llez-vous souvent faire un tour dans le rayon des vins mousseux en Grande Distribution (GD) ? Si ce n’est pas le cas, la visite vaut le détour : vous pourrez découvrir sur les contre-étiquettes les nuances subtiles entre "produit de France" et "produit en France". De petits caractères pour de grosses différences d’approvisionnement qui ont irrité lors de récentes opérations syndicales dans les linéaires du Midi. « La mention "produit en France" signifie seulement que la prise de mousse a été faite en France à partir d’un vin d’Espagne : il n’y a que les bulles qui sont ajoutées en France, mais le consommateur ne s’en doute pas » critique Jean-Pascal Pelagatti, responsable pour le biterrois de la Fédération Départementales des Syndicats d'Exploitants Agricoles de l’Hérault (FDSEA 34). « La marque "Café de Paris" devrait être renommée "Café de Madrid" » grince Cédric Saur, secrétaire général de la FDSEA34.


« C’est tout à fait légal et dans les clous. La transformation technique fait le produit final » défend Jean-Jacques Bréban, le président du syndicat français des vins mousseux. Pour le négociant provençal, « il y a beaucoup de polémiques et de violence, mais si aujourd’hui il y a des importations de vins blancs d’Espagne, c’est parce que l’on n’a pas la matière première en France. Au lieu d’arracher, que Bordeaux produise des vins blancs pour mousseux. Je comprends que ce soit compliqué pour des vignerons à l’agonie de voir des vins importés. Mais au lieu de taper au plus facile en allant s'énerver dans la grande distribution, il faut chercher des solutions. Et je rappelle souvent aux vignerons qu'ils ont eux-mêmes des tracteurs qui ne sont pas français... »
Alors que ses principaux concurrents sur le segment des vins mousseux, Kriter (groupe Castel) et Charles Volner (Compagnie Française des Grands Vins) affichent un sourcing 100 % français dans les vins de base (mention "produit de France"), la marque Café de Paris (négoce Cordier, filiale du groupe coopératif InVivo) est dans le viseur d’un certain nombre d’opérateurs de la filière vin avec les drapeaux bleu-blanc-rouge de certaines cuvées et cette image parisienne bien éloignée de ses approvisionnements de vins de base. Si Cordier n’a pas donné suite aux multiples sollicitations de Vitisphere, il se dit que la marque Café de Paris utiliserait moins de 50 000 hectolitres de vins, majoritairement espagnols et italiens.
Rachetée en 2019 au groupe Pernod Ricard, la marque Café de Paris fait partie de ces vins mousseux sans origine claire, qui sont loin d’être en perte de vitesse. Hors champagnes, les bulles ne connaissent pas la crise en grande distribution. Analyste consultant pour Nielsen, Yannis Chemlal distingue un marché des vins effervescents en chute pour les champagnes (-20 % ce début d’année) et une tendance positive pour les autres bulles (132,6 millions de cols sur l’année glissante s’achevant fin janvier 2024, +2 % en un an), d’abord en AOC (44,9 millions cols, +4 % en volume pour les crémants et clairette de Die) en « remplacement à la consommation du Champagne », substitution qui « profite aussi aux vins étrangers », le premier vainqueur étant le Prosecco (18 millions cols, +10 % porté par la tendance du cocktail Spritz, comme en témoignent les ventes d’Aperol), quand les vins mousseux affichent +4 % (à 16,6 millions de cols).


Ayant encore un marché, qui plus est en croissance, les vins mousseux d’entrée de gamme posent une question stratégique à la filière vin : la possible bascule d’une partie des excédents de surfaces viticoles à arracher et de volumes de vins en excédent vers ces bases de vins mousseux. Une restructuration qui n’est pas facile, mais pas impossible alors que l’origine France peut devenir un argument commercial de valorisation et de croissance. En témoigne Frank Ribayre, le président de CFGV (marque Charles Volner) : « nous communiquions par le passé sur une mention "Produit en France " bien que la matière première soit déjà 100 % française. Devant l’intérêt manifesté par nos consommateurs et afin de valoriser l’origine "France" très appréciée ces derniers temps, nous avons fait le choix de communiquer clairement sur l’origine "France" de nos vins par la mention "Produit de France" et le drapeau français présent sur la contre étiquette. »
Une réorientation de communication qui pourrait inspirer une réorientation d’approvisionnement pour d’autres opérateurs ? Et peut-être relancer InVivo dans les objectifs de la nouvelle identité de sa filiale vin, dévoilée l’été 2022 (du moins s'il n'y a pas de désengagement de la filière vin, voir encadré). Le slogan il y a deux ans étant : « engagés aujourd’hui, créatifs pour demain » l’idée étant pour Cordier, au-delà de l’animation de marques internationales, d’être « un acteur qui entend faire bouger les lignes du monde viticole, afin de transformer durablement la filière et de tendre à l’excellence via des nouvelles pratiques et des standards de qualité ». La communication de l’époque ajoutant que comme « producteur, marketeur etdistributeur, Cordier a pour raison d’être de générer de la valeur responsable en créant des boissons qui inspirent et régalent les générations d'aujourd'hui et de demain ». En passant le cap de l’approvisionnement français ?
Tenant de l’ancien monde pour rentabiliser une marque, un expert du monde coopératif agricole tacle l’apparente dissonance entre le discours et les pratiques de Cordier : « InVivo c’est InPipo, ils disent tout haut ce qu’ils voudraient faire et ne disent pas ce qu’ils font réellement ». Et l’aspect coopératif du groupe n’est pas pour apaiser les crispations, un coopérateur du Midi pointant que « Cordier se comporte comme un négociant. Même pire parfois. Comme d’autres groupes coopératifs… » Pour franciser l’approvisionnement, « l’argument pour ne pas y aller dans l’industrie, c’est que ces vins n’existent pas ou plus en France. C’est faux » note un connaisseur du négoce français, pointant l’existence de vignobles productifs ou d'importants volumes invendus en France, n’hésitant à estimer qu’« il faut relocaliser cet approvisionnement sous la contrainte réglementaire. La prise de mousse est une transformation faite en France, c’est légal. Immoral mais légal. » Pour les vins mousseux, Jean-Jacques Bréban prévient que « notre syndicat a toujours prôné l’approvisionnement en France. Attention à ne pas trop interdire, sinon toute l’économie va finir par se casser la figure. »
Ces crispations internes à la filière vin se traduisent par une demande de meilleure transparence sur les origines communiquées aux consommateurs. « Ce n’est pas pour stigmatiser un opérateur ou un autre, mais pour que l’achat soit fait en connaissance de cause. Ces sujets d’étiquetage et de marques ne concernent pas que le négoce. Des vignerons indépendants et des caves coopératives peuvent aussi être épinglés » pointe un représentant syndical national, soulevant des enjeux similaires pour les brandies, boissons aromatisées à base de vin, apéritifs… Allez-vous souvent faire un tour dans ces rayons ? La visite avertie en semble instructive…
Etiquette et contre-étiquette de Cafe de Paris.
"InVivo pourrait-il faire marche arrière au sujet du vin ?" demande Rodolphe Wartel, le directeur général de Terre de Vins (groupe Sud-Ouest), à Thierry Blandinières, le directeur général du groupe InVivo (15 000 salariés pour 12 milliards € de chiffre d'affaires), lors d'un dîner du Bacchus Business Club ce mardi 5 mars à Bordeaux. "Clairement, on tend la main aux autres groupes. On pense qu'il faut se rapprocher. On est prêts à co-construire avec d'autres groupes un pôle leader. C'est le moment de structurer quitte à être minoritaire" indique Thierry Blandinières. "Un pavé dans la mare" pour Rodolphe Wartel sur Linkedin. Ou un aveu de faiblesse entre les folles ambitions affirmées par InVivo depuis son entrée dans la filière vin en 2015 (avec l'acquisition de Cordier Mestrézat, puis le rapprochement avec UCCOAR-Val d'Orbieu devenu Vinadeis, des acquisitions jusqu'en Afrique du Sud, la cession de Moncigale, mais l'acquisition à l'amont de Soufflet Vignes...). Mais l'objectif du milliard d'euros de chiffre d'affaires annoncé en 2015 pour 2025 semble désormais bien éloigné des 300 millions d'euros actuellement cités. Tout comme l'objectif des 30 caves coopératives adhérentes pour 2016, quand on en compte 10 actuellement (Bordeaux, Beaujolais, Vallée du Rhône, Languedoc, Roussillon...).