anusz Wojciechowski : Premièrement, je vous remercie pour vos questions sur ce sujet important. J’ai discuté à plusieurs reprises des défis auxquels est confronté le secteur vitivinicole de l’Union Européenne tout au long de mon mandat : lors de réunions avec les ministres, tant au niveau bilatéral qu’au sein du Conseil de l’agriculture et de la pêche de l’Union européenne, ainsi qu’avec les parties prenantes au niveau européen et au niveau des États membres. J’ai également visité des vignobles dans un certain nombre d’États membres, afin de rencontrer les producteurs sur le terrain et de mieux comprendre les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Je suis pleinement conscient des questions soulevées au cours de ces discussions, ainsi que de l’importance majeure que revêt le secteur vitivinicole pour les économies rurales et régionales, qui contribue de manière décisive à la balance commerciale positive de l’Union Européenne dans le secteur agroalimentaire.
C’est pourquoi j’ai annoncé la création de ce groupe de haut niveau sur la politique vitivinicole en mai. Je me réjouis à la perspective de sa première réunion en septembre et je suivrai de près ses travaux. Nous devons saisir cette occasion pour débattre collectivement de nos défis, évaluer les voies à suivre et décider ensemble des mesures que nous devons prendre. Toutes les solutions pour garantir un avenir solide et durable au secteur seront explorées, car ce n’est pas seulement l’avenir de nos vignobles et de nos caves que nous travaillons, mais aussi l’avenir d’innombrables communautés rurales dans toute l’Europe.
Quelle est votre vision actuelle de la situation socioéconomique du vignoble européen ? Si des entreprises et segments restent performants, des témoignages alarmants se multiplient sur des difficultés croissantes sur le terrain.
La décision d'établir un groupe de haut niveau est fondée sur le fait que le secteur vitivinicole se trouve dans une situation très fragile. Après avoir généré une valeur considérable, en termes de croissance économique et d'emplois dans de nombreuses zones rurales, au cours des dernières décennies, le secteur se trouve aujourd'hui à un point délicat où des facteurs conjoncturels défavorables s'ajoutent à des facteurs structurels. La baisse de la consommation se poursuit, en particulier pour les vins rouges, et elle s'est récemment accélérée en raison de l'érosion du pouvoir d'achat des consommateurs. Et ce, non seulement dans l'Union Européenne, mais aussi sur les principaux marchés d'exportation. D'autre part, les phénomènes climatiques défavorables, de plus en plus fréquents et dommageables, rendent la production de plans de plus en plus difficile. Les producteurs sont donc pris entre deux feux, entre les incertitudes de la demande et celles de la production. Il est donc nécessaire de discuter et de réfléchir avec les secteurs et tous les États membres sur la manière d'aider le secteur à faire face aux défis futurs.
La création d’un groupe de haut niveau pour les vins européens acte donc une crise inédite dans son ampleur et sa déstabilisation du secteur ? Quel est le calendrier et quels sont les objectifs de cette plateforme entre institutions et professionnels ?
Comme nous l'avons dit, le secteur se trouve aujourd'hui à un point délicat où des facteurs conjoncturels défavorables s'ajoutent à des facteurs structurels. Ces derniers ne sont pas nouveaux, mais ils se sont aggravés plus récemment, d'où la nécessité urgente d'élaborer une stratégie qui puisse aider le secteur à continuer à fournir des avantages et de la valeur à l'avenir également.
Le groupe de haut niveau devrait se réunir de septembre à décembre, trois ou quatre fois, selon les besoins, afin de parvenir à des conclusions politiques concrètes et à des recommandations à l'intention de l'Union Européennes et des États membres.
Comment seront traitées les questions de la déconsommation du vin, de l’instabilité géopolitique pesant sur l’export, des aléas climatiques récurrents, etc. ?
Ces sujets font parties des questions qui devront être discutées avec le secteur et les États membres afin de trouver des solutions possibles pour aider le secteur à mieux y faire face à l'avenir.
Au-delà des outils structurels étudiés ces prochains mois par le groupe de haut niveau, la filière des vins européens demande des outils conjoncturels rapides, notamment la réduction du potentiel de production avec un arrachage temporaire et un volet définitif. Les discussions entre la Commission et la France ont-elles abouti sur un dispositif ? La France a-t-elle déposé officiellement sa demande de mesure en ce sens ? L’objectif de calendrier d’une mise en œuvre le 15 octobre sera-t-il tenu ?
La Commission est déjà intervenue avec des mesures d'urgence l'année dernière [NDLA : la distillation de crise de 200 millions € pour la France] et récemment cette année [NDLA : 15 millions € pour la distillation au Portugal] pour aider à éliminer l'excès de certains vins sur le marché. À l'époque, la Commission avait clairement indiqué que les mesures conjoncturelles devaient être accompagnées de mesures structurelles bien pensées. Le groupe de haut niveau a, entre autres, pour objectif de concevoir avec le secteur et les États membres des mesures structurelles harmonisées et cohérentes. La France a présenté une demande d'arrachage définitif le 8 juillet 2024 seulement, et la Commission est en train de l'analyser.
Le vignoble français portait il y a quelques années une demande de restructuration différée qui n’a finalement pas pu aboutir : qu’est-ce qui a changé désormais pour expliquer ce déblocage ?
Ce point a déjà été répondu aux questions précédentes.
La filière demande également la prolongation des autorisations de plantation et de la flexibilité dans les aides à la promotion… Quelle est la position de la Commission face à ces demandes ?
En ce qui concerne les autorisations de plantation, la Commission travaille sur une éventuelle prolongation de leur validité dans le cadre des pouvoirs juridiques disponibles.
Estimant que le temps politique est trop long par rapport à celui économique, la filière des vins européens appelle à plus de flexibilité et d’agilité dans les outils communautaires de soutien face aux crises. Des notifications de mesures de soutien prévues à l’avance avec des cofinancements prédéfinis seraient-elles possibles pour gagner du temps dans l’action des mesures d’aides ?
Après avoir vérifié les besoins réels d'intervention sur la base d'informations solides reçues des États membres qui en font la demande, la Commission agit aussi très rapidement pour mettre en œuvre des mesures de crise par le biais de procédures d'urgence. Les informations sont fournies aux autorités nationales avant l'adoption des actes juridiques. Des notifications plus précoces nuiraient aux efforts nécessaires des agriculteurs pour mettre en œuvre les outils de gestion des risques
Le dernier groupe à haut niveau de la Commission pour le vin traitait de la fin des droits de plantation : est-ce que le bilan des nouvelles autorisations de plantation sera réalisé par le nouveau groupe de travail ?
Les autorisations de plantation, comme tous les autres instruments politiques, seront bien entendu discutés au sein du groupe de haut niveau.
* : Envoyant officiellement sa demande le 8 juillet, le ministère de l’Agriculture ajoute que « cette notification des autorités françaises est le prolongement de nombreux échanges entre les services du ministère avec ceux de la Commission depuis le début de l’année, qui ont permis d’explorer les voies et moyens visant à permettre la mise en œuvre d’une mesure de réduction du potentiel viticole ». La rue de Varenne détaille que « le ministre s’était entretenu avec le Commissaire européen à l’agriculture le 31 janvier dernier dans le cadre d’une réunion bilatérale à Bruxelles pour évoquer la nécessité de travailler à la mise en place rapide d’un dispositif de réduction du potentiel de production viticole via une mesure d’arrachage définitive ou temporaire. Il avait alors été convenu qu’un travail technique serait mené entre les équipes du ministère français et celles de la DG Agri pour identifier les modalités de mise en œuvre d’un tel dispositif, ce qui a été fait depuis lors avec des échanges fréquents et nourris. Le ministre avait annoncé lors du SITEVI à Montpellier le 30 novembre, une demande de "restructuration différée" comprenant l’arrachage différé a été portée depuis lors auprès de la Commission pour application en 2024. A partir de cette date, le MASA s’est ainsi organisé pour porter la demande en interministériel et auprès de la Commission, ce qui a donné lieu à de nombreux travaux, également avec nos collègues d’autres Etats Membres, et ce dès le 5 decembre aboutissant à l'envoi d'un courrier commun FR-ES-IT à la Commission le 27 janvier ».
Réunies ce 9 juillet dans le vignoble de la Rioja, à Logroño, « les organisations représentatives du secteur vitivinicole européen d'Espagne, de France et d'Italie* ont souligné la grave situation que connaît le secteur et demandent que les autorités européennes prennent des mesures courageuses et ambitieuses » indique un communiqué collectif publié ce 17 juillet. En amont de la première réunion du groupe de haut niveau (la seule pour laquelle elles soient conviées à date), les instances professionnelles des trois premiers pays producteurs de vin dans le monde ont listé leurs souhaits : « un budget renforcé et flexible pour accompagner la compétitivité et les évolutions du secteur ; des outils dotés de mécanismes flexibles et agiles pour gérer l'instabilité des marchés ; un réel soutien en termes de politique de promotion pour retrouver nos consommateurs, en mettant en œuvre des améliorations concrètes dans l'accès, l'exécution et la justification des mesures de promotion du vin avec des fonds européens ; des mesures pour répondre aux défis du changement climatique tant dans la recherche pour sa prévention et l'adaptation du secteur que dans l'aide à ses conséquences dans les vignobles. »
Le groupe de contact du comité mixte France-Espagne-Italie pour le secteur vitivinicole ce 9 juillet à Logroño.
* : La liste des organisations participantes regroupe pour la France la Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d'Origine Contrôlées (CNAOC), la Coopération Agricole – Vignerons Coopérateurs de France (VCF), les Vignerons Indépendants de France (VIF) et la Fédération Nationale des exploitants agricoles (FNSEA). Pour l'Espagne ce sont l'Association espagnole des entreprises vitivinicoles (AEVE), l'Association des jeunes agriculteurs (ASAJA), les Coopératives agroalimentaires d'Espagne, la Conférence espagnole des conseils de réglementation du vin (CECRV), le Coordonnateur des organisations d'agriculteurs et d'élevage (COAG), la Fédération espagnole du vin (FEV), l'Organisation interprofessionnelle du vin d'Espagne (OIVE) et l'Union des petits agriculteurs et éleveurs (UPA). Pour l’Italie, on retrouve Alleanza delle cooperative italiane agroalimentari, Assoenologi, CIA, Coldiretti, Confagricoltura, Copagri, Federdoc, Federvini, FIVI e Unione Italiana Vini.