Les critiqueurs sont un peuple sévère » écrivait de la Fontaine (dans son conte le Remède). Mais que les choses soient claires : « on est un organisme de la filière au service de la filière » pose la négociante Alexandre Pensivy, la présidente de Quali Bordeaux depuis la fin 2020 (9 000 échantillons traités et 450 contrôles menés chaque année sur 7 100 opérateurs suivis pour 128 000 hectares de vignes). « On n’est pas hors sol » ajoute l’œnologue Régis de Lescar, le directeur de l’organisme de certification depuis sa création en 2007 (sous la tutelle de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, INAO). Une naissance pilotée par la filière bordelaise pour se doter d’un outil mutualisé de contrôle de ses vins AOC (Quali Bordeaux contrôlant 93 % de la surface viticole en Gironde, avec des activités à Bergerac, Duras et Marmande*). Un principe de mutualisation fondateur qui serait trop oublié par ses critiques selon l’organisme de contrôle. « Le discours de fonds [de nos critiques] est que tout est trop cher. Bien sûr, tout est trop cher pour quelqu’un qui ne gagne pas sa vie. Mais la mutualisation fait que le coût est réduit pour les petits » défend Régis de Lescar. « Les cotisants ne connaissent pas les coûts de contrôles » regrette Alexandra Pensivy, qui note que « s’il n’y avait pas mutualisation, les contrôles coûteraient bien plus chers ».
« Nous avons les mêmes contrôles pour les petits que les gros, que ce soit 20 ou 200 hectolitres pour le prélèvement d’échantillons, les analyses, les dégustations dédommagées… Personne ne se rend compte du coût réel d’un contrôle » confirme Régis de Lescar, soulignant que les coûts sont partagés entre viticulture et négoce. Si Quali Bordeaux augmente ses cotisations de 6 % cette année (première hausse depuis 2016), l’évolution est limitée depuis 17 ans, passant de 29 centimes/hl en AOC Bordeaux à 50 hl/ha à 33 cts/hl « grâce à une gestion performante et économique » Rapporte son directeur (citant notamment des réductions du personnel : 21 salariés actuellement, contre 24 par le passé).


Une optimisation qui n’est pas forcément perçue dans le vignoble. Par exemple par le vigneron Michel-Éric Jacquin, qui siège au conseil d’administration de l’ODG Bordeaux et Bordeaux Supérieur, où il n’a pu mettre sur la table la question du remboursement cotisations pour les vins envoyés à la distillation de crise. « Une facturation de contrôle qui n’est pas effectué, c’est anormal. Et c’est anormal de ne pas pouvoir en parler » estime-t-il, indiquant qu’un coût de 16 centimes par hl et 7,5 €/ha, « ça fait des sous » alors que « le prix de la distillation de crise couvre à peine la moitié du coût de production, et en plus, il faut payer un contrôle qui n’existe pas ! » Et « c’est un symbole. En période de crise, il faudrait que les institutions soient solidaires avec les entreprises en train de crever. » Estimant à 610 000 hl les vins de Bordeaux distillés pour 13 500 ha (avec 45 hl/ha de rendement moyen), Michel-Éric Jacquin reproche à « Quali Bordeaux de facturer environ 198 000 € HT de prestations non effectuées auprès des entreprises adhérentes à l’ODG de Bordeaux. Il faut rappeler qu’il s’agit de la deuxième distillation de crise. »
Reprenant le fil, Régis de Lescar détaille que « les frais de contrôle dits mutualisés appelés sur une récolte revendiquée en AOC par un opérateur servent, comme indiqué dans la grille tarifaire de l’association, à financer l’ensemble des contrôles effectués sur les opérateurs habilités de la filière pour l’année suivante (les siens comme ceux de ses voisins) indépendamment de leur production. Ils couvrent les contrôles des conditions de production, les contrôles analytiques et organoleptiques et le contrôle des ODG dans le respect des fréquences prévues par le plan de contrôle de l’AOC. Les frais de contrôle sont donc proportionnels à la production de chacun (les gros payent pour les petits), appelés à l’hectolitre et à l’hectare et ne sont rattachés ni à un opérateur, ni à un lot spécifique de vin. L’envoi par l’opérateur de tout ou partie de sa production à la distillerie ne constitue donc pas pour Quali-Bordeaux un motif de remboursement des cotisations collectées. »
« L’avenir de ce qui est revendiqué dans la déclaration de récolte ne nous regarde pas, le budget de Quali Bordeaux n’a pas à en pâtir : il faut les mêmes contrôles » ajoute Alexandra Pensivy, qui résume la politique de l’organisme : « on ne rembourse pas, en cas de difficultés on étale ». Faisant cette année face à plus d’impayés, Quali Bordeaux se pose en « organisme de filière. Dès que l’on nous appelle, nous étalons au maximum. Il ne faut pas hésiter à nous appeler : on est à l’écoute » pointe sa présidente, rappelant qu’il s’agit de choix des représentants de la filière, via son conseil d’administration.
Alors que des campagnes d’arrachage sont encore à venir pour le vignoble bordelais, la décroissance des surfaces et volume peut complexifier les équilibres économiques de Quali Bordeaux. « C’est la limite de la clé de répartition par mutualisation. Le nombre de contrôles n’est pas proportionnel aux surfaces et volumes, alors que les cotisations le sont » pointe Régis de Lescar. De quoi anticiper de nouveaux débats… « Les critiqueurs sont un peuple sévère » écrivait de la Fontaine.
* : Regroupant 19 ODG adhérents (Bordeaux, Côtes de Bordeaux, Saint-Émilion, Médoc, Bergerac-Duras, Entre-deux-Mers, Blaye, Côtes de Bourg, Graves, Cadillac, Sauternes, Pomerol, Fronsac, Pessac-Léognan, Saint-Macaire, Graves de Vayres, Sainte Foy, Marmande…) Quali Bordeaux ne travaille pas pour cinq appellations communales du Médoc (Pauillac, Moulis, Margaux, Saint-Estèphe et Saint-Julien) et trois AOC de la rive droite (Lalande de Pomerol, Montagne et Saint-Georges Saint-Émilion). Lancée en 2018, la filiale QBVérification gère d’autres activités (classement des crus bourgeois, ambassadeur des Graves, IGP Agenais, authentification de barriques pour Sauternes, certification HVE…).