e lançant progressivement (pour les crémants et les blancs), les vendanges bordelaises du millésime 2024 ne sont évidemment pas encore jouées dans leurs qualités et quantités ce début septembre, mais une tendance semble déjà acquise dans le vignoble : les volumes ne seront pas pléthoriques. Cette année, Bordeaux produirait 3,89 millions d’hectolitres de vin d’après les toutes dernières estimations ministérielles, en repli de 10 % par rapport à la déjà très petite vendange 2023 et de -16 % en comparaison à la moyenne quinquennale.
Pour l’appellation régionale, on entend parler de 850 à 900 000 hl d’AOC Bordeaux rouge. Ce qui serait une nouvelle chute conséquente après les 930 000 hl atteints en 2023, un niveau plancher qui avait marqué la descente de l’AOC régionale en dessous de la barre du million d’hectolitres. « On avait beaucoup communiqué sur une récolte historiquement basse en 2023. On est quasiment sûr qu’elle sera plus basse encore en 2024 » confirme Stéphane Gabard, le président des AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Tout juste réélu à la présidence de l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG) pour un « mandat de continuité » (voir encadré), le vigneron de Galgon juge « plausible » pour l’AOC Bordeaux rouge de passer en dessous des 900 000 hl « au vu des premiers ramassages » (en blancs et crémants).
Deux facteurs expliquent cette petite récolte annoncée. Premièrement : la perte de surface de production revendiquée en AOC Bordeaux. Un repli causé par les arrachages (8 000 hectares du plan sanitaire financé par l’État et l’interprofession, une surface inconnue de vignes arrachées hors plan pour restructuration), par les friches (les vignes abandonnées continuant de se multiplier sur un millésime difficile économiquement et climatiquement) et par le développement d’autres débouchés (IGP Atlantique et vin de France).
Deuxièmement : la nouvelle baisse des rendements. Le volume de raisin à l’hectare étant réduit par la forte pression mildiou (qui « a fait peut-être faut moins de dégâts que l’an passé, mais sur plus de surfaces » avance Stéphane Gabard), la mauvaise floraison (entraînant coulure et millerandage), un été plutôt sec (désormais contrebalancé par une rentrée humide) et des attaque de vers de la grappe en fin de campagne (accentuant l’hétérogénéité). En l’état, « on sait que le rendement moyen ne sera pas haut. Peut-être sera-t-il supérieure à celui de l’an passé, mais avec les pertes de surfaces on sait que l’on produira moins » résume Stéphane Gabard.
Avec moins de 900 000 hl de Bordeaux rouge produits en 2024, « on a un potentiel de production bien en dessous du niveau de commercialisation » indique Stéphane Gabard, alors que l’AOC commercialise désormais 1,1 hl et garde en stock 14 mois de commercialisation (1,3 million hl). De quoi garder vif l’espoir d’une augmentation des cours du vin en vrac. Dans ce contexte, « on peut encaisser une hausse des prix » souligne Stéphane Gabard, qui rapporte que « dans le discours, le courtage et le négoce prennent conscience de ce déséquilibre qui pointe. On est en train de tendre le marché, même si l’on n’y est pas de suite. Il y a une prise de conscience dans les paroles, pas dans les actes. Même si l’on entend plus parler de contractualisation et de frémissements pour sécuriser les achats. Mais cela reste un signal faible. Il n’y a pas de reprise significative des transactions en volumes et prix. »
En témoigne le bilan de la dernière campagne pour le vrac, où la prise de postiion interprofessionnelle du début d’année pour que le tonneau de Bordeaux rouge ne tombe plus en dessous de 1 000 € ne s’est pas concrétisée malgré la baisse des stocks constatée. Un message de revalorisation laissé lettre morte. Et « pas qu’un peu : totalement. Même en rétablissant les équilibres, on a du mal à remonter les valorisations. Il faut arrêter que ce soit le marché qui dicte la tendance des prix » réagit Stéphane Gabard, qui appelle à des avancées réglementaires rapides pour valoriser la production de vin. Ce qui passerait par la relance d’un projet législatif sur Egalim et un décret créant des Organisations de producteurs dans la filière vin.


Si le vignoble bordelais réclame des gestes forts du nouveau gouvernement pour la valorisation des vins, il espère un changement de logiciel de la grande distribution sur les prix d’appel. Les mises en avant de prix cassés par la foire aux vins d’automne de Lidl ne passe pas. « Nous ne sommes pas surpris, ils nous avaient averti [lors de la réunion entre filière et distributeurs] que les contrats étaient signés depuis un an, on se doutait que la foire aux vins se ferait à prix bas » rapporte Stéphane Gabard, mais « nous sommes surpris que les distributeurs n’aient pas compris la colère paysanne de l’hiver [NDLA : ciblant notamment un vin de Bordeaux vendu 1,89 € avec promotion chez Lidl]. Ils pouvaient proposer des prix attractifs sans aller encore plus bas. Je ne me fais pas d’illusion, ils n’auraient pas donné plus à la viticulture et auraient eu plus de marge pour eux, mais ils auraient affiché du respect. »
Malgré l’émotion perceptible en Gironde sur ces petits prix, aucune manifestation n’a été organisée cette rentrée, contrairement aux multiples actions de protestation du début d’année. La faute aux vendanges qui commencent. Mais aussi aux poursuites lancées par le négociant Castel envers deux syndicats agricoles et le porte-parole du collectif Viti 33 après les dégradations d’une manifestation ? « Je ne le crois pas. Je regrette cette action en justice, qui n’est ni bonne pour Castel, ni pour nos représentants syndicaux » répond Stéphane Gabard, qui « déplore » et « condamne » les dégradations, mais sera « parmi les premiers à aller manifester chez un distributeur s’il y a de nouvelles manifestations dans le respect des biens et des personnes. Il en va de notre survie. » Évoquant une « hémorragie » du vignoble girondin, le président de l’AOC Bordeaux craint que la machine de production bordelaise ne se dégrade trop rapidement, alors que les marchés pourraient reprendre et se retrouver face à une « machine cassée ».
Renouvelant annuellement sa présidence, l’ODG Bordeaux n’avait qu’un candidat : Stéphane Gabard, élu depuis la fin 2020. Pourquoi se représenter quand ce poste concentre toutes les critiques et qu’il ne semble y avoir que des coups à prendre ? « Il faut être un peu maso à vouloir se faire chahuter fréquemment » esquisse dans un sourire Stéphane Gabard, qui reprend plus sérieusement : « ce n’est pas par plaisir [que je rempile], c’est la volonté du capitaine de ne pas quitter le navire quand il est en mauvaise posture. Il y a une frange de viticulteurs qui pense que l’on est responsable de tout. D’autres voient que Bordeaux ne va pas mieux que les autres. S’il suffisait de changer les hommes à la tête d’un syndicat pour relancer l’appellation, ça serait facile. »