C’est une molécule responsable de notes poivrées dans les vins. De formule C15H24O, ce sesquiterpène est principalement localisé dans la pellicule des raisins. Longtemps passée inaperçue, la rotundone n’a été identifiée qu’en 2008 dans des vins de syrah australiens. Depuis, elle a été retrouvée dans de nombreux autres cépages.
Oui, c’est une molécule très odorante. Ses seuils de détection sont très bas, du même ordre de grandeur que les thiols variétaux, responsables des arômes de buis, de pamplemousse et de fruit de la passion. Ils ont été établis à 8 ng/L (milliardième de gramme) et à 16 ng/L dans le vin rouge. Les descripteurs aromatiques fréquemment associés à la rotundone sont le poivre blanc et le poivre noir. Cependant, des études sensorielles ont démontré que 20 % à 25 % de la population est incapable de la sentir, même à des concentrations très élevées. On dit que ces personnes possèdent une anosmie à cette molécule.
Dans la syrah, le duras, le pineau d’aunis, le tardif, le fer servadou, la mondeuse, la négrette, le gamay, … et même un cépage blanc le Grüner Veltliner, bien présent dans le nord de l’Italie et en Autriche. Récemment, des chercheurs de l’école d’ingénieurs de Purpan à Toulouse ont publié des travaux rapportant la présence de rotundone à des teneurs élevées dans des baies de grenache (plus de 600 ng/kg). « Une découverte inattendue, sans doute liée aux conditions froides et pluvieuses du millésime 2021 », indique Olivier Geffroy, enseignant-chercheur à Purpan. On sait également que sa concentration varie au sein d’un même cépage selon les clones.
Non, la rotundone est une molécule stable et n’évolue pas dans le temps. Des chercheurs australiens l’ont démontré sur des vins de syrah qu’ils ont conservés dans des bouteilles obturées avec du liège naturel, un bouchon synthétique, une capsule à vis ou un bouchon en verre. Ils ont analysé ces vins après 6, 12 et 39 mois de conservation. Même après 39 mois, ils n’ont observé aucune modification de la concentration en rotundone, sauf une légère perte avec le bouchon synthétique d’environ 6 % par rapport à la concentration à la mise en bouteille. Un vin poivré à la mise en bouteille devrait donc le rester au cours du stockage.
Oui, dans la plupart des cas, la rotundone est perçue de manière neutre ou positive, sauf par les jeunes consommateurs qui préfèrent généralement les vins fruités. D’après une étude de l’école d’ingénieurs toulousaine, les vins poivrés sont particulièrement appréciés des amateurs éclairés dépensant plus de 10 € par bouteille. À noter que cette étude n’a révélé aucun seuil de concentration au-delà duquel la rotundone serait rejetée par les consommateurs.
Par l’irrigation, comme l’a récemment confirmé Thomas Baerenzung dit Baron, lors de la thèse qu’il a réalisée à Purpan. De fortes précipitations à l’approche de la véraison pourraient donc avoir un impact positif sur la concentration en rotundone. Plus généralement, « les millésimes frais et humides sont particulièrement favorables à l’obtention de vins poivrés » précise Olivier Geffroy. « Comme les cépages tardifs sont moins impactés par la chaleur durant leur maturation, ils sont plus riches en rotundone que les cépages précoces », ajoute-t-il.
À savoir également que la concentration en rotundone augmente à partir de la véraison et s’accumule au cours de la maturation des raisins pour atteindre un plateau. Que la chaleur, les UV et l’effeuillage ont une incidence. Une température élevée – supérieure à 25 °C – va « pénaliser l’accumulation de la rotundone. En revanche, on soupçonne fortement les UV de stimuler sa biosynthèse », indique le chercheur. De quoi expliquer l’effet irrégulier de l’effeuillage qui augmente l’exposition des baies aux UV, mais qui les soumet aussi à un échauffement plus important. « En fonction de l’exposition, la synthèse de rotundone sera donc tantôt favorisée, tantôt réduite », poursuit-il.
Une étude estime que seulement 10 à 12 % de la rotundone présente dans les raisins est extraite pendant la fermentation. En l’état actuel des connaissances, la meilleure technique pour l’extraire paraît encore la plus simple. En 2022, les chercheurs de Purpan ont évalué l’impact de 8 traitements et méthodes de vinification sur concentration des vins en rotundone : utilisation d’enzymes pectolytiques, macération préfermentaire à 4 °C pendant 72 h, thermovinification suivie d’une vinification en phase liquide, vinification à 30 °C pendant 8 jours, macération postfermentaire de 6 jours après 8 jours de macération fermentaire, macération semi-carbonique, vinification en rosé après une macération préfermentaire de 6 h et fermentation avec Saccharomyces uvarum. Aucun de ces essais n’a permis d’augmenter l’extraction de la rotundone par rapport à la vinification traditionnelle réalisée à 25 °C pendant 8 jours. Contre toute attente, le vin issu de 14 jours de macération renfermait 20 % de rotundone en moins que le témoin. Et dans le rosé et le rouge thermovinifié, la concentration en rotundone ne dépasse pas, respectivement, 13 % et 20 % du témoin vinifié, résultat du retrait des pellicules avant le démarrage de la fermentation.
La rotundone est une molécule hydrophobe qui peine à être extraite au cours de la vinification. Pour obtenir des vins poivrés, il est donc crucial de récolter des raisins qui en sont bien pourvus.
À Saint-Mont dans le Gers, la cave de Plaimont se bat pour réintroduire le cépage tardif depuis plusieurs années. « Sa maturité optimale fin octobre est très intéressante dans le contexte du réchauffement climatique », indique Élodie Gassiolle, responsable R & D à la cave de Plaimont. « C’est aussi l’un des cépages les plus chargés en rotundone. Ses arômes poivrés sont particulièrement intéressants en assemblage ». Après son introduction dans le cahier des charges de l’AOC Saint-Mont en 2021 en tant que VIFA (Variétés d’intérêt à des fins d’adaptation), le tardif sera intégré en 2024 en tant que cépage accessoire. « Il pourra entrer à hauteur de 30 % dans l’assemblage des Saint-Mont » se réjouit-elle, avant de conclure : « Nous aimerions désormais travailler sur sa date optimale de récolte pour maximiser sa concentration en rotundone ».