u volume et de l’intensité en bouche. Voilà ce qui ressort, neuf mois après les vendanges, de la cuve 100 % grenache vinifiée avec la levure Smoozberry de l’IOC à la cave de Rasteau, dans le Vaucluse. L’an dernier, Thierry Caymaris-Moulin, l’œnologue de cette coopérative, a voulu tester cette nouvelle souche révélatrice des arômes variétaux des cépages noirs.
« Nous avons récolté et vinifié deux cuves de 200 hl selon le même protocole, sauf que l’une a fermenté avec Smoozberry et l’autre avec R 9008, notre levure habituelle pour les rouges. Nous avons récolté les raisins à 15° potentiels. Comme d’habitude, nous avons pratiqué une macération de 20 jours. Les cinétiques de fermentation ont été presque similaires avec les deux levures, excepté qu’il a fallu un jour de plus à Smoozberry pour finir la fermentation alcoolique », détaille Thierry Caymaris-Moulin. Ensuite, la malo s’est déroulée pareillement dans les deux cas.
Dès la fin de la fermentation alcoolique, une différence est apparue entre les deux lots. « Pas au niveau aromatique : on avait les mêmes notes de fruits mûrs, rouges et noirs, dans les deux cuves, mais pas de même intensité, assure l'œnologue. Le vin vinifié avec Smoozberry avait beaucoup plus de volume en bouche que l’autre. Et après la malo et l’élevage, la différence s’est encore accentuée. »
L’œnologue a ajouté 15 % de ce vin à un assemblage de grenache, syrah, carignan et mourvèdre qui manquait d’intensité. « Le résultat est fabuleux, rapporte-t-il. Cela a apporté de la structure au vin et gommé l’astringence que l’on avait en fin de bouche, à cause d’une maturité phénolique insuffisante au moment de la vendange. »
Au Château Lastours, à Lisle-sur-Tarn, Adrien Hudeley a testé Ruby de chez Lallemand, une autre levure sélectionnée pour révéler des thiols dans les vins rouges. Lui aussi est agréablement surpris du résultat. « J’ai vinifié deux cuves de syrah, l’une avec Vitilevure Syrah, et l’autre avec Ruby, décrit-il. Dès l’écoulage, on a noté une vraie différence. La cuve vinifiée avec Ruby présentait des arômes de fruits rouges frais, de bourgeon de cassis, de groseille et de myrtille. Alors que dans l’autre émanait, sans surprise, des notes de garrigue propres à la syrah. On a alors assemblé les 100 hl vinifiés avec Ruby à notre gaillac rouge tradition 2023, à hauteur de 20 %, et on a retrouvé au nez cette fraîcheur et ces notes végétales de bourgeon de cassis, tout en conservant en bouche le côté rustique et sauvage de la syrah tel que le connaissent nos clients. »
Alors que ce gaillac est encore en cuve, Adrien Hudeley espère qu’il ravira les consommateurs et répondra à leur demande pour des vins plus frais et plus faciles à boire. Et il prévoit d’ores et déjà d'utiliser Ruby sur du duras et de la syrah, cette année, et même du malbec pour ses vins en IGP.
C’est également pour proposer un vin plus frais et plus bistronomique que Romain Traste, œnologue-conseil indépendant en Gironde, a suggéré à Aude et Daniel Brulatout, propriétaires du Château Florie-Aude, à Aubie-et-Espessas, de vinifier 100 hl de merlot avec Ruby l’an dernier. « En fin de fermentation, on notait déjà des notes thiolées, de fruits frais et de bonbons aux fruits, comme on peut en retrouver dans des sauvignons blancs du Languedoc, rapporte Romain Traste. Mais lorsqu’on l’a assemblé à une autre cuve de 100 hl de merlot vinifiée classiquement, le résultat a été explosif. On avait des arômes de grenade et de grenadine, beaucoup de sucrosité et des tanins soyeux. »
Aude et Daniel Brulatout étaient tellement satisfaits du résultat qu’en fin de vendange, ils ont vinifié une seconde cuve de 200 hl de merlot avec Ruby. « Cette levure a apporté des notes de fruits frais et de compote de fraise, du volume et de la structure, indiquent-ils. Et on a utilisé cette base comme un exhausteur de goût pour redonner de la fraîcheur et du peps à 7 000 hl de vins vinifiés entre 2017 et 2022 qui dormaient dans le chai. Un pari gagnant puisque nous avons réussi à vendre une partie de ces hectos cet hiver, grâce à ce regain de fraîcheur. » Pour la prochaine vendange, ils prévoient de renouveler l’expérience sur 300 hl de merlot.
Ruby et Smoozberry ne sont pas les seules levures révélatrices de thiols sur les vins rouges du marché. Sofralab propose Selectys Thiol Rouge et Laffort, Zymaflore Eden. Encore en cours de lancement de leur souche, ces deux fournisseurs n’ont pas souhaité communiquer les résultats des premiers essais menés en 2023. Cette année, de nouvelles vinifications seront menées. De nouveaux arômes émaneront peut-être des cuves de rouge.
Dans le Médoc, Romain Traste, œnologue-conseil chez Ecotone œnologie, a vinifié un blanc de noirs avec une levure révélatrice de thiols dans les rouges pour un château bordelais. « Pour aller chercher les arômes thiolés du cabernet-sauvignon, on a faitconduit un essai sur 10 hl avec Ruby de Lallemand. Après pressurage direct, nous avons ensemencé à 20g/hl comme pour vinifier un vin blanc. Et à la dégustation en fin de FA, surprise : des arômes thiolés, un nez légèrement soufré, des notes de buis et un soupçon de fruits exotiques. On pourrait s’y méprendre avec un sauvignon blanc lors d’une dégustation à l’aveugle. » Le château prévoit de commercialiser ce vin à la rentrée et de renouveler l’expérience avec un volume plus important, selon le succès que rencontrera cette nouvelle cuvée.