Il y a des décennies où rien ne se passe et il y a des semaines où des décennies se produisent" aurait dit Lénine. Il semble que ces semaines de salon de l’Agriculture accélèrent le temps des décisions et concrétisations pour la filière viticole : loi d’orientation agricole, aides à la trésorerie, proposition de loi sur les friches, réflexions sur la révision d’Egalim, paquet européen sur le vin…
Jérôme Despey : Plein de choses se débloquent, c’est la magie du salon ! C’est un moment important pour la vie des femmes et des hommes qui font Agriculture avec une focalisation des visiteurs sur ce qu’est leur travail. C’est aussi un moment de sympathie à l’égard du monde agricole qui permet de faire avancer un certain nombres de sujets. J’avais dit fortement auprès du président de la République Emmanuel Macron, du premier ministre François Bayrou, de la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, des parlementaires et des groupes politiques qu’il ne fallait pas attendre le salon pour faire des annonces et régler des problèmes.
Le monde agricole souffre, la viticulture en particulier, après plus de 15 mois de mobilisations et d’attentes fortes. La situation politique n’a pas été favorable à l’urgence et aux mesures concrètes qu’attendent les agriculteurs. Après des heures de négociations et de discussions, il faut que ça aboutisse rapidement. Nous avons eu le projet de loi finances pour 2025 qui acte 450 millions d’euros pour couvrir beaucoup de dispositifs liés à la fiscalité et au social. La loi d’orientation agricole, qui vient d’être adoptée ce 19 février, reconnaît l’agriculture comme un intérêt majeur, met en place un guichet unique pour favoriser les transmissions… Cela fait trois ans que l’on attend cette loi d’avenir, on ne peut pas dire que ce soit allé rapidement. Sur l’aide aux trésoreries, il y aura dimanche 23 février sur le salon la signature du premier prêt de reconsolidation des dettes bancaires entre la ministre de l’Agriculture, la Banque Publique d’Investissement (BPI) et un agriculteur (un viticulteur j’espère). Cela va lancer enfin ce que nous attendons depuis des mois sur la reconsolidation de la dette face aux difficultés de la filière viticole. Ce sont des signaux positifs pour les agricultrices et les agriculteurs. Mais il reste beaucoup de sujets auxquels nous attendons des réponses. Le soutien au vignoble, il faut arrêter d’en parler et agir.
Quelles sont ces dossiers prioritaires que vous porterez lors de ce salon de l’Agriculture, de l’inauguration présidentielle du samedi 22 février à la clôture du dimanche 3 mars ?
Il y a la simplification administrative avec la mise en place du contrôle unique et la proposition de loi du sénateur Duplomb sur les moyens de production (éviter des retraits de molécules et la surveillance de la flavescence dorée avec des contraventions de cinquième classe pour lutter contre ce fléau qui peut anéantir le vignoble). Nous attendons le calendrier parlementaire sur Egalim pour aller chercher un prix rémunérateur et construire des indicateurs de coûts de production. La ministre a pris l’initiative auprès de l’Union Européenne sur l’évoluer de la réglementation de la moyenne olympique de l’assurance climatique. J’ai toujours défendu le système assurantiel, qui a le mérite d’exister, mais n’est plus adapté au changement climatique : si l’on n’y prend pas garde, il va y avoir un fort désengagement. Je reviendrai aussi auprès du gouvernement sur le sujet du solde des 40 millions € de l’arrachage définitif : je ne les oublie pas, il faut que l’engagement donné il y a un an par Marc Fesneau, quand il était ministre de l’Agriculture, puisse se traduire le plus urgemment pour les jeunes agriculteurs et pour les pépiniéristes. Il y a aussi le sujet du soutien à l’œnotourisme pour mener des actions plus efficientes. Et il faut mettre à profit le travail de plan de filière. Il faut que les choses avancent.
Concernant le prix rémunérateur des vins, la création d’Organisations de Producteur (OP) pour parler de coûts de production divise la filière…
Qu’il y ait des formes d’OP pour peser dans les négociations commerciales en regroupant l’offre et contractualisant davantage ne me choque pas. Mais imaginer des OP pour catégoriser et apporter des aides différenciées, j’y suis opposé. On a besoin de concentrer l’offre, on le voit tout cette campagne dans le paysage viticole. Nous devons être dans une stratégie où la filière doit trouver non pas des voies de division, mais d’assemblage de nos forces entre amont et aval, pour en faire des leviers de compétitivité et gagner des parts de marché.
Il y a des structures qui tiennent grâce à des stratégies commerciales et des investissements adaptés, mais d’autres font face à des situations difficiles avec des risques de dépôts de bilan et des viticulteurs qui ne sont déjà plus rémunérés. La filière a fait ce qu’elle devait faire pour éviter de laisser des personnes au bord de la route. Je ne regrette pas les distillations de crise, l’aide au stockage privé, le fonds d’urgence… Ils ont été particulièrement nécessaires dans des moments où la viticulture a subi le plus de bouleversements (climatiques, inflationnistes…). Quand il a fallu obtenir l’arrachage, nous sommes allés chercher des choses très exceptionnelles dans le cadre européen (avec l’aide Ukraine).
Vous portiez un projet de réduction du potentiel de production du vignoble reposant sur deux jambes : l’arrachage définitif et l’arrachage temporaire. Ce dernier semble enterré par les conclusions du Groupe de Haut-Niveau sur les politiques européennes vitivinicoles (GHN) et le commissaire européen à l’Agriculture Christophe Hansen (évoquant à la place une prolongation des autorisations de replantation).
Je n’abandonne pas la demande d’arrachage temporaire. Nous verrons le commissaire européen lors du salon. Il veut donner suite aux conclusions du GHN et la prendre parole sur les difficultés du secteur. Nous portons la demande d’allonger la durée de vie des autorisations de plantation, associée au dispositif d’adaptation du vignoble aux nouvelles attentes des consommateurs. Lors du salon Wine Paris, on voit que les exposants innovent. L’arrachage différé peut permettre de répondre aux nouvelles opportunités de marchés et aux nouvelles attentes des consommateurs. Le sujet de l’arrachage temporaire des vignes ne peut pas être mis aux oubliettes. Je ferai en sorte qu’il ne le soit pas. Nous devons nous donner les moyens de pouvoir préparer l’avenir. Je ne veux pas être résigné, il faut dire que la filière vin a de l’avenir. C’est pour ça que je défends la mobilisation des fonds européens de l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM) pour les seuls projets structurants (investissements, promotion…). Il y a eu des difficultés et il y en aura encore, mais il y a des opportunités à saisir. Nous affirmons notre ambition pour la viticulture afin de se mettre dans une dynamique qui apporte une vision et un cap. On ne peut pas gérer que des crises.
Attendez-vous la visite du président sur le pavillon vin ? Avec quelles annonces ?
Le président a prévu de venir samedi et il est important qu’il puisse rencontrer les filières, notamment celles qui vivent des difficultés. Il y a des attentes fortes de la viticulture auprès du chef de l’État sur les questions internationales : le sujet des taxes chinoises pour les cognacs et armagnacs, l’état des discussions avec le président des États-Unis, Donald Trump, quand on voit les sanctions qui peuvent nous tomber sur la tête…
Plus globalement, comment va se passer ce salon de l’Agriculture 2025 après une édition tendue en 2024 par les manifestations et débordements sur le site ?
Il est hors de question qu’il y ait des blocages de visiteurs pour permettre des visites politiques. Nous ne fermerons pas des halls, il faut que le salon puisse vivre. C’est un lieu d’échange et de confrontations, j’y veillerai.