À Cognac, on sait attendre. C’est la seule manière de faire un bon produit » disait Jean Monnet, père de l’Europe et figure charentaise, qui n’oubliait pas de plaider pour l’action du changement : « l’évidence et la nécessité, quand elles se rencontrent, ne devraient plus laisser d’hésitation ni de répit. » Dont acte avec l’aboutissement actuel du projet de Volume Cognac Complémentaire Individualisé (VCCI) : un droit à produire par exploitation qui augmente le rendement de vignes proportionnellement à la réduction des surfaces. Soit « un système de compensation de rendement pour les parcelles qui feront l’objet d’un arrachage » résume Anthony Brun, le président de l’Union Générale des Viticulteurs pour l'AOC Cognac (UGVC).
Lancées l’été dernier face aux menaces de taxes chinoises (prenant actuellement la forme de cautionnement bancaire) et aux difficultés du marché américain (encore plus en tension avec la nouvelle présidence de Donald Trump), les réflexions sur une réduction volontaire du vignoble réversible et rentable présentées aux vendanges ont continué de s’affiner avec les administrations et les autres bassins viticoles pour aboutir à un projet quasi définitif ce début 2025. Validé ce jeudi 9 janvier par le Comité Régional de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), le dispositif doit être étudié ce jeudi 6 février par le comité national des vins et alcools à appellation d'origine de l'INAO. Un vote positif permettrait de tenir le calendrier et aboutir à la mise en œuvre de cet outil dès le millésime 2025.
Rendement bonifié
Portant le sujet, le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) rapporte que le projet charentais est en train de passer petit à petit les étapes permettant de modifier le cahier des charges de l’appellation Cognac afin d’appliquer le dispositif de VCCI dès le millésime 2025. Nécessitant également une modification du Code Rural, cet outil inédit instaure un rendement individualisé modifiant le rendement de base de l’AOC Cognac, défini chaque année selon les projections de besoins commerciaux du Business Plan, pour les seuls viticulteurs ayant choisi d’arracher des parcelles de vignes. Plafonnée à 12 hectolitres d’alcool pur par hectare, cette bonification du rendement individuel permet de maintenir le volume total commercialisable par un vignoble tout en optimisant sa capacité de production sur des surfaces réduites.
De quoi diminuer pour le vigneron « les charges de manière temporaire sur la base du volontariat sans perdre le potentiel de commercialisation » avance Anthony Brun, ajoutant que cet outil permettrait « sans perdre le bénéfice des ventes, de réduire les coûts de maintien de la production et permettre à terme le renouvellement du vignoble (le temps que les cépages résistants arrivent par exemple). » Tributaire de négociations européennes, ce dispositif dépend de l’allongement à 5 voire 8 années de la durée de vie des autorisations de replantation, que Bruxelles envisage. En ces temps de restriction budgétaire, un argument pour le VCCI reste son absence de subventions : à la mode charentaise, l’outil a été créé par et pour la filière Cognac en toute autonomie. Allant vite, les professionnels du Cognac ont non seulement impliqué les administrations (ministère de l’Agriculture, INAO, Douanes…) mais aussi les autres bassins viticole (spécialisés dans les vins blancs). Un temps évoqué, le déclassement en vins sans indication géographique n’ouvrira pas de droit à un VCCI pour préserver l’étanchéité entre les segments.


« Outre la résilience des exploitations, avec le choix individualisé d’arracher et baisser ses coûts, l’autre objectif est de limiter le potentiel de perturbation des autres vignobles » assume-t-on au BNIC, précisant qu’avec l’enquête antidumping chinoise, Cognac est en train de perdre brutalement 25 % de ses débouchés : « donner la possibilité d’arracher ces vignes de manière temporaire vient couper le risque de déversement ». Ce qui permet de « diminuer le potentiel de production de vins charentais sans voir d’excédents se déverser » valide Anthony Brun.
Le président de l’UGVC pointe que ce rendement à la carte de l’arrachage ne réglera pas les difficultés commerciales et géopolitiques, mais cela doit permettre au vignoble d’optimiser les coûts de production pour attendre l’embellie des marchés. Les principes de l’outil seront présentés à partir du lundi 10 février lors de réunions de terrain de l’UGVC dans le vignoble charentais. Nul doute que l’enjeu du rendement 2025 sera au cœur des discussions, après un rendement 2024 tombé à 8,64 hl AP/ha, -17 % par rapport à 2023, déjà en baisse de 10 %.
Appelé à baisser de nouveau en 2025 et rester bas les prochains millésimes face aux incertitudes commerciales, le rendement Cognac sera sans doute la meilleure incitation pour cet arrachage augmentant le potentiel de production des surfaces restantes. Le rendement Cognac pour 2025 devrait être connu rapidement, possiblement dès février, pour permettre aux viticulteurs d’arbitrer leurs décisions d’arrachage et de VCCI. Si l’outil est actif dès la campagne 2025, le BNIC ne s’attend pas à des arrachages massifs, mais à de premiers essais avant que le dispositif ne prenne de l’ampleur les années suivantes. Voire inspire d’autres vignobles. « Lorsque le problème devient le même pour tous, et que tous ont le même intérêt à sa solution, les différences, les soupçons s’effacent, et alors souvent l’amitié s’installe » écrivait Jean Monnet.