ans le vignoble français, la surcharge administrative pèse sur le quotidien de tous les chefs d’exploitation. Dont les nerfs sont maltraités par les dossiers de demande d’aides à l’investissement gérés par l’Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer, pour une enveloppe de 170 millions d’euros par an). En témoigne la grogne qui monte en Touraine, où une succession de projets réalisés sont retoqués, en partie ou en totalité, pour des erreurs considérées comme minimes par des viticulteurs qui pourraient se réunir autour d’un collectif pour se faire entendre.
« Je suis scandalisé, on nous met une carotte et derrière c’est un coup de bâton » témoigne Luc Poullain, le président de l’Organisme de Défense et de Gestion de l’appellation Touraine Chenonceaux, qui ressent un durcissement des critères d’acceptation depuis la généralisation de la télédéclaration. Dans son cas personnel, le domaine des Echardières (16 hectares en AOC Touraine et Touraine Chenonceaux) avait obtenu une subvention de 27 000 € pour financer ses travaux d’isolation de chai et de réhabilitation de cuves béton. Mais avoir fourni un acompte auprès d’un fournisseur en janvier dernier, quatre mois avant le début des travaux prévus en mai, pousse FranceAgriMer à considérer ce début décembre que cette facture marque en réalité le début des travaux, à l’encontre de la réglementation européenne qui stipule d’attendre l’Acceptation de Commencement des Travaux (ACT).


« À cause de ça, on perd par effet de cascade toute nos aides, ce qui impose de revoir notre plan de financement bancaire, alors que le montant était calé depuis deux ans. Se faire virer pour une date, une année comme celle-là où l’on subit le gel et la grêle, ça dégoûte » soupire Luc Poullain, qui indique que « des vignerons abandonnent, alors que des jeunes s’installent et ont besoin de ces aides ».
Exemple de jeune vigneron mis en difficulté par le manque de souplesse et de compréhension de FranceAgriMer sur l’ACT avec Alexandre Villemaine, du domaine Villemaine (45 ha en AOC Touraine et Touraine Chenonceaux). Réalisant son premier dossier FranceAgriMer en 2019, le vigneron souhaite être aidé pour la construction d’un chai de 349 mètres carré, représentant un investissement de 200 000 €. Alors que le projet est accepté avec une aide de 65 000 €, le contrôle réalisé en octobre par FranceAgriMer annule toute aide après avoir relevé un devis signé le 31 janvier, alors que l’ACT est fixée au 12 février.
« Je ne comprends pas, il s’agit d’un devis où est indiqué "sous réserve d’acceptation de la demande de subventions par FranceAgriMer" » regrette Alexandre Villemaine, qui souligne que « pour pas grand-chose, ça remet en cause notre installation (cinquième génération avec son frère Jérémy), alors qu’il n’y a pas de volonté de notre part de frauder. S’il n’y a pas de réponse positive de FranceAgriMer et que notre banquier nous propose des alternatives trop lourdes, nous ne nous installerons pas. »


Dans le mouchoir de poche du vignoble ligérien, on trouve de multiples cas de dossiers refusés pour ce qui semble être une pécadille. Et un manque d’avertissement de l’administration. Ainsi, Christophe Davault, domaine de la Chaise (60 ha en Touraine), avait déposé un dossier d’investissement de 230 000 € (pour 80 000 € de subvention) qui s’est vu refuser en juillet 2020 pour « un fichier envoyé sous format Excell et non Word, comme me l’a indiqué l’instructeur de mon dossier. Qui ne m’a jamais prévenu d’un problème alors que j’avais commencé à investir (100 000 € sur un filtre tangentiel et une pompe à chaleur) ». Son recours gracieux ayant été rejeté, le vigneron a stoppé net ses projets (notamment une extension de bâtiment). « Du coup, on ne fait plus d’investissement, ou moins » souligne Christophe Davault, qui a toujours des projets, qu’il pense intégrer dans un nouveau dossier de demande d’aides, peut-être ficelé par un intermédiaire pour sécuriser l’issue de la procédure.
Bien que la complétude d’un dossier ne soit jamais réellement acquise, même en faisant appel à un expert. « Je suis passé par une agence de conseil (pour 1 800 €) et j’ai demandé un relevé comptable à mon expert-comptable (pour 800 €), mais même ainsi on n’est pas à l’abri : le couperet final est toujours dans les mains de l’administration » témoigne Vincent Roussely, clos Roussely (8 ha en Touraine). En témoigne son dossier d’investissements, déposé en 2018 avec un budget de 180 000 € (achat de cuves, système de thermorégulation et aménagement du chai pour l’évacuation des effluents). Ses 56 000 € de subventions lui ont été refusés en mars 2021 pour manquement grave : un défaut de déclaration auprès des Douanes.


« Lors du dépôt de ma Déclaration Annuelle d’Inventaire (DAI) en septembre 2019, je ne l’ai pas validée, comme j’ai l’habitude des documents douaniers qui passent automatiquement à ce statut quand la date butoir arrive. Ce n’était pas le cas » raconte Vincent Roussely, qui indique que si les douanes ont modifié sa télédéclaration pour la mettre en conformité, comme il s’agit d’une erreur administrative reconnue dans le droit français, FranceAgriMer ne l’a pas pris en compte et a rejeté son recours. « C’était le gros projet de tout une carrière professionnelle » ajoute le vigneron, pour qui « on ne peut pas rester dans l’hypocrisie. Alors que la filière est en difficulté (après le covid et le gel), il y a des annonces d’accompagnement, mais alors que les petites structures font face à l’abrutissement administratif, il n’y a que les grandes structures qui réussissent : il faut que ça change ! »
Autre enjeu de DAI avec Fabien Boisard, du domaine du Moretier (16 ha en Saint-Nicolas-de-Bourgueil, Bourgueil et vin de France), qui a utilisé un nouveau système douanier pour déposer son document, alors qu'il lui fallait rester sur l’ancien pour l'administration, qui l'a sanctionné. « J’ai devancé la bascule et j’écope d’un manquement grave pour défaut de déclaration avec FranceAgriMer. Alors que le problème avait été réglé dans la journée avec les Douanes, il n’a pas pu être résolu pour FranceAgriMer » se désespère Fabien Boisard. Ayant perdu les 8 000 € d’aides prévues pour son achat de matériel (24 000 € d’investissement au total), le vigneron précise n’être pas pour une filière viticole aidée, mais regrette que les prix des fournisseurs soient gonflés de 30 à 40 % pour prendre en compte les subventions.
Pour un expert de ces dossiers d’aides, « dès qu’il y a des fonds européens, ça devient une usine à gaz. Mais si la loi est dure, c’est la loi. Les règles sont bien décrites dans la circulaire : c’est très strict. On demande un dossier très précis, il faut être très vigilant. Du moins tant que le droit à l’erreur n’aura pas avancé... » Car si chaque dossier évoqué est différent, il se conclut inévitablement par un constat : si le droit à l’erreur existe dans la législation française, il n’est présent dans les textes européens que depuis ce 25 janvier 2021 et la validation de la Politique Agricole Commune (PAC 2023-2027). Si le Parlement Européen vient tout juste de valider la PAC, ses dispositifs doivent encore être retranscrit dans le droit français pour FranceAgriMer s’en empare.
Contacté par Vitisphere (voir encadré pour la réponse complète), l’établissement public indique que « FranceAgriMer apportera, en lien avec le ministère de l’Agriculture, les évolutions nécessaires aux différents dispositifs de l’OCM vitivinicole dans le cadre de la nouvelle PAC, qui introduit notamment des notions d’indicateurs et de performance, ainsi que la possibilité de corriger les demandes, sous des conditions qui restent à définir ». Et ajoute que « l’ensemble des équipes de FranceAgriMer veille à retenir les dossiers qui répondent aux critères prévus dans le dispositif, sur l’ensemble du territoire national. Ce sont ainsi près de 1 850 entreprises qui sont accompagnées chaque année dans leur projet de modernisation, avec un taux de base de 30 % de leurs dépenses. »


« 10 % des dossiers traités par FranceAgriMer suivent un recours (pour l’investissement, mais aussi la restructuration, la promotion, le stockage privé…) » estime Jérôme Despey, le président du conseil spécialisé vin de FranceAgriMer. Qui l’affirme : « nous attendons tous avec impatience le droit à l’erreur. Aujourd’hui, un certain nombre de difficultés viennent de cette absence dans la réglementation communautaire. » En attendant, la priorité pour le viticulteur héraultais est de rattraper tous les dossiers pouvant l’être dans la cadre actuel. Soit « les règles communautaires qui, je l’avoue, ne permettent pas beaucoup de souplesse dans le traitement des dossiers » témoigne Jérôme Despey, qui affirme la volonté politique « de mettre plus d’humain dans les recours, pour apporter des éléments de réponse et d’écoute ».
En Touraine, la frustration reste cuisante face à une approche procédurale perçue comme tatillonne. L’idée d’un collectif pourrait se concrétiser pour porter ce mécontentement.
Contacté, FranceAgriMer rappelle qu’« avec un budget annuel moyen de plus de 170 millions d’euros, l’aide aux programmes d’investissement des entreprises mise en œuvre par FranceAgriMer au travers de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin) s’inscrit dans le cadre du premier pilier de la Politique Agricole Commune (Fonds Européen Agricole de Garantie, FEAGA).
Cette aide a pour objectif de permettre aux entreprises vitivinicoles de faire face à la concurrence sur les marchés mondiaux en optimisant leur outil de production et les conditions d’élaboration et de mise en marché des vins en vue d’une meilleure adaptation de l’offre aux attentes du marché. L’ensemble des équipes de FranceAgriMer veille à retenir les dossiers qui répondent aux critères prévus dans le dispositif, sur l’ensemble du territoire national.
Ce sont ainsi près de 1 850 entreprises qui sont accompagnées chaque année dans leur projet de modernisation, avec un taux de base de 30 % de leurs dépenses. »
Dans un second message, l’établissement ajoute que « FranceAgriMer apportera, en lien avec le ministère de l’Agriculture, les évolutions nécessaires aux différents dispositifs de l’OCM vitivinicole dans le cadre de la nouvelle PAC, qui introduit notamment des notions d’indicateurs et de performance, ainsi que la possibilité de corriger les demandes, sous des conditions qui restent à définir. »