vec un débourrement soudain dans de nombreux vignobles, la vague de froid qui arrive ce week-end inquiète de nombreux vignerons. « Il n’y a plus qu’à allumer les bougies… et un cierge » soupire un viticulteur encore épuisé par les épreuves de 2021 et les hausses de cotisations d’assurance récolte ce début 2022, sans compter les difficultés à se fournir en bougies et à approvisionner ses tours chauffantes en Gazole Non Routier (GNR)…
D’après les dernières prévisions météo, les températures tourneraient entre -1 et -5 °C en plaine sur les régions viticoles dans les nuits de samedi 2, dimanche 3 et lundi 4 avril indique Emmanuel Buisson, le directeur de recherche et innovation Weather Measures (Weenat). Tombant d’abord sur grand quart Nord-Est de la France avec de la neige, « l’épisode va bouger entre samedi et lundi. La question est de savoir comment l’épisode va s’infiltrer en Vallée du Rhône ». Selon le maintien du vent sur les prochains jours, il reste une incertitude sur de possibles dégâts de gel en Vallée du Rhône, sur l’arrière-pays languedocien et en Provence confirme le docteur en agroclimatologie Serge Zaka, de la société d'agri-intelligence ITK ().
Disposant de cartes de risque de dégâts liés au gel Prevent, Serge Zaka note que par rapport aux arbres fruitiers*, les vignes ont la chance d’être moins avancées phénologiquement. « Dans le Nord de la France (en Alsace et Champagne), les vignes n’ont pas débourré » note le docteur en agroclimatologie, avançant des risques de pertes de récolte sur les cépages précoces « en val de Loire (moins dans le pays nantais, avec 20 à 30 % de dégâts, qu’en Touraine, avec 40 à 70 % de pertes), dans le Beaujolais, dans le Dijonnais. Pour Bordeaux et Cognac, il y a un dégradé de dégâts de l’Ouest, la façade atlantique étant moins touchée, vers l’Est, jusqu’à 30 à 40 % de pertes ». Pour les vignobles du Sud-Ouest les dégâts seraient très disparates, dépendant des parcelles (altitude, orientation, cépages, etc.). Déjà inquiétant, ce panorama se base sur le modèle CEP, plus optimiste et réaliste que d’autres note Serge Zaka.
En matière d’analyses des prévisions, « Météo France indique qu’un bout de dépression arrive par la Côte Atlantique avec un effet de protection sur le val de Loire, Cognac et Bordeaux, pour des températures de 1 à 2°C. Mais nos algorithmes, WeeFrost, corrigent ces prévisions de -1 à -2 °C, ce qui en fait des cas limites » indique Emmanuel Buisson (voir carte ci-dessous). « Avec ces cartes corrigées, le risque n’est pas nul. » Selon l’état végétatif, la zone à risque augmente pour la rencontre périlleuse entre le gel et la vigne. Les prévisions météo restent un calcul de probabilité note Emmanuel Buisson, notant que sur certaines zones du val de Loire, de Gironde et du Sud-Ouest le risque de dégâts par le gel dépasse désormais 50 % pour les prochains jours.


Ainsi dans le Sud de la Gironde, « ce qui est horrible, c’est que l’on ne sait pas » témoigne Aurélia Souchal-Caumont, la présidente de l’AOC Cérons. Qui note que « les prévisions météo sont à peu près les mêmes qu’en 2021. En plus il y a pluie, mais la vigne est moins avancée (stade coton). On n’est pas sereins, comme on a été traumatisés… » Avec un optimisme aussi mesuré, Jean-Jacques Dubourdieu, le co-président des AOC Sauternes et Barsac, note que « la météo annonce jusqu’à -1°C, mais la vigne est en retard d’une semaine par rapport à l’an passé et le gel arrive une semaine plus tôt : il y a un risque, mais moindre. On se rassure comme on peut… »
En Bourgogne, « on est dans la même configuration que l’année dernière. C’est la goutte froide : on bascule de l’anticyclone et du beau temps à l’arrivée d’air froid et potentiellement de neige. C’est une gelée noire, d’hiver » anticipe Louis Moreau, le vice-président de la commission Chablis au sein du Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne (BIVB). Se préparant à 2 nuits compliquées avant que les températures ne remontent, Louis Moreau note que si chacun espère que ce ne sera qu’une fausse alerte avec des bourgeons dans le coton, tout le monde sera sur le pont pour sauver ce qui peut l’être. Même son de cloche en Val de Loire : « les collègues vont allumer les bougies et les tours antigel vont tourner ce week-end. Tout monde est sur les starting-blocks » indique Luc Poullain, le président de l’AOC Touraine Chenonceaux, qui note des différences de situation selon les cépages (avec le stade bouton vert pour le chardonnay ou le pinot noir), mais aussi les modes de conduite adaptées cette année pour retarder le cycle végétatif (période de taille et pli de la baguette reportés).


Dans le Languedoc, « on a plus de retard qu’en 2021 où les vignes les précoces avaient poussé sur 15 centimètres. Cette année, les gens ont taillé plus tard, l’impact sera moindre, mais il risque d’en avoir un » note Anthony Bafoil, le président territorial du département du Gard pour Coop de France. « Aux alentours de Nîmes ça a plus que bien démarré, les bourgeons ont bien grossi au Nord du Gard. Comme disent les collègues, on serre les fesses » ajoute le viticulteur, qui souligne que cette alerte est d’autant plus stressante que le moral vigneron est mis à mal : « les aides [à la suite du gel 2021] ne sont pas à la hauteur, les cotisations d’assurance ont augmenté pour être moins bien assurés, le marché du vin est tendu, les approvisionnements ont doublé avec le contexte actuel… C’est éprouvant. »
Avec cette première vague de froid pour accueillir le réveil de la vigne, le mois d’avril annonce un long chemin pour le millésime 2022.
* : d’après les modèles, le tiers des surfaces françaises d’abricotiers enregistreraient des dégâts de 50 à 80 %.
« La situation n’est pas aussi catastrophique que l’an passé : les cultures sont moins avancées après un hiver plus froid et les températures sont moins basses. Il y aura un moindre impact, mais pas une absence de dégât » analyse Emmanuel Buisson.