avoir des plans d’aide). Un groupe d’études dédié au cidre traite les sujets spécifiques de cette filière, dont les mesures sont votées en conseil spécialisé.
Camille Masson : Nous avons surement des synergies à trouver entre le vin et le cidre. Dans la Loire, la société de réemploi Bout’à Bout’ réutilise les bouteilles de vins effervescents pour les cidres. On peut y voir un pont d'activité entre nos deux filières.