remier fournisseur mondial de produits œnologiques, le groupe Laffort célèbre en 2015 ses 120 ans d\'existence et de leadership. Une position due à une rigueur toute familiale à en croire Jean-François Laffort : « notre démarche a toujours été de ne mettre sur le marché que des produits qui fonctionnent, et dont on a la preuve scientifique qu\'ils fonctionnent ». Actuel président du conseil de surveillance de Laffort Holding, il est la troisième génération de la famille Laffort à avoir dirigé la société éponyme. Et il se souvient du moment où l\'entreprise a pris une véritable ampleur internationale : « en 1985, quand on a transformé le budget publicitaire en budget de recherche. Notre expertise technique nous a crédibilisé et permis d\'introduire l\'ensemble de notre gamme. Je me souviens que notre discours sur la clarification à la gélatine avait marqué aux Etats-Unis. »
Dédiant 3 % de son chiffre d\'affaires à la recherche, le groupe Laffort réalise actuellement 60 % de son activité à l\'export (Italie, Espagne, Australie, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande...). Si elle a donné lieu à 18 brevets, cette démarche prudente a parfois laissé le champ libre à la concurrence. Comme pour le marché de bactéries lactiques à innoculation directe, dont le groupe danois Chr Hansen déclare être le numéro 1.« Prendre le temps de la vérification a pu nous desservir parfois, mais il s\'agit de crédibilité » tranche sans regrets Jean-François Laffort. Il annonce d\'ailleurs que pour les années à venir la maison Laffort « ne lâche pas la recherche ! » Un appétit confirmé par Virgine Moine (directrice scientifique de Laffort), qui est perpétuellement sollicitée par des œnologues avides d\'innovation et « d\'expérimentations, la curiosité de la filière est un moteur important » rapporte-t-elle.
En 120 ans la société Laffort aura accompagné les mutations du vignoble français. Ne serait-ce qu\'au début du XXème siècle, en passant des produits de stabilisation et clarification sur les lieux de consommation (Halles de Bercy, Nord de la France...) à ceux de vinification sur les lieux de production (avec déjà des développements export). Et plus récemment « l\'œnologie a évolué du très clinique et curatif au préventif » constate Charlotte Gourraud (directrice marketing de Laffort). Plus précisément Laffort aura porté l\'hybridation des levures, la solubilisation des tanins, la production industrielle de mannoprotéines, la mise au point de colles végétales, la réduction du sulfitage à la vendange, la gestion préventive des populations de Brettanomyces...
L\'empreinte œnologique de Laffort restera sans doute la production de levures spécifiques à certains cépages internationaux. « Au début des années 1970, on a commencé à mettre sur le marché des Levures Sèches Actives. Le seul avantage de ces produits pour les écoles d\'œnologie, c\'était la sécurisation de la transformation du sucre en alcool. Ils ne croyaient pas du tout à l\'existence de souches spécifiques selon le cépage » se rappelle Jean-François Laffort. Avec l\'appui des recherches de l\'œnologue Denis Dubourdieu et de la faculté de Bordeaux, l\'industriel a pu mettre au point des méthodes de dosage des thiols de sauvignon blanc, moyens d\'analyses qui ont validé l\'existence de souches levuriennes adaptées à des cépages. Et il reste encore « beaucoup à élucider sur la naissance microbiologique des arômes. On ne connaît pas la signature du chardonnay, c\'est le vide sidéral sur les molécules identifiant les vins rouges... » constate Virgine Moine, qui précise qu\'« aujourd\'hui on peut développer des souches spécifiques par l\'expérimentation et l\'observation. Mais avec des outils d\'analyse performants on irait plus vite et plus efficacement. »
Ces pratiques de sélection étant réalisées à une échelle industrielle, les critiques sur l\'uniformisation de la production mondiale de vins fusent, avec la tendance aux flores indigènes et fermentations spontanées. « Faire confiance à la nature ne marche que sur les grandes années » pose Jean-François Laffort, « avec les LSA on élimine les risques de fermentations languissantes et de déviations. Ce qui assure des bons vins, mais les grands vins ne viennent que d\'excellents terroirs. Nos levures ne créent pas d\'arômes, elles révèlent le potentiel du moût grâce à leur potentiel enzymatique. »
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La société Laffort a été créée en 1895 à Floirac par Jean Laffort, le grand-père de Jean-François Laffort. Autodidacte, il était négociant dans les produits agricoles et s\'est formé au contact de la station œnologique de Bordeaux (fondée en 1880). Quatrième génération aux commandes, Luc Laffort est le PDG depuis 2009 du groupe familial. D\'un point de vue stratégique, il poursuit la sécurisation des réseaux de distribution du groupe avec création de filiales dans le monde entier (un bureau chilien ouvre en 2015). L\'objectif de Laffort est également de maintenir sa présence sur l\'ensemble des processus de vinification, « en décelant les besoins des vinificateurs pour leur apporter des réponses œnologiques. Comme pour le changement climatique avec des sélections de levures ayant un moindre rendement de transformation sucre/alcool (programme Low Alcohol) » explique Charlotte Gourraud, qui veille également aux enjeux réglementaires : « la pression est de plus en plus forte, comme on l\'a vu avec les allergènes (qui ont également été une opportunité). La question de l\'étiquetage des ingrédients auxiliaires et des additifs reste aussi en suspens. »
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[Photos de Jean-François Laffort et de l\'usine de Floirac : DR]