Lamberto Frescobaldi : Nous ne disposons pas de chiffres précis. La récolte 2023 était petite, et nous n’avons pas l’impression que la production italienne soit excédentaire. Dans tous les cas, il n’y pas d’excédents importants stockés dans les caves. Force est de reconnaître que le marché est actuellement un peu mou, mais pas pour l’ensemble du pays, uniquement pour certaines régions. Des vignobles comme Barolo ou la Toscane toute entière et la Sicile se portent bien. Il y a même une pénurie de vins dans ces zones. A contrario, il y a des régions qui n’ont pas suffisamment développé des marques ou des appellations ces dernières années et où la commercialisation est au ralenti. Les prix des vins sont un peu plus faibles que ce que l’on attendait, mais globalement ils ne sont pas mauvais.
Lorsqu'on voit ce qui se passe à Bordeaux, on pourrait imaginer que la situation en Italie serait bien pire. Bordeaux représente 113 000 hectares contre 56 000 pour l’ensemble de la Toscane, soit moins de la moitié, ce qui en dit long sur la situation excédentaire à Bordeaux. En réalité, il y a toujours eu des excédents à Bordeaux, simplement la Chine l’a fait oublier. De même, dans les années 1970, on a vu un revirement extraordinaire à Bordeaux, des vins blancs vers les rouges. Désormais, la région revient lentement mais sûrement vers les blancs.
En France on parle beaucoup d’arrachages actuellement, mais pas en Italie. Est-ce parce que vous ne connaissez pas la surproduction structurelle?
Au sein de l’UIV, nous ne sommes pas contre les arrachages en tant que tels. Nous devrons peut-être arracher des vignes, mais cela demande des réflexions approfondies. Tout d’abord, les vignobles en zones montagneuses ou dans des régions vallonnées de l’Italie sont absolument essentiels. La pérennité de certaines régions dépend des vignobles – on ne peut y implanter aucune autre culture. Nous sommes également contre les arrachages dans des régions qui ont implanté des vignobles au cours des vingt dernières années grâce aux subventions européennes dans le cadre de l’OCM. Allez dire à nos contribuables que nous arrachons des vignes dont la plantation a été financée avec leurs deniers. Personnellement, je serais furieux. Cela ne peut se justifier. Mais il y a des vignes plus anciennes qui ne donnent peut-être pas les résultats attendus en plaine qui pourraient être arrachées, pourquoi pas ?
Nous sommes contre l’utilisation de fonds destinés à la promotion pour financer les arrachages, parce que nous estimons que la promotion a été l’une des clés du succès des vins italiens ces dernières années. Les fonds de promotion de l’OCM vitivinicole ont dynamisé l’ensemble du pays, depuis le Haut-Adige jusqu’en Sicile. Ils ont joué un rôle déterminant, incitant les producteurs à mieux produire pour que ces produits puissent être bien commercialisés. Ne supprimons donc pas cette opportunité financière. Il y a cinquante ans, la responsabilité du secteur agricole en Italie a été transférée depuis le gouvernement central vers les gouvernements régionaux. Chaque région devrait donc réaliser un sondage pour savoir si son secteur vitivinicole est excédentaire ou pas, et puis apporter les financements pour que certains producteurs arrachent leurs vignes le cas échéant. Les financements devraient donc provenir des budgets disponibles au niveau régional, pour une région donnée, et non pas être amputés des budgets nationaux ou européens. Nous préférons que la situation soit gérée au cas par cas.
Contrairement à l’Espagne et à la France, il ne semble pas être question en Italie de réduire le potentiel de production. Pour quelle raison ?
Au cours des deux dernières années, nous avons connu de très petites récoltes, à la fois en 2023 et en 2022. La quantité de vin détenue dans les caves italiennes n’a jamais été aussi faible. Certes, on pourrait se dire que les producteurs devraient avoir une vision à plus long terme, qu’ils font preuve d’un manque de lucidité. Personnellement, je pense qu’un certain nombre d’appellations devraient réduire leurs rendements à l’hectare. Elles en ont la possibilité, dans la limite de 20 %. Mais j’ai discuté avec les plus grandes appellations et toutes y sont opposées. Donc, nous verrons ce qui se passe. Je crains que nous produisions un peu plus que ce qui est attendu. Lorsque nous allons sur les marchés, il n’y pas que la France et l’Italie comme c’était le cas auparavant. La concurrence est partout, des effervescents anglais sur le marché britannique à la production locale aux USA où chaque Etat produit désormais du vin, et même en Chine, devenue un important pays producteur. Personne n’attend nos vins de nos jours. Mais en même temps, nos caves sont vides.
Pour 2024, avez-vous déjà une idée du volume de vin que l’Italie pourrait récolter?
C’est un peu trop tôt pour le dire. Nous avons connu une saison assez particulière : il y a eu des précipitations dans le Nord pendant la floraison, nous avons eu des orages de grêle et il a fait particulièrement sec dans le Sud. Dans certains secteurs de la Sicile, il n’y a pas eu de pluie depuis septembre dernier. Globalement, je pense qu’on peut imaginer une récolte autour des 42 ou 45 millions d’hectolitres. Nous en aurons une idée bien plus précise la première semaine de septembre. Si les conditions météorologiques actuelles persistent, les vendanges seront légèrement retardées cette année. Le plus gros des vendanges risque d’intervenir en septembre et non pas à la fin août.
En septembre, la Commission européenne va réunir un groupe de haut niveau dédié aux vins. Qu’en attendez-vous ?
En dehors de ce que j’ai déjà mentionné, il s’agit de rappeler que l’Italie a réalisé un travail titanesque en matière d’amélioration qualitative grâce à la restructuration et à la replantation des vignobles au cours des vingt dernières années. A mon avis, s’imaginer qu’il suffit de se débarrasser de ce dont on n’a pas besoin relève d’une vision superficielle. Il faut prôner une approche plus écologique. Nous voulons que les mesures de promotion de l’OCM soient maintenues. Je pense que nous devrons envisager de réduire nos rendements à l’hectare. Souvent, les régions ne le font pas parce que tout le monde ne comprend pas le pouvoir de la qualité. La qualité est un grand mot, et elle est difficile à appréhender. Mais la réduction des rendements fait partie des moyens pour promouvoir la qualité, c’est indéniable.
L’UIV estime que l’Italie a besoin d’un plan stratégique de développement. Quels pourraient en être les axes principaux ?
Nous œuvrons en faveur de l’élaboration d’un plan stratégique à long terme. On parle beaucoup de la consommation modérée de vin, mais lorsqu’on regarde bien, le vin est minoritaire. Les gens consomment principalement des alcools forts et de la bière, et le vin de façon marginale. Contrairement aux alcools forts, le vin évoque tout ce qui est romantique et donc on s’en sert souvent pour parler de l’alcool en général. Le vin est porteur d’images hautement positives, comme les beaux paysages, les collines, les châteaux etc. Mais lorsque d’autres boissons alcooliques se servent de cette image positive du vin, cela m’agace énormément. Au sein de l’UIV, nous axons nos efforts depuis longtemps sur la consommation modérée de vin dans le cadre d’un régime alimentaire équilibre. Mais force est de constater que nous devons faire face à travers toute l’Europe à un groupe de personnes qui sont contre tous et contre tout. Il n’empêche que nous avons beaucoup d’études qui montrent qu’avec une alimentation équilibrée et du vin consommé modérément on vit mieux et plus longtemps. C’est un fait établi.
L’Italie se positionne souvent comme le pays défenseur des valeurs identitaires du vin. Quelle serait selon vous la stratégie la plus appropriée pour le défendre dans le contexte actuel ?
Il faut se rendre à l’évidence : les gens aiment bien entendre des choses négatives – les morts par cancer à cause de l’alcool etc – cela les rassure sur eux-mêmes. A contrario, les choses positives les rendent jaloux. A chaque fois que nous essayons de dire des choses positives sur le vin, nous sommes attaqués par des gens qui nous racontent qu’il vaut mieux s’abstenir de boire du vin et fumer plutôt du cannabis ! Il me semble que, plus on en parle, pire c’est. Au sein de mon entreprise et de l’UIV, nous privilégions un discours focalisé sur ce qui se trouve dans le verre – son histoire, les terroirs magnifiques, les villages et la vie des gens derrière chaque bouteille. Pour donner un exemple, dans les années 70, Montalcino était un petit village mal aimé dont tout le monde voulait s’échapper. Grâce au vin, les gens y sont retournés, lentement mais sûrement. Une école a été ouverte, puis un hôpital etc. Lorsqu’il y a un vrai lien entre le vin et son terroir, cela crée une situation gagnante-gagnante. A mon sens, nous devons toujours promouvoir le terroir, plutôt que de dire qu’un verre de vin ne vous fera pas de mal.
* : L’Unione Italiana Vini a été fondée en 1895 et réunit environ 800 grandes entreprises italiennes du vin qui génèrent 85 % des exportations du pays