ins sous contrôle de la production à la commercialisation pour ne pas s’éventer, les effervescents ont la crainte du gerbage où le bruit et les bulles emportent tout le travail patiemment réalisé. Alors que les vins de Bordeaux sont en crise commerciale, le développement croissants de vins de base blancs de noirs alerte la filière des Crémants de Bordeaux qui ne veut pas que l’appel d’air de son succès aboutisse à un retour de balancier tel que celui subi par les vins bio (passés en quelques années de la sous-production valorisée aux surstocks en difficulté).
La tentation est grande de se lancer dans les crémants alors qu’"il fait toujours beau au-dessus des nuages" chante Zaho de Sagazan dans la Symphonie des éclairs, citée par Lionel Lateyron, le nouveau président des négociants élaborateurs de crémants de Bordeaux (dizaine d’opérateurs). Si tous les feux sont au vert pour les fines bulles de Gironde, la section crémant des AOC Bordeaux écoute "sous la pluie la symphonie des éclairs" pour éviter de se faire emporter sous la chape orageuse qui agite la Gironde. « Il faut anticiper avant que la brume ne mont à nos pieds » tranche Lionel Lateyron, qui rapporte qu’un récent comité de pilotage de la section des crémants de l’AOC Bordeaux affiche l’objectif d’avoir 3 années de commercialisation en stock après la vendange 2024, « pas plus, pas moins » (avec la vendange rentrée, les vins sur lattes et les vins en dégorgement).
Avec des stocks qui oscillent actuellement entre 2,5 à 3 ans, les crémants veulent donc rester stable pour assimiler les dernières croissances de production (« les surfaces ont doublé en deux ans, les volumes ont été multipliés par 5 en 10 ans* ») et assurer la valorisation (« en grande distribution, on a un prix moyen inférieur d’un euro à celui des crémants de Bourgogne : il n’y a aucune raison pour que l’on ne soit pas au même prix ») explique Lionel Lateyron, qui appelle à éviter deux périls : « premier écueil, les opportunistes qui veulent se lancer alors qu’ils n’ont pas forcément les outils de production ni les bons conseils d’élaboration. Deuxième écueil, les escrocs qui vont produire sans respecter les règles du cahier des charges : machine à vendanger, pressoir inadapté… »
Pour que son cahier des charges soit bien appliqué ce millésime 2024, la section crémant de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) annonce cette année que 100 % de ses opérateurs seront contrôlés (ils l’étaient à 90 % l’an passé, sans anomalie particulière relevée). Les producteurs de crémant devront se déclarer avant les vendanges (8 jours minimum), réaliser une récolte manuelle (à 100 %), produire 100 litres de moûts pour 150 kilogrammes de raisins mis en œuvre (avec une pesée obligatoire de la vendange), les élaborateurs doivent assurer une prise de mousse et un stockage sous contrôle thermique (respectivement 14 et 20°C maximum)… « Ce sont des conditions strictes. Il faut même que l’élaborateur ait un outil d’homogénéisation de la liqueur d’expédition avec le vin » relève Lionel Lateyron.


Rappelant qu’il y a des alternatives à l’AOC en Gironde, comme la méthode traditionnelle, les vins mousseux, les pét’nat’… Lionel Lateyron défend que l’« on ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et s’affranchir des contraintes de l’AOC ». Il se rappelle l’an passé d’une convocation de las section crémant de l’ODG par Bordeaux Négoce pour envisager la réduction de la durée de conservation en bouteilles sur lies. « Nous avons tous été unanime : on ne change pas les règles pour répondre à une demande de hard-discount » pose Lionel Latyeron, qui appelle à respecter le travail réalisé par tous depuis des années afin de « permettre à chacun, vigneron, courtier, élaborateur, négociant, d’avoir une marge pour vivre. Je travaille avec 45 viticulteurs : j’ai humainement de la peine quand l’un dit à son fils de ne pas rester sur la propriété. Ça fait mal aux tripes. »
Pour piloter l’AOC des crémants de Bordeaux à l’avenir au-delà des restrictions du cahier des charges, Lionel Lateyron reconnaît que l’exemple du Champagne s’impose, avec ses rendements fixés annuellement et assortis d’une réserve climatique individuelle. « Il faut arriver à la gestion des stocks pour que les cours ne s’écroulent pas en raison de stocks trop importants ou d’une pénurie. La réserve est à l’ordre du jour pour stabiliser les choses. Ça peut aller vite » espère le défenseur devant l’éternel des bulles AOC : « quand on fait du crémant, on s’engage dans une filière » conclut-il.
* : En 2023 à Bordeaux, il y a eu 112 000 hl de crémants blancs produits sur 1 700 ha (+81 et +71 %) et 15 000 hl de crémant rosé pour 200 ha (-51 et -51 %).