l semble que de plus en plus d'appellations d'origine, à Bordeaux notamment, souhaitent adapter leur cahier des charges par rapport à des tendances de marché de diversification et de premiumisation : Entre-deux-Mers rouge, Médoc blanc, Bordeaux claret, premières Côtes de Bordeaux rouge/rosé… Cela peut-il remettre en cause des principes fondamentaux des appellations d'origine, avec des évolutions plus opportunistes que traditionalistes ?
Laurent Fidèle : À ce jour, l’INAO a instruit et mené à son terme le dossier de l’Entre-deux-Mers rouge, pour lequel nous allons avoir de premières revendications. Nous sommes en train de travailler activement avec la commission d'enquête qui vient d’être nommée sur le Médoc blanc, dont les travaux sont en cours. Dans ce cadre-là, nous travaillons selon les orientations du comité national et du groupe de travail sur l’extension et les nouvelles couleurs. Si vous avez abordé l'idée qu’il s’agisse des nouvelles appellations, ce n'est pas le cas, ce sont bien des appellations existantes. Il s'agit simplement, entre guillemets, de les étendre à une nouvelle couleur.
Le comité national avait revu ses orientations le 30 novembre 2023 en réactualisant des principes adoptés en 2001. Les critères adoptés prévoient une antériorité de production, une dynamique syndicale forte et un certain nombre de points pour l'intégration de la nouvelle couleur en cahier des charges (respecter la liste des cépages de l'appellation régionale, prévoir des rendements plus bas et les mêmes dispositions agro-environnementales que l'appellation de la première couleur…). Les commissions d'enquête qui sont nommées ont à cœur de s'assurer du respect des principes qui ont été actés par le comité national. C'est ce que nous avons fait. La première fois pour l'Entre-deux-Mers rouge.
Où en sont les autres AOC souhaitant se doter de nouvelles couleurs ?
Nous n'avons pas à ce jour d’autres dossiers déposés sur le bureau de l'INAO. Nous avons effectivement des dossiers émergents qui en sont aux prémices. Nous avons effectivement des velléités qui ont été exprimées par les premières côtes de Bordeaux, mais nous n'avons pas de dossier formalisé. Nous avons également une demande similaire pour les côtes de Bordeaux Saint Macaire qui n’est pas formalisée à ce jour (pour un élargissement au rouge, l’AOC étant 100 % blanche à date). On ne peut parler que de réflexions qui en sont vraiment aux prémices.
Pour élargir une AOC existante à une nouvelle AOC, cela ne peut être fait ex-nihilo : il faut qu’il y ait déjà cette couleur produite sur la zone avec une dynamique commerciale porteuse pour démontrer la légitimité de cette demande.
Ill faut effectivement une antériorité de production. Selon les orientations du comité national, on considère qu'il faut une antériorité d'au moins 10 ans dans la couleur considérée. Ça sera aussi à l'Organisme de Défense et de Gestion (ODG) de la démontrer.
Dans l’histoire récente des AOC en Gironde, il y avait dernièrement beaucoup d'enjeux sur l’adaptation au changement climatique par les cépages ou la réponse aux demandes sociétales par les mesures agroenvironnementales, mais désormais la tendance semble être à l’ajout de couleur.
Chacun est attentif et cherche à mieux identifier sa production. C'est aussi un marqueur important de l'intérêt des appellations d'origine : mieux localiser l'origine de la production. Le premier souhait est de rattacher ces raisins à l’appellation d'origine. Autant que faire se peut, sous réserve qu'il y ait une typicité et une identification de la production par rapport à l'appellation socle Bordeaux.
Ces ajouts de strates de couleurs peuvent sembler aller à l’encontre de la demande du marché de simplifier l’offre du vignoble français qui forme déjà un millefeuille difficilement lisible.
C’est l'interrogation effectivement. Sachant qu’il s'agit d'extension de nouvelles couleurs, pas de créations de nouvelles AOC. On ne crée pas en l'occurrence de nouvelles appellations, mais on cherche à identifier de nouvelles couleurs au sein du cahier des charges déjà existant. Le travail qui est mené répond certainement à l’une des attentes du marché, sur la diversification d'une appellation Bordeaux qui était très orientée vers le rouge.
Avec l'Entre-deux-Mers rouge ou Saint-Macaire, il y a la volonté d’AOC spécialisées dans le blanc de se positionner sur le rouge pour segmenter une offre trop massifiée en appellation régionale.
C'est le souhait d'avoir une meilleure identification des terroirs au sein de l'univers Bordeaux. Que les indications géographiques permettent à chacun de mieux valoriser sa production.
Finalement, ces extensions de couleur témoignent de l'attachement girondin envers les appellations d’origine et le souhait de trouver de nouvelles façons de les faire évoluer sous la surveillance de l’INAO.
Il s’agit de participer à l'innovation des appellations, qui peuvent et doivent évoluer, tout en respectant les fondamentaux du concept de d'appellation.