pectacle inhabituel sur les quais de Cognac ce mardi 19 et ce mercredi 20 novembre : des centaines de manifestants se sont massés devant la maison Hennessy (groupe LVMH) pour protester contre toute idée de tester la mise en bouteille de cognac en Chine afin d’éviter les cautionnements/garanties bancaires imposées par la Chine (sur les contenants de moins de 200 litres). Rassemblant 450 manifestants hier et 200 ce matin d’après la préfecture de Charente, la mobilisation est suivie par 550 à 600 grévistes selon les syndicats (CGT, CFDT et Force Ouvrière) qui annoncent l’arrêt des deux pôles d’embouteillage du premier producteur de cognacs (les sites de Pont-Neuf et de la Vignerie) et de son chai (à Bagnolet).
Ne commentant pas ces chiffres, Hennessy indique à Vitisphere que face aux effets commerciaux des taxes chinoises, « dans ce contexte complexe, la maison étudie toutes les possibilités pour préserver l’ensemble de la filière Cognac ». Afin de « clarifier les spéculations récentes », le négociant « précise que l’étude à mener porterait seulement sur la prestation de mise en bouteilles qui pourrait être provisoirement confiée à un prestataire basé en Chine sous conditions du résultat des études à mener » mais « dément formellement tout projet de "délocalisation de sa production à Cognac" : les vendanges, la distillation, la maturation en fûts de chêne, l’assemblage… seront toujours réalisées à Cognac, avec un maintien de notre approvisionnement en matières sèches (bouteilles, étiquettes,…) dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. » Autre point crucial pour Hennessy : « rien n’a encore été décidé et que nous évaluons toutes les solutions, d’autant plus que toute étude prendra du temps ».


Ayant appris la semaine dernière en Comité Social et Économique (CSE) le changement de PDG dès février prochain et le projet de faire partir une petite quantité de cognac vrac vers la Chine afin d’étudier un projet d’embouteillage par un sous-traitant chinois*, les élus syndicaux ont vu rouge. « On sait où mène ce type de processus expérimental. Cela pourrait à terme concerner 600 000 caisses, soit 10 % de notre production. Ce n’est pas négligeable ! » pointe Frédéric Merceron, représentant FO chez Hennessy, pour qui « ce serait une catastrophe pour l’emploi et tous les fournisseurs de matières sèches et produits dérivés (bouteilles, étuis, étiquettes, bouchons…). »
Échangeant ce mardi 19 novembre avec la direction des cognacs Hennessy, les manifestants restent sur leur faim. « On va changer de PDG d’ici quelques mois. On se pose la question de savoir si les garanties de la direction actuelle sur la préservation de l’emploi et des matières produites engageront la nouvelle direction » réagit Yvan Biais, délégué CGT chez Hennessy, qui parle d’un test de 1 000 litres de vrac partant mi-décembre et d’une « grosse inquiétude. Si Hennessy le fait, en tant que leader du secteur, les autres maisons emboiteront le pas pour contourner les taxes et ne pas être défavorisées en Chine. »
Tache d’huile
Le risque de faire tache d’huile est identifié par Henri Lalouette, le secrétaire général de l’Union Départementale Force Ouvrière en Charente : « tous nos délégués dans les maisons de Cognac commencent à s’inquiéter. Si Hennessy donne le ton, d’autres vont suivre. Sur notre bassin, 72 000 personnes travaillent dans la filière et ses fournisseurs et pourraient être touchées. » Parmi les autres grandes maisons, on se veut rassurant. Contacté, « le groupe Rémy Cointreau confirme qu’aucun projet de délocalisation de production n’est envisagé chez Rémy Martin ». Pour les cognacs Martell (groupe Pernod-Ricard), « notre première préoccupation [en Chine] demeure la reprise de la consommation locale sur un marché au ralenti et d’arriver à une solution négociée pour sortir le Cognac d’un conflit commercial dont il est la victime collatérale, solution qui n’interviendra qu’avec la pleine mobilisation des autorités françaises » Ne se positionnant pas sur « une question de stratégie individuelle de maison », le Syndicat des Maisons de Cognac (SMC) précise que « cela révèle qu'il est indispensable qu'une solution politique soit trouvée sur les taxes ».
Pour le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC), ces projets et tensions ne font justement qu’ajouter à la nécessité de résoudre politiquement le conflit commercial entre Bruxelles et Pékin. « Depuis le 11 octobre, les taxes sont appliquées sous forme de cautionnement : un nouveau cran a été franchi et notre activité est atteinte » indique dans un communiqué ce 18 novembre l’interprofession charentaise, pointant que « si rien n’est fait, la situation va continuer à se dégrader. Nous en appelons une fois encore aux pouvoirs publics pour qu’au plus vite, une solution soit apportée à un dossier politique dont nous subissons aujourd’hui pleinement les conséquences douloureuses. »


« Notre direction nous dit que ce sont les politiques qui ont la clé. Peu importe, on veut l’abandon de ce projet, de cette étude en petites quantités pour échapper aux taxes » rétorque Frédéric Merceron. « En tout état de cause, on ne souhaite pas que l’embouteillage parte en Chine, ne serait-ce que temporairement » confirme Yvan Biais, qui pointe qu’en essayant de contourner le dispositif chinois, « quelle serait la réaction de la Chine ? Une taxe plus forte ? Il n’y a aucune garantie de succès. » Ne prenant la parole que sous la casquette de président du BNIC (ayant mis de côté ses fonctions pour Hennessy depuis son élection il y a un an), Florent Morillon indique ne pas avoir de jugement sur la stratégie de contournement, mais note que « le gouvernement chinois peut décider de nouvelles règles sur son territoire. Et chaque maison peut envisager un plan B et même C dans la situation actuelle pour se préparer au pire. Pour nous, la solution ultime, c’est celle de la diplomatie. »
Même vision pour Hennessy, qui déclare que « les surtaxes qui touchent les expéditions de bouteilles en Chine pour l’ensemble des producteurs de Cognac depuis le 11 octobre sont la conséquence d’un contentieux politique qui n’a rien à voir avec le Cognac. Dans le droit fil de la communication du BNIC, l’objectif de la Maison Hennessy est de se battre sur tous les fronts pour trouver des solutions afin de préserver ses intérêts et ceux de l’ensemble de l’écosystème cognaçais. »
Un prochain rendez-vous est prévu ce mardi 26 novembre entre syndicats et direction des cognacs Hennessy. Les prochaines actions syndicales seraient à l’étude.
* : Un projet déjà évoqué en février par la direction de Moët Hennessy (division vin de LVMH) rapporte Yvan Biais, pointant que les salariés s’étaient immédiatement rassemblés pour dire non à toute idée d’embouteillage en Chine.
Frédéric Merceron décrit « une grève sans précédent. Cela faut 30 ans que je travaille chez Hennessy, c’est du jamais vu. »