Dans la longue histoire entre le famille d’Exea et le château de Sérame, historique propriété en Languedoc, Anne Besse est venue occuper le siège du renouveau. Lointaine héritière du fondateur Pierre d’Exea (1799), celle qui a fait carrière comme experte-comptable à Paris nouait certes un lien affectif avec la propriété où elle venait passer ses vacances d’enfance, mais n’avait jamais envisagé d’y jouer un rôle opérationnel. En 2015, alors qu’elle s’apprête à céder son cabinet, la famille fait appel à elle pour accompagner son oncle dans la gestion de l’exploitation audoise. « J’ai profité de ce temps à ses côtés pour me former en viticulture et œnologie, si bien qu’en 2020, avec mes frères et sœurs, nous avons décidé de réinvestir dans la propriété et la relancer vers un nouveau projet axé sur une écologie intégrale », résume celle qui préside ce consortium d’investissement de quatre frères et sœurs.
Dans un ensemble comprenant autour des châteaux de Sérame, la Tour-Montrabech, d’Argens et l’abbaye de Lingoust, un bloc de plus de 240 hectares de vignes constitue l’un des plus grands vignobles d’un seul tenant du Languedoc, riche de plus de 25 cépages et entièrement certifié bio depuis une dizaine d’années. « Biodiversité, plantations de 5 000 arbres par an, économie de l’eau et des ressources…Nous nous engageons dans une voie en laquelle on croit, montrer que celle-ci est possible, sans aucune volonté de dénigrer les autres approches viticoles », résume Anne Besse. En découvrant l’approche du label Planet score, sorti en 2021, elle se rend compte « qu’il vient nommer tout ce que nous avons mis en œuvre dans notre approche, de la bio à la Haute Valeur Environnementale (HVE), en passant par toutes les considérations environnementales », abonde Anne Besse. C’est ainsi que le groupe famille d’Exea devient en juin 2023 le premier producteur français de vin à afficher cette notation de lettres colorées sur son étiquette.
Seule ombre au tableau pour l’ex-experte-comptable, « le label ne prend pas en compte la dimension Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), dont la gestion humaine à laquelle nous attachons tout autant d’importance que celle de l’environnement ». Famille d’Exea s’est d’ores et déjà tournée vers une labellisation de ce volet essentiel, probablement sous la houlette de Vignerons engagés.
Quand on annonce des catastrophes, on a rarement envie d’avoir raison. Lanceur d’alerte à la mode de la CGT, sans gants et en en fonçant dans le tas, José Blanco prévient depuis des mois, et même des années que des risques humains et sociaux que les conditions d’hébergement et de travail des saisonniers font courir à la Champagne. Une bombe à retardement expliquait cet été à Vitisphere le secrétaire général de l’Intersyndicat CGT des Salariés du Champagne (réunissant les syndicats CGT d’Aÿ, Épernay, Reims et Vignes). Des vendanges, cinq morts plus tard et des enquêtes ouvertes pour « traite d’êtres humains »*, José Blanco regrette un gâchis de vies qui aurait pu être évité avec la meilleure prise en compte de précédentes alertes. À commencer par l’exploitation inhumaine de travailleurs étrangers lors des vendanges 2018 à Oiry (Marne).
Précisant ne rien avoir contre les saisonniers venant d’autres pays, le syndicaliste critique ces « prestataires de services champignons », qui apparaissent avant les vendanges et disparaissent juste après pour créer des filières d’approvisionnement en main d’œuvre à bas coût financier et fort coût humain. Des conditions d’accueil et de travail amenant à une baisse des rémunérations et une démobilisation de la main d’œuvre locale alerte José Blanco, pour qui les choses ne peuvent plus continuer ainsi. Et pour qui les propositions d’évolution évoquées par la filière champenoise ne sont pas suffisamment coercitives pour changer la donne.
La CGT porte ainsi la demande d’intégration des conditions de travail des saisonniers dans le cahier des charges de l’AOC, pour éviter des chartes purement volontaires et non contraignantes. Le président de l’intersyndicat propose aussi à la filière d’avoir le courage d’évoluer en appliquant la seule convention collective Champagne à tous les travailleurs de la vigne, des chais, du conditionnement… Et éviter un contournement moins-disant de certains prestataires. « Être vigneron n’est pas un métier en tension si l’on applique la convention collective qui est attractive (14 mois payés, +30 à +40 % de salaire par rapport au SMIC, pas de jour de carence en cas d’arrêt maladie…) » liste José Blanco.
Rentrée dans la filière champagne en 1986 et s’impliquant rapidement dans le syndicat majoritaire, José Blanco constate autant qu’il regrette que la filière vin ne veuille pas composer avec son syndicat. Et son appel à l’exemplarité absolue : au vu des performances économiques, « ça ne devrait même arriver en Champagne » conclut-il.
* D’autres décès sont à déplorer pendant les vendanges et vinifications dans d’autres vignobles, ainsi que l’ouverture d’enquêtes pour « traite d’êtres humains ».
On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Quand il a besoin d’une pièce de rechange pour son matériel viticole, le vigneron Mikael Bouscari la fabrique avec son imprimante 3D.
Ce vigneron sur 47 hectares, coopérateur des Vignerons de l’Occitane à Servian dans l’Hérault, a été tourneur fraiseur dans une première vie. Titillé par une vidéo sur Youtube, en 2022 il s’ offre une imprimante 3D de bureau, « pour s’amuser ». Puis l’idée lui vient de fabriquer des pièces de rechange.
Il se remet au dessin industriel, son dada pendant ses études. Premier succès, il réalise une main de pulvérisateur. « Une telle pièce coûte 120 € dans le commerce. Elle me revient à seulement 5 € ». Depuis, il en a toujours une d’avance en cas de casse. Désormais, il fabrique différentes pièces pour répondre au mieux à ses besoins. Comme des raccords de goutte à goutte, ou des raccords de porte-jets antigouttes pour sa rampe de désherbage, dont il adapte le coudage au détail près.
Parfois, ça coince : « j’ai renoncé aux ailettes sur le pulvé, ce n’était pas concluant ». Pour le confort, il a équipé son tracteur d’un support pour son téléphone portable. « Je peux prendre un trou, ça ne bouge pas ! ». Une nouvelle idée le taraude : améliorer l’ergonomie d’un appareil pour le travail manuel dans les vignes. Mais il est trop tôt pour en parler. Avis aux intéressés, Mikael Bouscari partage quelques-uns de ses dessins de raccords. A télécharger sur le site cults3D.com
Ingénieure de formation, Nathalie Carli quitte Paris et change de vie en 2009 en rachetant avec son mari les vignes attenantes à leur maison, le château de Fontenay, aujourd’hui 15 ha à Bléré, en Indre-et-Loire. Elle enfile des bottes, retrousse ses manches, apprend.
Elle s’investit dans la vie locale et participe à faire habiliter Bléré « Territoire zéro chômeur de longue durée ». S’ensuit la création d’une Entreprise à But d’Emploi (EBE), dans laquelle elle est bénévole active. La Boîte d’à côté, c’est son nom, salarie déjà plus d’une quarantaine d’ex-chômeurs en fin de droits, désormais en CDI à temps choisis. « On y a cru et on a eu raison. C’est la preuve que la solidarité existe ».
Le château de Fontenay a été la première entreprise privée à fournir du travail à ces personnes. En se rendant utiles dans les vignes ou au chai, elles trouvent une opportunité de se réinsérer dans la société. Elles participent à des tâches saisonnières ou ponctuelles : aide au prétaillage, palissage, effeuillage, étiquetage des bouteilles, préparation de palettes, ou « cette fin d’année, ramassage des capsules de phéromones avant le passage de la prétailleuse ».
Le travail ne manque pas. De 6 000 bouteilles au départ, le domaine en produit aujourd’hui dix fois plus. Ce développement conduit d’ailleurs à la construction d’un nouveau chai, prévu pour les vendanges 2025. Autre challenge, le château de Fontenay débute 2024 en donnant sa chance à un tout jeune maître de chai, après le départ à la retraite du précédent.
Il passe six mois de l’année à l’étranger, dont une partie dans les airs pour commercialiser ses vins dans une quarantaine de pays. Mais, quand il faut parler terroir, vin, commerce, investissement… Jérôme Choblet a les deux pieds bien sur terre.
Le vigneron de Bouaye (Loire-Atlantique), installé au domaine des Herbauges sur 100 hectares avait le sourire cet automne. D’abord parce que la récolte sur les terres nantaises avait été « qualitative et quantitative », mais aussi parce qu’il concrétisait le lancement d’un projet aussi colossal qu’ambitieux, bâti après trois années de réflexions, d’interrogations, d’essais… avec son associé Michel Houdebine et son œnologue Fabien Hachet.
A bientôt 50 ans, Jérôme Choblet a décidé d’investir 2,5 millions € dans la commercialisation de vin en canette, principalement à l’export. Exclusivement des vins de Loire en AOC ou IGP. Il projette la construction d’un bâtiment de 1 200 m2, équipé d’une ligne entièrement automatique capable de sortir entre 4 et 8 millions d’unités par an.
Auparavant, pour tester le produit, il avait envoyé à 800 clients, quelque 12 000 échantillons de ses canettes. Résultat inattendu : les retours positifs ont afflué. « On a reçu des commandes du Royaume-Uni, de Corée du Sud, de Taiwan, d’Australie… Des clients de Norvège, Finlande, Suède, Canada se disent aussi très intéressés », racontait à Vitisphere le vigneron il y a quelques semaines. Soit un total de 2 millions d’unités à fournir ce début 2024. L’affaire est lancée.
Mêlant philosophie et sociologie dans son parcours universitaire, Célie Couché a bifurqué vers le développement durable suite à un voyage en Asie et à une prise de conscience de l’urgence environnementale. Après un premier job dans un Parc naturel à la Réunion, puis une expérience dans un média breton spécialisé en transition écologique, la jeune femme a voulu “agir”. En particulier sur le traitement des déchets après un nouveau séjour en Asie en 2016.
À son retour en France, elle crée alors à Nantes, l’association Bout’ à Bout’ pour lancer une activité de réemploi de contenants en verre. « On est parti de pas grand-chose. Mais j’avais la certitude, confortée par des études que le réemploi était plus pertinent que le recyclage et qu’il y avait une filière à faire vivre », souligne celle qui dirige depuis la SAS Ouest Consigne forte d’une trentaine de salariés, créée dans la lancée de l’association.
Entre temps, Bout’ à Bout’ a dû construire tout son business : recrutement de producteurs (brasseurs, vignerons…), organisation de la collecte via un réseau de distributeurs (Biocoop, Super U…), lavage industriel avec un prestataire et remise en vente. Sans conteste, le contexte a aussi été porteur : la pénurie de verres, et la flambée du prix des bouteilles neuves ont aussi permis de lancer la dynamique. Elle s’est concrétisée par un investissement de 3 millions d’euros dans un outil propre à Carquefou en banlieue nantaise, capable de traiter à termes 20 000 contenants à l’heure.
Le mildiou n’a qu’à bien se tenir. Antonin Douillet sait le repérer 14 jours avant l’apparition des symptômes. Pendant trois millésimes, il a modélisé le développement épidémique de la maladie à partir de la météo et des résultats d’analyses de sporée capturée par des pièges à bas coût placés au-dessus de la vigne dans six parcelles bordelaises.
Son modèle va être intégré dans des Outils d’Aide à la Décision (OAD) déjà existants pour permettre aux différents acteurs de la protection phytosanitaire (viticulteurs, coopératives, conseillers viticoles, laboratoires d’intérêt territorial…) de « traiter moins, mais mieux ».
Co-encadré par François Delmotte (Institut National de la Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement, INRAE) et Marc Raynal (Institut Français de la Vigne et du Vin, IFV), le doctorant a soutenu sa thèse en février 2023 en assurant que sa démarche peut facilement être transposée aux autres agents pathogènes cryptogamiques de la vigne « dont E. necator, responsable de l’oïdium, et G. bidwellii, à l’origine du black rot ».
Depuis, Antonin Douillet a continué à perfectionner son modèle en y intégrant les stades phénologiques de la vigne. « Je compte désormais sur l’intelligence artificielle pour pouvoir travailler sur de plus grosses bases de données » dévoile-t-il.
Il a aussi quitté Bordeaux pour Vénéjan, dans le nord du Gard, pour lancer avec son frère « DAC ADN » et proposer de la prestation « clé en main » aux vignerons, de la pose des pièges au conseil phytosanitaire en passant par les prélèvements, les analyse de la sporée et le suivi sanitaire du vignoble.
Pour son dix-neuvième millésime à Ladaux, en Entre-deux-Mers, le vigneron bordelais Jérémy Ducourt aura fait face à la pire pression mildiou qu’il n’ait jamais eu à affronter. Et il est loin d’être le seul, les vignerons de Gironde en particulier, et du Sud-Ouest en général, ayant connu une véritable annus horribilis en 2023. Faisant presque passer 2018 pour un bon souvenir... Exploitant 400 hectares en Gironde, les vignobles Ducourt ont dû traiter 9 fois en conventionnel et 18 fois en bio* (avec 5 kg/ha de cuivre) pour arriver à un rendement moyen inférieur à 30 hl/ha de vins rouges. Les seules parcelles à s’en tirer sont celles composées de variétés tolérantes au mildiou et à l’oïdium. Seulement 3 traitements de cuivre et de soufre auront suffi (pour 880 g/ha de cuivre), sans perte de récolte notable (mis à part quelques dégâts lié à un black-rot précoce).
Nourries par une rencontre en 2013 avec le vigneron languedocien Vincent Pugibet (domaine de la Colombette à Béziers) et plantées à partir de juin 2014 (après des réflexions au sein d’un groupe de travail du syndicat viticole de l’AOC Bordeaux), ces parcelles résistantes se sont développées jusqu’à 13 hectares à date. Et jusqu’à pouvoir prétendre pour certaines à l’AOC Bordeaux grâce à leur intégration en 2023 au cahier des charges de l’appellation (comme Variétés d’Intérêt à Fin d’Adaptation : VIFA). Alors que les cépages pouvaient sembler immuables en AOC, ils se mettent à bouger : « si l’AOC n’innove pas, elle va péricliter. Bordeaux était beaucoup plus pluriel il y a 50 ans. Nous sommes dans une phase de rediversification » analyse Jérémy Ducourt.
Pour qui une voie d’avenir viticole passera par les cépages résistants : « on sait réduire de 30 % nos usages de phyto, on sait prendre les risques du sans CMR (phytos Cancérigènes Mutagènes Reprotoxiques), on sait s’adapter à une panoplie de traitements qui se restreint… Mais quand ça décroche à cause de la pluviométrie et de l’humidité, les pertes sont très fortes. » Si les résultats viticoles et œnologiques sont là, l’engouement commercial se fait encore attendre. Le besoin de pédagogie étant fort, alors que des consommateurs n’entendaient pas l’effet de réduction des phytos par rapport à l’idée que la bio se ferait sans traitements. Désormais certifiés bio, les vins de ces parcelles sont assemblés avec des emblématiques pour créer des passerelles et permettre l’essai de ces cépages innovants.
N'ayant pas encore trouvé de cépage résistant pour les vins rouges qu’il vise, Jérémy Ducourt martèle qu’il faut traiter un minimum les vignes résistantes pour réduire les risques de contournement de la résistance. Surtout dans les conditions météorologiques atlantiques qu’il connait si bien. Après son diplôme d’œnologie à Toulouse et quelques vinifications dans le Midi et Pessac-Léognan, Jérémy Ducourt est revenu au domaine on ne peut plus familial : son père étant à la direction technique, son frère au développement commercial et sa cousine pour les Ressources Humaines.
* Des parcelles n’ont pu être traitées autant, un incendie ayant ravagé les pulvérisateurs du domaine en mars 2023.
Du dynamisme, de l’ambition et du concret plein la tête. C’est ce qui émane d’Isabelle Gassier, cette viticultrice qui veut remettre l’agriculture régénérative au cœur de ses pratiques et de ses vignes.
Dès son plus jeune âge elle crapahute au caveau et dans les rangs de vigne du château de Nages, le domaine familial installé en terre rhodanienne. C’est donc assez naturellement qu’elle décide de s’orienter vers des études en viticulture à ses 16 ans. Mais la jeune femme a la bougeotte. « J’avais du mal à rester en place donc à 18 ans je suis partie en Suisse à Changins (Haute école de viticulture et d’œnologie) qui proposait un parcours théorique mais aussi particulièrement axé sur la pratique. ». Elle fait ensuite ses armes pendant 1 an (2016) auprès du regretté Philippe Cambie, œnologue conseil renommé du groupe ICV (vallée du Rhône méridionale), puis, le démon du voyage la reprenant, s’envole vers la Californie en 2017. Elle entame alors un stage puis rencontre Philip Coturri, pionnier de la viticulture régénérative et biodynamique en Californie et gestionnaire/conseiller de 40 domaines sur 150 ha. Elle travaille donc en tant que chef de culture pour son entreprise et continue à travailler en parallèle comme œnologue conseil pour Philippe Cambie. Durant cette période, elle a pu découvrir l’univers passionnant de l’ampélographie, de l’agriculture régénérative, du soin du vivant, elle a travaillé « sur des pieds parfois plus grands que moi plantés en 1890 en franc de pied ! De voir des parcelles avec des souches qui ont connus des successions d’époques et qui ont fait preuve de tant de résilience c’est quelque chose de fort ! ».
En 2022, le papillon des vignes décide de rentrer dans le cocon familial. « Je suis revenue quand j’étais un peu plus alignée avec mon père quant à une certaine vision commune de l’avenir du vignoble, et notamment sur les itinéraires techniques autour de l’agriculture régénérative » explique l’ambitieuse. Parce qu’en effet, si le vigneron en place n’est jamais réticent aux innovations et à la découverte, il a tout de même fallu lui expliquer la démarche. Etape assez simple il faut l’admettre : « J’ai de la chance d’avoir mon père qui me soutient beaucoup et qui aime essayer plein de choses. » Aujourd’hui chargée de recherche et développement sur le domaine familial, elle tend à apporter ce changement de pratique et un suivi régulier notamment par l’obtention du premier label Agriculture régénérative en France. Du haut de ses 30 ans, elle adresse un message de soutien aux femmes de la vigne et du vin : « Je n’oublie pas que je suis fille de patron, il n’en reste pas moins que nous ne devons pas nous excuser de prendre la place. Même si on se sent invisible et qu’il y a encore beaucoup d’a priori notamment autour de la technique. N’oublions pas qu’il est possible d’instaurer des réseaux féminins d’entre aide technique. »
Les projets ne manquent pour Cap 10, la première « conciergerie » du mode viticole qui met en relation vignerons et fabricants pour gérer les tensions sur les approvisionnements en faisant du négoce pour l’achat et la revente de matières sèches. Implantée à Bedarrides, dans le Vaucluse, Cap10 veut s’ancrer dans d’autres régions avec des agents ou autoentrepreneurs. Depuis cet été c’est le cas en Bourgogne. Et bientôt dans le vignoble bordelais. « Nous recherchons des salariés de grands groupes qui partent en retraite ou qui ont été remerciés. Ils ont un bon réseau que nous pouvons mutualiser » indique Stéphane Gradassi, 56 ans, fondateur de Cap 10. Le réseau ? C’est la matrice de cet ancien salarié entre 1991 et 2005 de Saint-Gobain Emballages (devenu depuis Verallia).
Ce fils de négociant en vin à Châteauneuf-du-Pape, pugnace et humaniste, apprend chez le verrier à tisser des liens de confiance avec les clients. « J’ai créé de la relation, un carnet d’adresses. J’étais fait pour ça » confie-t-il. En 2006, bref passage chez un fournisseur de matières sèches, puis direction Strasbourg pour diriger pendant dix ans, une société de transport. En 2014, Verallia lui propose la direction d’un de ses distributeurs. Retour en Provence. Avril 2017, il prend son envol et crée Cap 10. Pas simple de passer d’un grand groupe à celui de chef d’entreprise.
Sa croyance est chevillée au corps : « Le vigneron n‘ a pas le temps de sourcer de nouveaux fabricants. Mon métier c’est de prendre son problème et de lui apporter des solutions ». S’il sèche sur une solution, il a toujours du répondant : pour la maison Guigal et Miraval, il a créé en 2019 une société à Jonquières : une ligne robotisée réalise le sablage de plus de 250 000 cols avec contrat d’exclusivité à la clef.
Fin 2022, croissance externe avec le rachat d’une petite société, spécialisée dans l’impression sur support de communication qui devient PixelCap. Cap 10 qui emploie 4 salariés enregistre un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros
Julien Massé, vigneron charentais de 36 ans, est particulièrement impliqué dans le partage de la valeur avec ses quatre salariés et ses deux saisonniers. Dès 2021, il a instauré un intéressement qui se déclenche à partir de 9 hl/AP/ha. « J’ai choisi de me baser sur le rendement car c’est le critère qui parle le plus à nos salariés et c’est celui sur lequel ils ont un vrai impact », témoigne ce passionné d’histoire qui exploite avec ses parents 45 ha à Rouillac (Charente). La mise en œuvre de l’intéressement a été rapide. « Je pensais que c’était un outil pour les multinationales, avec un long Cerfa à remplir, précise-t-il. Et en fait, c’est vraiment très simple à mettre en place ! ».
En 2021, l’exploitation a récolté 14,5 hl AP/ha et a versé 4 400 € d’intéressement. Les trois salariés ont touché une prime de plus de 1 000 euros, différente selon leur salaire annuel brut. L’apprenti, moins présent, a perçu une somme moins importante. Les deux saisonniers ont reçu entre 300 et 350 €. En 2022, pour un rendement de 16 hl/ha AP, l’exploitation a distribué 5 600 € à ses salariés.
Ce vigneron prévoit de reconduire cet accord en 2024 en le couplant, peut-être, à un PEE (plan d’épargne entreprise).
« Nous essayons d’être attractifs car nous préférons travailler avec des salariés de la région, en CDI, plutôt qu’avec de la main d’œuvre étrangère employée par des prestataires, souligne Julien Massé. Quand la récolte est belle, tout le monde a le sourire aux vendanges !» Ce GO-vigneron qui organise avec ses salariés des voyages d’études dans d’autres vignobles pour souder l’équipe est également très actif dans la filière. Secrétaire général du l’Union Générale des Viticulteurs pour l’AOC Cognac (UGVC), il est depuis peu co-président de la commission économique du Bureau Nationale de l’Interprofession de Cognac (BNIC).
S’il est un groupe Facebook bien connu des professionnels de la filière c’est bien Matériel et Viticulture. Non seulement il permet, comme son nom l’indique, de se pencher sur du matériel d’antan ou présent, cassé ou innovant, à disques ou à dents, mais il soude la communauté autour de questionnements, de solutions et d’échanges amenant parfois les abonnés passionnés à se ferrailler.
Le créateur du groupe, professionnel de la filière, connu sous le profil Max Xix, raconte « J’ai créé ce groupe en novembre 2017 en partant du constat qu’il existait des groupes de discussions autour du machinisme dans le milieu de la grande culture, mais rien pour la viticulture. Je me suis dit qu’il y avait forcément des viticulteurs en demande de ce genre d’échanges. » Le parent pauvre de l’internet s’est vu doté d’un puissant outil de discussions qui regroupe aujourd’hui plus de 27 000 professionnels de la filière. Ce qui se voulait être un groupe dédié au machinisme s’est transformé peu à peu en un groupe d’échanges autour de toutes les thématiques techniques viticoles. Réparer des outils, comparer du matériel, identifier des maladies, les sources d’inspiration ne manquent pas pour alimenter les conversations… et les modérations.
« Au début, j’étais seul à modérer les admissions et les discussions, puis des viticulteurs se sont proposés pour venir donner un coup de main et sont pour certains devenus administrateurs. » raconte le créateur. Bien qu’il y ait un turn-over, ils sont aujourd’hui 8 modérateurs dont 5 administrateurs. Laurent Rousseau, viticulteur et administrateur du groupe explique « Certaines discussions créent des passions plus que certaines autres. Ça ouvre des perspectives mais aussi des échanges incroyables… qui doivent parfois être régulés pour éviter les noms d’oiseaux et l’agressivité. Nous avons un groupe de discussion Messenger entre administrateurs, pour échanger des informations et nous ne prenons pas la décision de bannir ou de sanctionner quelqu’un sans en parler ensemble. »
Heureusement, les échanges positifs et constructifs sont plus nombreux que les prises de bec. Benjamin Barron, lui aussi viticulteur et administrateur s’en réjouit : « Avant, on était chacun chez soi, mais on voit bien que notre génération -entre 30 et 40 ans- veut changer, être plus dans le partage, donner des bons plans. Parfois on se pose des questions à s’en faire des nœuds au cerveau, mais c’est sympa d’échanger entre viticulteurs. Pour moi les autres ne sont pas des concurrents mais des confrères. On veut tous s’en sortir. »
Si Max Xix devait donner un dernier coup de klaxon pour la route : « Continuez à être actifs et à vous enrichir mutuellement. C’était le but et je trouve que l’on réussit collectivement, pourvu que cela continue le plus longtemps possible. »
Il est à l’initiative d’une étude qui a beaucoup fait parler d’elle. Début 2023, Olivier Metzinger a montré que le vrac était un gouffre pour les producteurs bordelais depuis trop longtemps. Pour cela, il a calculé leurs recettes d’après les cours moyens du vrac et les rendements moyens par appellation et les a comparés aux coûts de production calculés par la Chambre d’Agriculture de Gironde. Résultat : presque tous les ans depuis douze ans, les producteurs de bordeaux, de médoc, de graves ou de sainte-croix-du-mont perdent de l’argent lorsqu’ils vendent en vrac ! Surtout, Olivier Metzinger est arrivé à ce chiffre énorme de 46,8 millions d’euros de pertes par campagne pour l’ensemble des vendeurs de vrac.
« Comment est-ce possible qu’on n’ait rien vu pendant si longtemps ? » se demande-t-il. En posant la question autour de lui, en demandant s’il n’y avait pas de signes avant-coureurs de ce désastre, les notaires lui ont répondu qu’ils voyaient les vignerons vendre des biens et la Safer que beaucoup de parcelles avaient depuis longtemps du mal à trouver preneur. Pour Olivier Metzinger, il y a là des informations qui devraient servir d’indicateurs pour alerter d’une dérive, « pour que demain, on ne laisse pas passer tant d’année avant de se rendre compte d’une crise ».
Désormais, il cherche comment instaurer une sorte de prix minimum. L’affaire est très délicate comme le montrent les sanctions prises par l’autorité de la concurrence contre l’interprofession et l’association des viticulteurs d’Alsace. Mais il pense que c’est possible. « Il existe un texte européen qui dit que si vous avez des exigences environnementales et sociétales dans votre production, vous pouvez dire que votre produit ne peut pas être mis en marché en dessous d’un certain prix, assure-t-il. C’est le cas dans la viticulture. Nous travaillons là-dessus. »
A 54 ans, Olivier Metzinger est porte-parole du collectif Viti 33 qui avait émergé lors de la crise du début des années 2000 et qui s’est reconstitué en 2021. Son expérience lui a appris que pour faire bouger les choses, il valait mieux être à l’intérieur du système. Si bien qu’il s’est présenté à l’élection à l’Organisme de Défense et de Gestion de Bordeaux en juillet 2022 –« celui que les ministères consultent »- et qu’un an plus tard il est entré au conseil d’administration et au bureau de ce syndicat. « On ne peut pas critiquer tout le temps, dit-il. Il faut aussi être capable de proposer. » Voici une de ses propositions : lier le montant des cotisations interprofessionnelles au cours du vrac pour que les interprofessions vivent au rythme du vignoble afin qu’elles réagissent en conséquence.
Depuis qu’Alexandra Parfus a rejoint maison Ravoire en 2018, l’entreprise a changé de dimension. Cette entité de négoce, jusque-là plutôt discrète, se retrouve régulièrement sous les feux des projecteurs. Carrefour l’a ainsi mis en avant dans le cadre de son programme Loop sur le réemploi des bouteilles en verre aux côtés de grandes marques de bières et de spiritueux. Et, si cela arrivé c’est incontestablement grâce à Alexandra Parfus qui a pris à bras le corps la thématique du réemploi au sein de l’entreprise. D’abord embauchée comme brand manager, elle dirige aujourd’hui le service marketing et développement. S’y ajoute depuis 2019, le sujet de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE).
Proposée par les lecteurs de Vitisphere pour figurer dans ce top 20, cette diplômée de l’Essec, passée par LVMH à Épernay puis en Afrique du Sud chez l’importateur du géant du luxe, réservée à ses débuts, a pris de l’assurance au fil des années. « Alexandra nous bouscule beaucoup, assure Daniel Zébic, directeur commercial de Maison Ravoire. Mais, elle a fait évoluer dans le bon sens le marketing de nos gammes. » Elle est notamment à l’origine du repositionnement réussi de, Manon, la marque de Côtes-de-Provence rosé de l’entreprise qui flirte avec le million de cols. « Son recrutement s’est fait dans la foulée de son entretien », se souvient Olivier Ravoire, directeur général qui a immédiatement perçu le potentiel de la jeune femme. « J’estime avoir beaucoup de chance de pouvoir mener de front en totale autonomie des projets d’envergure qui me semblaient essentiels, précise de son côté l’intéressée.
Grâce à son travail, la gamme de vins de la vallée du Rhône de Maison Ravoire est aujourd’hui en bouteilles réemployables. Pour y parvenir, les étiquettes ont basculé sur des supports lavables. Maintenant qu’elle est la maman d’une fillette de 4 mois, elle se dit encore plus responsable de l’impact de son entreprise sur l’environnement et le rôle qu’elle peut jouer dans ce domaine.
À la ville comme à la scène, ils sont deux trentenaires à la tête de Sabi Agri. Laure et Alexandre Prévault Osmani tiennent les commandes de la start-up clermontoise devenue en 7 ans une PME comptant 35 salariés. D’abord juriste, Laure est très tôt entrée dans la vie de Sabi Agri. Avant même que le premier tracteur Pom ne soit même vraiment mûr. En 2017, Alexandre, jeune exploitant agricole et ingénieur en mécatronique finalise la première version de ce porte-outil modulable électrique à arceau pour le maraichage. C’est le début de Sabi Agri.
En sept ans, les développements d’automoteurs se sont multipliés : Pom, Alpo, Zilus. La promesse de tracteurs légers devant s’inscrire dans une production agroécologique et bas carbone séduit. Laure et Alexandre obtiennent des labels et gagnent plusieurs concours. Deux levées de fonds se succèdent. D’abord 1,8 million d’euros en 2018, puis 8 M € en 2022. Les locaux s’agrandissent. Sabi-Agri s’installe à Saint-Beauzire, dans le Puy-de-Dôme, en 2019, puis pousse les murs en 2021.
Laure et Alexandre tiennent toujours les rennes et l’entreprise reste familiale. Car le couple s’inscrit dans un contrôle strict de leur aventure entrepreneuriale. D’une part, ils tiennent à ce que leur modèle économique perdure, en répondant à un besoin. Voire – à l’instar des groupes les plus imposants de la tech – ils créent le besoin : un tracteur électrique, léger, produit en local, évolutif, et pour le robot Zilus qui sait travailler en binôme avec un autre tracteur. « Notre positionnement se veut singulier. L’offre en tracteurs électriques grossit. Mais nous nous démarquons toujours, sans concurrence frontale ».
L’autre aspect du contrôle est celui – autrement plus stratégique - du financement et de l’investissement dans Sabi-Agri. Rien ne fuite sur leur chiffre d’affaires. Le seul indicateur partagé, non des moindres, est celui de leur croissance. « En 2022 nous avons doublé notre croissance, se félicitent-ils. C’est confortant, c’est excitant, c’est l’aventure qu’on écrit. C’est assez vertigineux, mais ça ne nous fait pas peur. Car on l’avait prévu, dès le début ». Pour ce qui est de la gouvernance, « nous nous entourons au Conseil d’Administration d’investisseurs qui partagent notre vision et nos objectifs de croissance, en restant maîtres de nos décisions ».
Cette saison 2023-2024 est un virage pour Sabi-Agri. A l’image de ce qui s’est passé pour la marque lors de ce Sitevi. « Nous avons stabilisé notre réseau de distribution avec 8 structures pour couvrir tous les bassins de production viticoles français. Reste le Languedoc, en cours de finalisation. Nous avons donc pu réaliser un maximum de présentations des matériels aux clients. Les Sitevi Innovation Awards ont consacré notre solution de Flotte robotique collaborative entre l’Alpo et Zilus. Le passage du ministre de l’Agriculture sur notre stand était aussi un moment fort ». Côté matériels, Laure retient « une bonne réceptivité des viticulteurs passés sur le stand. Ils sont vraiment en quête de solutions et d’achat sur les technologies pour lesquelles nous avons une offre. Ils veulent des démonstrations chez eux après avoir vu les autres machines. C’est très positif ».
Et l’aventure est parsemée d’autres engagements. Plus professionnelle que jamais, Laure s’investit beaucoup dans l’entreprenariat, au féminin. « Je suis impliquée dans la création de l’European Female Founder, une structure lancée sous l’impulsion de la Commission Européenne, qui aura pour objet de faciliter l’accès à l’entreprenariat pour les femmes, d'inspirer, d'encourager et de construire une nouvelle voie pour elles ». Et ce n’est pas tout, Laure s’investit aussi dans le pendant français de cette mission, avec le collectif « SISTA EntrepreneurEs », qui promeut plus de diversité dans l'économie numérique en encourageant notamment plus d’investissements dans les entreprises dirigées par les femmes. « Quand on est une femme arrivée dirigeante dans un milieu masculin, on doit beaucoup à celles qui sont passées avant. Je m’engage par essence ».
Loin de s’endormir sur leurs lauriers, Laure et Alexandre visent désormais un changement d’échelle pour Sabi-Agri. « Côté produit, le marché viticole est devenu très important pour nous. La demande est forte. Mais on a toujours la volonté de proposer des tracteurs polyvalents pour d’autres filières. En ce sens, dans quelques semaines, nous allons présenter un nouveau modèle adapté aux paysagistes, aux productions à fortes valeur ajoutée comme les PAM, à certains élevages, etc. ». Côté ventes, les clermontois visent désormais l’Europe. « On ouvre de nouveaux marchés, confie Laure. Nous sommes notamment en discussion avec des acteurs suisses et italiens. Et j’espère très bientôt en Espagne, en Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas ». Vers l’infini et au-delà.
Proposée par les lecteurs de Vitisphere pour figurer dans ce top 20, Vanessa Riou ne se ménage pas pour moderniser l’image des coopératives et celle des vins de Tavel et Lirac. Directrice de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) et de la communication, elle a appris à connaître toutes les parcelles et contraintes de personnel ou de machines de ses adhérents. « J’ai fini par gagner leur confiance et à les impliquer dans les vinifications. Nous sommes comme un ensemble de musiciens. Chacun met ses qualités au service du groupe pour obtenir une belle mélodie ».
Soucieuse du renouvellement des générations, elle renforce le lien entre les viticulteurs et son équipe salariée en organisant des vendanges et visites de cave ouvertes aux grands-parents comme aux enfants. « Lors des dégustations nous sommes fiers d’expliquer que nous travaillons dur toute l’année pour obtenir ces beaux produits ».
Vanessa Riou a conscience que les gens ne s’inventent pas une passion pour la viticulture du jour au lendemain. « La passion vient avec l’émotion ». C’est aussi par l’émotion qu’elle va chercher de nouveaux clients.
Cette année, Vanessa Riou a réussi le pari de miser sur les cocktails et des soirées DJ pour rajeunir l’image des vins de sa coopérative et faire venir les millenials dans ses deux boutiques.
« Notre cocktail Pink Valet donne envie aux participants de découvrir le tavel et le reste de notre gamme ». Beaucoup repartent avec du vin chez eux.
Jamais dans la plainte, jamais à cours de solutions, Vanessa Riou fait le maximum pour assurer la pérennité de son entreprise.
À 6 heures du matin, elle est déjà sur les routes au volant de sa camionnette remplie de cartons de bouteilles de vin. Jusqu’à tard le soir, elle va livrer les grandes surfaces de la région de Bergerac. Alors prendre du temps pour évoquer son parcours, ses projets, ce sera pour plus tard. Laurence Rival, 49 ans, jongle entre ses différentes casquettes : viticultrice, première femme à être élue présidente de la Fédération des Vins de Bergerac Duras (FVBD) en juillet dernier, élue au bureau de la Chambre d’Agriculture de la Dordogne…
Pas de quoi chômer pour celle qui, après avoir fait des études de géographie à la fac qui ne la passionnaient pas, rachète un bar tabac à Bergerac en 1998. Trois ans plus tard, la propriété de ses grands-parents est libérée de son fermage. Elle ne connait rien à la vigne. Qu’importe, avec une formation de six mois, elle reprend château Singleyrac, 20 hectares en AOC Bergerac. Et elle s’attaque en direct aux magasins de grande distribution présents en Dordogne. Sans à priori.
Et ça marche : « Il faut être sérieux, y consacrer du temps pour suivre les rayons, les réapprovisionner pour éviter les ruptures de stock ». 80 % de sa production est écoulée en GD. Elue à la présidence de la FVBD, là aussi les chantiers sont légion : l’avenir de la filière confrontée à « un double enjeu d’adaptation technique et environnementale qu’impose le changement climatique et le contexte de modification profonde de la consommation de vin » écrivait-elle dans son premier édito en tant que présidente. Et de rappeler aussi à quel point ce dernier millésime, frappé par le mildiou, avait été un « exemple douloureux » de cette évolution. Autre chantier : restructurer les deux organisations professionnelles (FVBD et l’Interprofession) pour « plus de cohérence ». Un dossier politique.
Depuis plus de dix ans, le microcosme viticole languedocien a pris l’habitude de voir Frédéric Rouanet haranguer ses troupes à la tribune ou derrière son traditionnel mégaphone. Le 25 novembre dernier, 5 à 6 000 viticulteurs se sont massés dans les rues de Narbonne à l’appel du syndicat des Vignerons de l’Aude (SVA), que préside Frédéric Rouanet depuis 2013. Pourtant, celui dont la voix porte aujourd’hui autant à la tribune qu’elle chatouille l’oreille des ministres n’a pas toujours été aussi enclin à se mettre en avant, alors qu’il n’a jamais refusé l’action pour défendre la cause viticole. « Lorsque nous étions JA, avec mon groupe de collègues, on nous trouvait plutôt au dernier rang des réunions du syndicat, sans trop prendre la parole, car c’était avant tout la mobilisation pour se faire entendre qui nous intéressait », se souvient-il.
Le virus de la mobilisation l’avait pris très tôt, dès 2005, où, sans que ses parents ne le sachent, il avait pris part à une mobilisation de vignerons à Carcassonne, tout près du lycée où il préparait son BTS. Déjà, tel un marronnier qui refleurit à chaque crise viticole, les ferments de la colère raisonnaient d’une étonnante similarité avec les revendications actuelles : mondialisation du marché, cours des vracs trop bas, arrachage primé pour réguler l’offre…
Entre réunions de JA et SVA, Frédéric Rouanet traverse ses premières années de métier dans une crise viticole qui, jusqu’en 2010, emportera des dizaines de milliers d’hectares de vignes en Languedoc, avant que les cours n’entament un redressement à la faveur d’une offre amoindrie. Ces années lui permettent de mûrir dans les pas de l’éminent président du SVA de l’époque, aujourd’hui à la tête de la Chambre d’agriculture de l’Aude, Philippe Vergnes. D’abord réticent, Frédéric Rouanet finit par accepter de lui succéder et est élu à la présidence du SVA en 2013. « A 28 ans, j’étais encore jeune. Mais Philippe Vergnes et la gouvernance du syndicat y tenaient et m’ont accompagné », se souvient-il. Avec 4000 adhérents, le SVA est alors une place forte de la cause viticole en France. Seule condition du nouveau président, « constituer un bureau mixte entre expérimentés de l’équipe précédente et des jeunes qui m’accompagnaient aux JA ».
La grêle de juillet 2014 est la première grande crise qu’il gère, avant que ne s’ensuivent de multiples actions contre les importations de vins étrangers ou la défense des cours du vin. La menace de bloquer le tour de France 2016, alors que du vin chilien est prévu pour rassasier les suiveurs de la caravane. « Ça a braqué de gros projecteurs sur notre cause, j’ai alors commencé à bien saisir le jeu médiatique pour faire passer les messages et l’utilité syndicale», se souvient encore Frédéric Rouanet.
Aujourd’hui, il se dit chanceux d’évoluer au sein d’une exploitation (42 ha de vignes, totalement en IGP Pays d’Oc) où de bons choix techniques ont été faits par les 3 générations précédentes. « Cépages, matériels, techniques, ils ont tous trois apporté un côté novateur », souligne le vigneron de Pépieux, dont le grand-père a présidé la cave coopérative locale. Il travaille donc des terres lui permettant d’avoir des charges d’exploitation en phase avec ses revenus de production, « une chance que n’ont pas ceux qui évoluent dans des zones plus accidentées ». C’est donc avant tout ces autres, dont les exploitations sont moins adaptées à la conjoncture actuelle, que Frédéric Rouanet défend quand il appelle à la mobilisation.
Il se dit également reconnaissant de l’unité affichée par la profession face à la crise, où responsables de la coopération et des caves particulières tirent dans le même sens que le syndicat des vignerons audois. « Une vraie réussite », apprécie Frédéric Rouanet. Cette unité lui donne encore plus de forces pour continuer à scander, comme il le fait depuis des mois, que le nerf du fonctionnement, « le prix d’achat des vins par les metteurs en marché », n’est pas au rendez-vous. « Nous voulons vivre des revenus de ce que nous produisons, pas d’aides », répétaient à l’envi la masse des milliers de vignerons entassés le 25 novembre dernier dans les rues de Narbonne. Le combat de Frédéric Rouanet est loin d’être terminé.
Lorsqu’il s’est officiellement engagé en GAEC auprès de son père en 2002, à Talairan, dans les Corbières, Ludovic Roux pouvait-il s’imaginer 20 ans plus tard en première ligne des espoirs d’avenir viticole ? Pour l’obtention de la mesure d’arrachage différé qui apporterait un peu de respiration à toute une filière ? Probablement pas, même si l’envie de s’impliquer pour le collectif s’est vite fait sentir chez lui. Après la retraite de son père, il rachète les vignes de son oncle pour travailler un ensemble de 48 hectares, avant d’intégrer rapidement la gouvernance de sa cave coopérative des Terroirs du Vertige. Couvé par des dirigeants historiques qui s’apprêtent à passer la main, Ludovic Roux en prend au virage de la campagne 2010-2011 la présidence (le plus jeune président de la coopération viticole à ce moment-là).
Le goût du collectif l’appelle à plus d’engagements, et Ludovic Roux prend également des responsabilités progressives chez les Vignerons coopérateurs (président régional, vice-président national), la chambre d’agriculture (vice-président) ou encore l’IGP Terres du Midi (président), qu’il a contribué à installer. Sur son exploitation en 2019, il convertit au bio l’ensemble de son parcellaire. En charge du dossier européen chez les Vignerons coopérateurs de France, il est élu en 2022 à la vice-présidence du groupe vin de la Copa-Cogeca (groupe de défenses des intérêts agricoles auprès de la Commission européenne), où il s’active pour faire avancer le dossier de l’arrachage différé.
« L’idée a germé il y a 5 ans alors que les Corbières connaissaient des difficultés récurrentes sur les marchés », lance celui qui, depuis 2006, n’a pas connu « trois années d’affilée sans aléa climatique fort ». Alors que les crises successives rendent la situation difficile dans les Corbières, Ludovic Roux réitère depuis des années sa volonté de « trouver de solutions pour permettre un départ digne pour ceux qui n’ont plus les ressources ou les forces pour maintenir une activité viticole », rappelle-t-il. Permettant de ne pas se passer du potentiel de production si les marchés tournent plus favorablement dans quelques années, la mesure d’arrachage différée fait son chemin au sein du syndicat de la coopération, « ça a pris du temps pour faire le tour de la faisabilité juridique, mais nos analyses nous ont confirmé la compatibilité » avec le cadre réglementaire européen, appuie l’intéressé.
Si la Commission Européenne semble avoir mesuré l’intérêt d’une telle mesure, Ludovic Roux a senti que « cet outil de flexibilité a les arguments pour faire consensus, mais il sera nécessaire qu’elle adapte son interprétation de certains textes, mais il n’y a rien de révolutionnaire ». Le cas de la non-replantation apparaît comme le point délicat de ce dossier, mais le soutien marqué du ministre de l’Agriculture pour porter cette mesure devant la Commission pousse Ludovic Roux à l’optimisme. Il sera au cœur des échanges entre la filière, la Commission Européenne et l’administration française (la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises, DGPE).
C’est une belle histoire, mais pas que. N’importe quel vigneron girondin aurait pu être dégusté par le roi Charles III lors de sa visite d’État à Bordeaux fin septembre 2023. Mais n’importe lequel d’entre eux s’en serait aussi bien sorti ? Face au buzz qui lui est soudainement tombé dessus, Noémie Tanneau a su garder la tête froide et exprimer toute sa personnalité face aux multiples sollicitations. Un recul d’autant plus naturel que quelques jours avant ce coup de projecteur médiatique, elle était encore en difficulté financière. Installée depuis quatre ans, elle n’avait jusque-là pas pu se verser de salaire. Si Noémie Tanneau explique que ses ventes sont satisfaisantes, le poids de ses charges était trop lourd en regard pour dégager une rentabilité correcte, la contraignant à mobiliser des réserves personnelles pour tenir. Une résilience née d’une passion, initiée lors de sa reconversion professionnelle.
Après une première carrière dans le travail social, Noémie Tanneau a voulu se tourner vers le monde agricole, qui est devenu viticole de par son ancrage girondin (elle est originaire du bassin d’Arcachon) et un coup de cœur lors de premières vendanges (au château Pape Clément, grand cru classé de Graves, ce qui n’est pas vraiment représentatif de tout le vignoble bordelais s’amuse-t-elle aujourd’hui). Ayant obtenu en alternance le BTS de viticulture et d’œnologie du lycée viticole de Blanquefort (Médoc) en travaillant au château Haut Vigneau (Pessac-Léognan, avec le soutien et la formation de sa directrice technique, Karine Laroche), Noémie Tanneau a postulé en vain à des fonctions de maître de chai ou de direction technique dans la filière. Poursuivant sa formation avec le diplôme d’ingénieure agronome de Bordeaux Science Agro (avec l’option de management des entreprises viticoles), elle affirme son ambition de s’installer sur son propre vignoble.
Devant conseillère d’installation et de transmission pour la cave coopérative de Puisseguin Saint-Émilion, Noémie Tanneau y rencontre Annette Bion du château Saint-Ferdinand, qui prépare sa retraite et cherche un repreneur : ce sera Noémie Tanneau, qui relève le défi et entre dans un long tunnel de difficultés. Notamment face aux clichés sur Bordeaux. Se confrontant aux Bordeaux bashing sur des salons dont les visiteurs snobent par principe son stand, elle en sort confortée dans l’idée d’affronter la crise au sein d’un groupe : Bordeaux.
Pendant la crise covid, son profil de reconversion professionnelle fait écho à un besoin de nature sur les réseaux sociaux. Incarnant le travail de rénovation de fond des vins de Bordeaux (de l’engagement écologique au profil produit), Noémie Tanneau illustre le potentiel d’un vignoble girondin qualitatif et abordable, mais qui nécessite un déclencheur pour le faire connaître. Ici, il aura fallu un roi… Mais la sortie de crise n’est pas assurée pour la vigneronne, qui craint que le projecteur ne s’éteigne brutalement et ne la ramène immédiatement à des difficultés à régler ses factures et vivre de son travail. « Je ne me suis pas encore sorti le cul des ronces » lance-t-elle dans un rire. Croyant toujours dans la force du collectif (« je suis convaincue que l’on s’en sortira mieux ensemble que seuls, il faut se faire violence en période de crise »), elle a porté cette vision du vignoble bordelais dépoussiéré lors de ses multiples échanges avec la presse : « je leur parle toujours du dynamisme des vins de Bordeaux, mais c’est toujours coupé au montage… »
Pour poursuivre sa belle histoire, Noémie Tanneau sera mobilisée sous la nouvelle bannière "Bordeaux crafters" au salon Wine Paris & Vinexpo Paris du 12 au 14 février prochains.