ous prenez la présidence d’une fédération réunissant 7 des 8 appellations de crémants : comment souhaitez-vous faire revenir l’Alsace après son tonitruant départ en dissidence ?
Dominique Furlan : L’Alsace ne fait plus partie fédération. Mon envie, c’est que nos collègues alsaciens reviennent. Ce serait parfaitement logique, l’Alsace a toute sa place dans la fédération et il n’est pas normale qu’elle n’y soit pas. Après les vendanges, je compte bien renouer le contact avec nos collègues alsaciens pour rétablir les liens qui se sont fissurés pour des raisons purement humaines. Je veux rebâtir l’union, on ne peut pas imaginer la fédération sans la première AOC des crémants. La fédération a un rôle essentiel dans la protection du terme "crémant", au national, en Europe et à l’international. Le crémant est aussi le seul produit français commun à 8 régions.
En 2018, les crémants se fixaient l’objectif d’atteindre 100 millions de cols vendus en 2025. L’objectif a été atteint, et dépassé, dès 2023. Avez-vous de nouveaux objectifs de croissance pour 2030 ?
Nous n’avons pas de tels volumes ciblés. Nous sommes ravis du développement du marché que l’on constate, mais aucune région n’a envie de surproduire. Nous suivons la tendance de la demande : toutes les régions progressent en volume et valeur, les voyants sont au vert, certaines régions se distinguent, comme Bordeaux qui a la plus forte croissance, suivi de la Loire et d’autres régions historiques. La volonté de tous est de suivre la demande sans oublier la valorisation. C’est un sujet important : on ne veut pas que le crémant soit un produit bradé, il y a beaucoup de travail derrière, beaucoup d’attention. C’est la raison pour laquelle on ne souhaite pas de concurrence opportuniste.
Quand vous parlez de concurrence, pensez-vous aux effervescents étrangers (Prosecco et Cava) ou aux projets d’IGP effervescent comme dans le Gard ou de nouvelles AOP effervescentes comme en Provence ?
On ne peut bien sûr pas grand-chose pour le prosecco et le cava. Ce sont des produits différents des nôtres. Il s’agit surtout de la création de cahiers des charges opportunistes sur lesquelles on veille : on ne veut pas de création de production dans les mêmes territoires [NDLA : que les crémants] avec une multitude de cépages et des conditions de production floue dans le but de s’engouffrer dans le marché de la bulle par opportunisme. Aucun territoire n’est ciblé, c’est une vigilance générale. On veut absolument éviter toute confusion dans l’esprit du consommateur. Nous voulons simplement que les appellations qui sont prétendantes à la production de bulles se rappellent qu’il leur faut démontrer leur antériorité, leur savoir-faire… Attention à ne pas faire n’importe quoi et à discuter avec la fédération des crémants. On ne veut pas d’opérateurs opportunistes. Nous avons méné des actions qui ont porté leurs fruits : beaucoup de cahiers des charges ont été recalés [NDLA : de 2016 à 2019 avec des procédures judiciaires contre des cahiers des charges de vins IGP]. Nous veillons et continuerons à veiller.
Le succès commercial des crémants pourrait créer un appel d’air pour les producteurs de vins rouges en crise basculant sur la bulle et pouvant déséquilibrer le marché. À Bordeaux, il y a une augmentation annoncée des contrôles ce millésime 2024…
Le cahier des charges des crémants est très strict, notamment avec l’obligation de vendanges manuelles. La tentation est forte, au vu des difficultés de certains viticulteurs, de se faciliter la vie en produisant des crémants à prix moindre [sans respecter les contraintes de l’AOC]. Ce serait une concurrence totalement déloyale par rapport aux faiseur historiques qui respectent à la lettre les conditions du cahier des charges. Pour des raisons économiques, des néo producteurs pourraient être tentés de faire des vins effervescents à la va vite pour approvisionner des acheteurs opportunistes. Ce serait catastrophique pour l’image des crémants.
On ne peut pas supporter la concurrence déloyale de gens qui, par désespoir, produiraient des volumes défavorables à l’appellation. Le syndicat de l’AOC Crémant de Bordeaux est attentif avec un contrôle de tous les producteurs déposant une intention de production (au plus tard 8 jours avant la récolte), les techniciens font ensuite des contrôles de terrain pour vérifier que les parcelles déclarées ont bien été récoltées à la main, que le pressurage a été conforme et que la traçabilité va bien des raisins à la cuve (avec la récolte dans des contenants ajourés ne dépassant pas 300 kg par exemple). C’est essentiel, sinon on va casser le jouet. Ça serait une catastrophe qui tirerait encore plus tout le monde vers le bas. Nous sommes obligés d’être rigoureux, c’est une question de la survie. Faire du crémant, ça ne s’improvise pas.
Dès que l’on parle de pilotage de la production de vins effervescents, on pense au modèle champenois. La Fédération canalise-t-elle des pistes de contrôle des rendements et/ou de mise en réserve ?
La main reste à chaque région, pour gérer les décisions de rendement et de mise en réserve. La fédération peut permettre de discuter entre régions pour harmoniser les outils. Mais chaque région reste spécifique selon son histoire et ses commercialisations.
Au niveau des dossiers suivis par la fédération, il y a les Variétés d’Intérêt à Fin d’Adapatation (VIFA), la demande de lieux-dits en Bourgogne, la demande d’appellation Savoie…
Le dossier VIFA fait partie des travaux techniques de la fédération. Les contraintes environnementales en font un sujet important. Chaque Organisme de Défense et de Gestion (ODG) a la main pour faire ses propositions : on a tous des terroirs différents, on en discute nationalement s’il faut porter des demandes spécifiques. Nous portons auprès de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) la reconnaissance des lieux-dits et climats sur une aire d’appellation plus petite. Cela existe déjà en Champagne et en crémant de Loire. La Savoie peine à avoir son appellation à proprement parler (étant "vins de Savoie crémant" actuellement), il faut porter nationalement sur ce sujet pour qu’il aille au niveau européen.