e millésime 2024 à Bordeaux ? « L'alchimie de la transformation de l'eau en vin », résume David Pernet, responsable du service conseil de Sovivins, dans sa synthèse annuelle.
De l'hiver le plus arrosé depuis 2000, avec de l'eau « pas entièrement bénite », aux nombreuses pluies de la première et de la troisième décade de septembre « qui ont dilué les raisins et accéléré les vendanges sous l'effet de la pression du botrytis », en passant par les orages de mai et de la deuxième quinzaine de juin, « favorable à des contaminations massives de mildiou sur les grappes et localement accompagnés d'épisodes de grêle dévastateurs » (le 18 mai sur Saint-Estèphe et l'extrémité sud du Médoc, le 17 juin sur le Nord du Médoc, le 19 juin sur le Fronsadais et le Nord-Ouest du Libournais, puis le 29 juin à nouveau sur Fronsac et Saint-Laurent-Médoc), toute l'année, la météo aura joué des tours aux vignerons.
Après une accalmie salutaire du 12 au 20 septembre associée à un temps sec et des nuits fraîches ayant enfin permis à la maturité de progresser sans avancée significative du botrytis, la vendange des merlots s'est généralisée à partir du 23 septembre. « Aujourd'hui presque tous les merlots sont rentrés. Les vendanges des cabernets démarrent, et au 11 octobre tout sera terminé », anticipe Pascal Hénot, oenologue conseil pour l'Enosens de Coutras.
En bout de course, les volumes ne sont pas au rendez-vous. Plus que par le mildiou, que les vignerons ont malgré l'énorme pression maîtrisé moyennant une fréquence de traitements record, « autour de 30 dans les vignobles bio », selon David Pernet, la récolte a surtout été amputée par la coulure généralisée sur les merlots et le millerange. « Les rendements tournent autour de 50 hl/ha en blanc et vont globalement de 30 à 40 hl/ha en rouge », témoigne Pascal Hénot.
Heureusement, les vins sont très satisfaisants. « En blanc et en rosé, ils sont tops », assure l'œnologue. « Les sauvignons ont été ramassés dans un état sanitaire parfait début septembre et au pic des thiols », explique-t-il. Concernant les sémillons, David Pernet les trouve meilleurs sur les sols les plus argileux qui ont pu profiter de la deuxième décade sèche de septembre et apporter un volume en bouche.
En rouge, les températures modérées de septembre ont ralenti le chargement en sucres et la dégradation des acides. Les précipitations ont empêché la concentration par déshydratation en fin de maturation, mais favorisé la dilution. « La grande majorité des merlots présentent un degré alcoolique potentiel inférieur à 13% vol. alc., et beaucoup de cabernet-sauvignons n'atteignent pas 12% », observe David Pernet. Pascal Hénot voit beaucoup de viticulteurs chaptaliser de 0,5 voire d'1% vol. alc.


Les vins ne sont pas ceux que les bordelais ont l'habitude de vinifier. « Ils ne sont pas puissants, pas très concentrés, pas très sombres. Ils sont souples, agréables, et plus sur le fruit frais que sur le fruit mûr. En somme, ils sont complètement conformes au goût actuel des consommateurs », se satisfait Pascal Hénot.
David Pernet est plus mitigé. Il observe une grande différence de qualités entre les terroirs. « Sur les sols les plus favorisés, les raisins sont délicieux, avec une belle aromatique et des tanins présents et élégants au moment de leur récolte, alors qu'ils sont dilués avec encore des notes végétales sur les terroirs plus compliqués lorsque leur état sanitaire impose de les vendanger », décrit-il. Pour lui, 2024 est un millésime de terroir, mais aussi de vignerons. « Des écarts d'une semaine entre parcelles ou propriétés généralement très proches en termes de cinétique de maturation ont été observés. Il fallait accepter de vendanger à une date différente de celle de son voisin sous peine de vendanger trop précocement ou au contraire avec un état sanitaire dégradé. Les vendanges de l'anticonformisme en quelque sorte », conclut-il.