vec sa mobilisation pour une cuve de vin distillée, mais non rémunérée 18 000 € pour une erreur de déclaration du Taux Alcoométrique Volumique (TAV) supérieure à la marge acceptée de 0,5°.alc, la cave coopérative des Vignerons de Saint-Gely (Gard) a relancé la machine d’expression du désarroi de la filière vin face à son administration : l’établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, FranceAgriMer. D’autres opérateurs sont mis en difficulté par des refus similaires dans le vignoble français, comme Josette Gaverina, à la tête du château Tour du Foussat (10 hectares en AOC Bordeaux à Castelviel).
Ayant apporté 41 hl de vins d’appellation à sa distillerie en novembre 2023, elle s’est vue retoquer son paiement de l’aide à la distillation pour une différence de TAV entre les 13,26°.alc déclarés à l’expédition et les 11,5°.alc mesurés à la réception, puis 12,92°.alc mesurés sur l’échantillon de référence. Un décalage qui rend inéligible le lot à la distillation de crise conformément à l’article 2.1.3 de la décision INTV GPASV 2023-43 du 6 juillet 2023 pour FranceAgriMer. Mais un écart qui s’explique pour Josette Gaverina : « j’ai envoyé 10 hl de rosé et 31 hl de vin rouge dans une citerne à quatre compartiments. Le chauffeur a pris l’échantillon dans le compartiment du rosé à 11,5°.alc à l’arrivée de la distillerie et FranceAgriMer a contrôlé un autre compartiment… »


Ne comprenant pas cette sanction, cette « petite viticultrice » de l’Entre-deux-Mers a tenté un recours à l’amiable qui lui a été refusé par FranceAgriMer. Ayant sollicité avocats, parlementaires et élus du vignoble en vain, Josette Gaverina est « dégoûtée. Je ne peux pas aller au tribunal administratif », mais reste ferme : « pour moi, ils me doivent 3 000 €. Ma distillerie m’a envoyé un mail il y a un mois pour me dire qu’ils pouvaient me payer ce lot au prix de 15 €/hl comme distillation volontaire. Ce serait 600 au lieu de 3 000 €. C’était du vin marchand, pas piqué, les analyses le prouvent. Dans la viticulture, on a actuellement besoin de tous les euros. Mais FranceAgriMer s’en fiche. »
Une rigueur comprise par la filière vin pour le contrôle de l’usage des fonds, mais critiquée pour son zèle dans le refus d’application du droit à l’erreur administrative. « Même s’ils ont tort d’être aussi rigides, ils ne le reconnaîtront jamais » tranche un opérateur de la filière, n’espérant aucun recul de FranceAgriMer. « En tant que président, à chaque fois que l’on m’apporte un recours défendable, je l’amène toujours à la direction de FranceAgriMer pour l’appuyer » indique Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de l’établissement public. « Je considère qu’avec le dispositif de droit à l’erreur et les erreurs non intentionnelles, il faut pouvoir regarder des solutions sur le plan humain » ajoute le viticulteur de Saint-Geniès-de-Mourgues (Hérault), qui précise ne pas avoir le détail du nombre de dossiers en phase de recours, mais que les chiffres précédemment communiqués par l’administration représentaient quelques pourcents sur l’ensemble des dossiers déposés et payés : « c’est toujours trop, mais cela reste infime » analyse Jérôme Despey.
Sollicité, FranceAgriMer répond suivre « attentivement chaque dossier et étudie[r] chaque recours, mais l’établissement ne peut pas apporter d’information sur des cas individuels et nous ne disposons pas d’éléments quantitatifs concernant les recours ». Également interrogé sur la destination des fonds qui ne sont finalement pas affectés à des aides, FranceAgriMer ne donne également pas de réponse. Cette question revient pourtant souvent auprès d’opérateurs s’étant vus refuser le soutien de FranceAgriMer.
Exemple en Champagne sur l’aide à la promotion dans les pays tiers : « dans la demande de prise en charge, il faut tout un tas de formalisme » rapporte Olivier Legendre, le directeur général des champagnes Gardet (Chigny-les-Roses, Marne), qui devait ainsi remettre une attestation de son commissaire aux comptes. Ne l’ayant pas au moment du dépôt du dossier, la pièce est ajoutée dès la réception de l’attestation du commissaire aux comptes : « mais elle était datée d’un jour après la date du clôture… Nous avons perdu toute l’aide de ce dossier : environ 10 000 €. C’est rageant pour une date et une journée. Nous avons posé un recours gracieux qui a été refusé. C’est frustrant. » Un regret d’autant plus vif qu’il y a cette impression que l’esprit de soutien à la filière de ces aides est absent du traitement administratif français. « Lorsqu’on parle avec nos collègues espagnols et italiens, ils disent ne pas avoir la même lourdeur dans les procédures alors qu’il s’agit des mêmes aides européennes » soupire Olivier Legendre : « il suffit d’une virgule qui ne soit pas à sa place pour tout perdre. »


Un sentiment loin d’être isolé. Car avec un « fonctionnement dans lequel on perd toute l’aide à la plantation s’il y a un couac uniquement sur l’irrigation, on en arrive à une aide à laquelle il vaut mieux renoncer » témoigne, sous couvert d’anonymat, une prestataire en montage de dossiers d'aides à la restructuration. Une spécialiste des dossiers de FranceAgriMer, qui s’est elle-même heurtée à cette rigueur toute administrative. « Je me suis trouvée dans la situation où j’ai fait une erreur sur le dossier d’un client : j’ai demandé une aide à la plantation sur 4 parcelles dont seulement 2 étaient irriguée. J’ai demandé l’irrigation sur les 4. L’erreur n’est ressortie qu’au moment du contrôle » témoigne la prestataire administrative, regrettant que « le droit à l’erreur ne s’applique pas car elle a été relevée pendant un contrôle. Peu importe que les contrôles soient absolument systématiques, interdisant toute tentative de fraude par cette méthode. Ce jour-là, j’ai fait perdre plus de 20 000 € à mon client car j’ai perdu l’aide sur toute la parcelle, et pas seulement la portion dédiée à l’irrigation. »
La culpabilité l’a poussé à éplucher les textes réglementaires européens, jusqu’à tomber sur le règlement délégué 2021/374, qui sonne pour elle comme une remise en question du zèle de FranceAgriMer. Si « l’aide aux bénéficiaires n’est versée que si les contrôles montrent que l’ensemble de l’opération ou l’ensemble des actions individuelles faisant partie de ladite opération a été pleinement mis en œuvre », la Commission relève que « sur la base d’une application stricte de cette disposition, lorsque des actions individuelles faisant partie de l’opération n’ont pas été pleinement mises en œuvre, mais que l’objectif de l’ensemble de l’opération a néanmoins été atteint, la retenue de l’intégralité du montant de l’aide à l’opération en question s’est révélée, dans certaines situations, injuste et inéquitable ». Ce qui amène la Commission a noter que « si les contrôles révèlent que l’ensemble de l’opération couverte par la demande d’aide n’a pas été pleinement mis en œuvre, mais que l’objectif global de l’opération a néanmoins été atteint, les États membres versent une aide pour les différentes actions qui ont été mises en œuvre ».
Ayant relevé cette « pépite », la prestataire administrative note que « ce règlement n’a jamais été appliqué. Pas même pendant les années Covid. Quelqu’un à un moment a pris la décision de ne pas prendre en compte une modification que l’on peut légitimement qualifier de "juste et équitable". » Avec le risque de perdre des aides ou d’avoir des sanctions, on entend des opérateurs déconseiller de déposer certaines demandes d’aide. « Comment peut-on considérer comme normale une situation dans laquelle on préfère ne pas demander ce à quoi on a droit par peur de faire une erreur et de tout perdre ? » regrette la prestataire, qui pointe également les lourdeurs du site de candidature : « il n’y a pas d’assistance informatique à proprement parler. Il y a bien un numéro, mais on me demande systématiquement de faire un mail. On me donne une adresse nationale, mais on me renvoie généralement à l’adresse régionale, au final pour un bug, c’est parfois 3 appels et 3 mails et des délais de traitement annoncés de l’ordre d’une semaine. Sans compter les relances. »
De quoi dégoûter des opérateurs, n’osant plus monter de dossiers en interne et hésitant face à des honoraires d’experts avoisinant les 20 %. De quoi refroidir alors que le résultat n’est jamais garanti. En somme, les embûches s’accumulent. « La vraie voie passe sur une corde tendue non dans l'espace, mais à ras du sol. Elle semble plutôt destinée à faire trébucher qu'à être parcourue » écrivait Franz Kafka dans ses Réflexions sur le péché, la souffrance, l'espérance.