Comment peut-on oser (et comment les fraudes peuvent laisser faire) vendre un produit qui n'est pas du vin en écrivant en énorme "LEVIN" sur l'étiquette ? » s’énerve Matthieu Lequeux, œnologue conseil. « Comment pouvez-vous annoncer un chardonnay fermenté sans alcool ? Le principe même de la fermentation est de transformer le sucre en alcool, je crois que vous devez être clair et ne pas tromper le consommateur ! » renchérit le vigneron Bertrand Gourdou. Le lancement chez les cavistes et dans les magasins bio de la gamme "Levin" par le domaine Villa Noria, à Montagnac, dans l’Hérault, déchaîne les passions sur les réseaux sociaux. « Nous informons correctement les consommateurs en indiquant sur l’habillage de nos chardonnay, pinot noir, et syrah rosé qu'il s'agit de raisins bio fermentés sans alcool », rétorque l’inventeur Fabien Gross, passé dix ans par les Grands Chais de France et créateur de la marque Pierre Chavin, qu’il a entièrement revendue à son ex-associée en 2021.
Se disant toujours déçu de la qualité des vins désalcoolisés ou des jus de raisins dilués dans des infusions, l’Alsacien a profité de sa période de non-concurrence pour travailler sur « une vraie innovation », une fermentation qui ne produit pas d’alcool. « J’ai demandé à un laboratoire de me préparer un levain composé de levures non Saccharomyces et d’un mix de bactéries lactiques utilisées dans d’autres filières agroalimentaires », dévoile-t-il, sans détailler la liste brevetée des souches qu’il a mis 3 ans à sélectionner.
Ce levain transforme le sucre des baies en acide lactique et en CO2. « Il produit de discrets arômes beurrés, floraux, et citronnés que l’on a l’habitude de retrouver dans les vins d’élevage », décrit Fabien Gross. L’œnologue vendange une partie des raisins produits sur les 80 hectares de Villa Noria en légère sous-maturité et les congèle. Il les fermente à la demande dans un atelier annexe au chai pour éviter toute contamination par les Saccharomyces cerevisiae. « J’ai raté beaucoup d’essais et j’ai investi presque 2 millions d’euros en matériel, notamment pour pasteuriser, mais à l’arrivée je réussis à commercialiser une boisson ne contenant que 4,8 grammes de sucres pour 100 ml, réalisée sans aucun intrant, sans arômes ajoutés, sans sulfites, sans métabisulfite ou sorbate de potassium, sans acide citrique, sans rien ! ». Jusqu’au-boutiste, Fabien Gross conditionne ses raisins fermentés sans alcool dans des bouteilles réemployables. D’après ses calculs, le bilan carbone de la gamme Levin est 70 % inférieur à celui d’un vin désalcoolisé.


Revenant sur le choix de la marque, l’entrepreneur admet être « sur le fil du rasoir », avec son jeu de mots autour du levain. « Mais si des jaloux viennent vraiment m’embêter, ils vont aussi faire mal à "Chavin", "Divin", et 50% des marques de sans alcool. Ce sont des millions de bouteilles qui vont sortir du marché, prévient-il, car aujourd’hui personne n’est 100 % en conformité avec la réglementation, pas même les grands groupes. »
Regrettant les polémiques des œnologues « gardiens de musée, regardant la vigne se faire arracher sans rien tenter », Fabien Gross est fier d’ouvrir de nouvelles voies de diversification à la viticulture et déconseille aux vignerons bio de se lancer dans la désalcoolisation quand elle leur sera ouverte. « Ils vont se tirer une balle dans le pied avec des process très industriels alors que la fermentation sans alcool permet d’innover de manière bien plus vertueuse pour l’environnement ». Depuis deux ans, Fabien Gross commercialise aussi le kombucha Sobaie à base de raisins.