nnus horribilis… bis repetita ? Avec la vague de gel annoncée pour la fin de semaine et le début de débourrement dans le vignoble, le cocktail de ce début de printemps 2022 semble aussi explosif que celui de l’an passé, avec les gelées historiques d’avril 2021. « Il y a une conjonction entre le début de sensibilité de la vigne et un épisode suffisamment froid pour avoir des dégâts » constate David Pernet, le directeur du service conseil du cabinet Sovivins (basé à Martillac). Notant un éclatement généralisé des bourgeons dans le vignoble bordelais ce 29 mars, le technicien note qu’« avec les prévisions d’aujourd’hui, il n’y a pas d’équivoque : le week-end prochain des bourgeons auront atteint un stade de sensibilité (certes pas maximal) ».
« La vigne a un peu de retard, mais toutes les parcelles, sauf celles taillées tard, commenceront à arriver à un stade de bourgeonnement dans le coton où ça risquera un peu » note Jean-Samuel Eynard, le président de la Fédération Départementales des Syndicats d'Exploitation Agricoles de Gironde (FDSEA 33), soulignant que l'« on repart exactement sur la même météo qu'en 2021 : un changement de lune en milieu de semaine et un flux de vents du Nord-Est pour un mois ». Si les températures de ces nuits de samedi 2, dimanche 3 et lundi 4 avril 2022 s’annoncent moins basses dans le bordelais que celles enregistrées l’an passé, la différence inquiétante par rapport à 2021 est l’annonce de pluies ces jeudi 31 mars et vendredi premier avril : « il va y avoir de l’humidité au sol, ce qui peut accentuer l’effet pompe à chaleur » s’inquiète David Pernet, qui préconise aux vignobles de Bordeaux de se protéger dès ce week-end.


Ce conseil et ces craintes sont partagés dans le vignoble bourguignon. « Un peu d’eau est annoncé mercredi et jeudi, avec éventuellement de la neige : ça va humidifier le sol » indique Thierry Mothe, le secrétaire général des vignerons indépendants, basé à Chablis (Yonne). La perspective du retour du gel est une mauvaise surprise : jusqu’ici, « on était bien niveau timing. Mais avec les températures élevées de la semaine que l’on vient de passer, on a pris 7 à 15 jours d’avance et les bourgeons ont bien gonflé. Sur les zones les plus précoces, on est presque au stade de la pointe verte » rapporte Thierry Mothe. Face aux gelées attendues dans les nuits de samedi, dimanche et lundi, la surprise est d’autant plus mauvaise qu'elle se cumule avec des difficultés d'approvisonnement en Gazole Non Routier (GNR). Non seulement son prix flambe, mais il est difficile de s’en faire livrer pour alimenter les tours antigels et autres systèmes de chauffage. « On est surpris. On est déjà en alerte : on croise les doigts pour que l’on passe entre les mailles du filet » indique Thierry Mothe.
Ce coup de froid de début avril était pourtant prévisible indique le docteur en agroclimatologie Serge Zaka (ITK), qui note que si la plupart des applications météorologiques utilisées par les vignerons ne prévoyaient jusque-là que "douceur et pluie", c’était à cause du modèle américain GFS utilisé. Alors que d’autres modèles annonçaient déjà une vague d’air froid. « Les vignerons ont été piégés : le modèle le plus utilisé ne voyait pas de risque » note le docteur en agroclimatologie. Mais au vu des prévisions de Serge Zaka, on se dit qu’il valait peut-être mieux ne pas connaître les dégâts annoncés.
En l’état des prévisions, la masse d’air polaire, actuellement stationnée au large de la Norvège, va descendre ces prochains jours vers l’Europe et y être aspirée par une dépression. Ensuite, deux scénarios sont envisageables : « soit l’air reste polaire, il n’y a pas trop d’humidité et le froid reste sec (avec des températures de -4 à -5°C dans les terres), soit l’air froid devient maritime avec l’accompagnement d’une couverture nuageuse où les températures baisseront moins la nuit (-2 à -3°C) » indique Serge Zaka, estimant que dans le premier cas les dégâts seront « d’une intensité remarquable », et que dans le second scénario les « dégâts seront moins massifs qu’en 2021 ». La vigne étant moins avancée phénologiquement que lors des gelées de l’an passé. Les vignobles à risque sont notamment Bordeaux, le Languedoc et la Bourgogne, mais la cartographie des dégâts potentiels doit encore être affinée.


Alignant les mauvaises nouvelles, le docteur en agroclimatologie indique que cette dépression va s’accompagner d’un risque de chute de neige de 30 centimètres sur un axe allant de la Normandie au Limousin (pouvant toucher la Touraine) ou allant du Nord-Pas-de-Calais au Lyonnais (pouvant toucher la Bourgogne). Problème, « si le ciel se dégage, il y aura encore plus de dégâts avec de la neige restant au sol. Les températures étant alors fortement négatives du début de la soirée au lever du jour » prévient Serge Zaka. Qui martèle qu’une semaine à l’avance, il y a encore des précisions à apporter aux prévisions.
Mais dans tous cas, « il faut être vigilant, on joue dans la cour des grands : il y aura des dégâts, il faut se préparer » alerte le docteur en agroclimatologie. Qui prévient également que les tours antigels ne seront pas efficaces dans le cas d’un gel advectif (toute la colonne d’air étant froide). Et qui ajoute qu’il y a des risques de vents dans la vallée du Rhône, rendant les bougies inopérantes (seule l’aspersion serait efficace). Cerise sur le gâteau, « s’il gèle en altitude, les hélicoptères ne servent à rien » prévient l’expert. L’épée de Damoclès est de nouveau suspendue au-dessus de la tête du vignoble. Et le mois d’avril va à peine débuter.