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Comment ne plus vendre de vin à perte
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Par le chef des négociants rhodaniens
Comment ne plus vendre de vin à perte

Éminemment pragmatique, Samuel Montgermont, le président de l'Union des Maisons de Vins du Rhône, appelle à un sursaut dans toute la filière vin, dont il voit l’avenir se dessiner dans sa capacité à restructurer ses surplus (par l'arrachage, le remembrement, le repos du sol...), gagner en rentabilité (par la rémunération, l'optimisation…), ainsi que la conquête de nouveaux instants de consommation (grâce à une meilleure distribution).
Par Alexandre Abellan Le 23 juin 2024
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Comment ne plus vendre de vin à perte
« Une règle de base est l’équilibre du marché. Évidemment que des prix bas tels que pratiqués ne sont pas tenables » pointe Samuel Montgermont. - crédit photo : DR
A

vec la dissolution de l’Assemblée nationale et la suspension de la révision d’Egalim, où en êtes-vous sur la question de la protection des revenus de la filière vin ? Notamment sur le projet de mise en place d'un prix plancher dans le cadre réglementaire actuel.

Samuel Montgermont : On travaille sur le sujet, on essaie de trouver le chemin pour ne pas "vendre à perte". Ce n’est pas d’un prix plancher que je parlerai. Cette réflexion demande un travail d’expertise juridique qui n’est pas fini. Avec ce qui se passe, on va avoir un nouveau pas de temps, comme il y aura d’autres enjeux dans les 15 prochains jours. Ça ne nous désengage pas de continuer à avancer. Les deux familles travaillent. Nous avons des échanges avec nos amis de Bordeaux. Nous sommes en train d’expertiser les indicateurs objectifs pour travailler autour de cette idée d’une rémunération qui permette d’être en ligne avec les coûts de production, mais pas que… Il y a aussi l’environnement, la valeur immatérielle de nos appellations… Et tout ça avec la réalité d’un marché !

 

Parmi ces nombreux paramètres, il y a celui de la réglementation anticoncurrentielle qui peut rapidement devenir bloquant

C’est pour ça que ça ne peut pas être entendu avec un seul indicateur. En revanche, si l’on a un faisceau de plusieurs indicateurs, la combinaison de ceux-ci permettra non pas d’arriver à un prix déterminé, mais un prix déterminable : donc une valorisation socle de rentabilité. C’est une mécanique que l’on n’a jamais eu dans notre filière. Il nous faut réviser le cadre général d’Egalim, et ensuite définir ces indicateurs portés par nos Interprofessions.

 

Cette union sacrée de la production et du négoce acte la nécessité de générer de la marge pour les deux familles, alors que l’on entend toujours dire que l’intérêt du négociant est d’acheter le moins cher alors que celui du vigneron est de vendre au cours le plus élevé…

Les temps ont changé. Evidemment, on trouve toujours des imperfections et il existe des metteurs en marché des deux familles qui ne sont pas cohérents. Pour les grandes maisons de la vallée du Rhône, dont je préside le syndicat, ça se traduit par des écarts de cours dans les transactions qui sont assez importants, de l’ordre de 60 à 70 % pour une même appellation. Ça veut dire que des partenariats existent. Il y aura surement un travail à mener sur la contractualisation. La consommation des vins change et nous amène à une situation structurelle où il faut repenser beaucoup de choses, mais surtout pas avec un ancien modèle. On est, à mon avis, rendu à un niveau de maturité différent de l’image du négociant qui tond la laine sur le dos du producteur.

 

La contractualisation semblerait résoudre les besoins des deux parties, mais sa mise en place semble toujours bloquer…

Sur le papier, je vous rejoins. Mais je vous mets au défi de trouver un bassin viticole où la contractualisation est coutumière. On peut en trouver parfois sur les apports de raisins, comme en Champagne, mais traditionnellement, il n’y a pas de contractualisation écrite, pluriannuelle. En revanche, dans les échanges transactionnels, on a observé en vallée du Rhône sur dix ans que 75 % des contrats sont reconduits chaque année. Il y a une contractualisation de fait. La majorité des maisons travaillent toujours avec les mêmes producteurs. Il ne faut pas essayer de forcer les choses. Dans tous les bassins où l’on essaie de forcer le contrat, il n’y a pas d’écho du négoce ni de la production. C’est une volonté pieuse, mais pas de terrain. Il ne faut pas penser la contractualisation comme un contrat de mariage, mais comme une mesure globale de gestion du potentiel de production.

 

Actuellement, quelles sont les pistes de prise en compte des coûts de production et de construction des prix rémunérateurs pour les vins ?

Le coût de production fait partie du faisceau d’indice. Mais on en a listé d’autres et c’est ce qui permettra de démontrer qu’il n’y a pas d’entente sur les prix, ce qui est interdit. Ce qui n’est pas interdit, c’est d’avoir des indicateurs objectifs qui permettront aux parties de déterminer un prix rémunérateur. Et il y aura plusieurs cas de figure. Sinon il n’y aurait qu’un seul prix pour chaque appellation et cela risquerait de faire l’effet inverse, ça pourrait tirer les cours vers le bas alors qu’il y a aussi la qualité à prendre en compte dans ce prix.

 

Concernant le récent arrêt du tribunal de commerce de Bordeaux condamnant deux négociants pour prix abusivement bas, quels en sont les enseignements pour vous ?

Il me semble surtout qu’il y a eu un problème de respect de la procédure Egalim dans ce procès. C’est la définition de ce qu’est l’accord préalable qui n’était pas claire, et qui n’était déjà pas intégrée par la filière. Beaucoup d’opérateurs pensaient que dans les contrats interprofessionnels on validait cet accord préalable, ce qui n’est pas le cas. Il faut une proposition de prix du vendeur à l’acheteur ou que le vendeur ait accepté de ne pas faire de proposition de prix et que l’acheteur puisse le prouver. Voilà ce que nous dit cette décision de justice. Le Comité National des Interprofessions de Vins à Appellation d'Origine et à Indication Géographique (CNIV) a fait un travail clair sur l’accord préalable : charge à nous de le respecter dans nos maisons tant que l’on n’a pas plus d’éclairages sur cette décision ou de précision via Egalim.

 

Dans les derniers relevés de cours d’Inter Rhône, on voit des prix moyens très bas pour les Côtes du Rhône rouges en surstock (86 €/hl en conventionnel et 138 €/hl en bio*) alors que les blancs restent à 163 €/hl faute de volumes disponibles. La revalorisation des cours peut-elle finalement passer par autre chose que la tension entre l’offre et la demande, par l’arrachage et la restructuration ?

Il s’agit des prix des derniers mois et l’on voit bien que les volumes ne sont pas en face, les faibles prix n’emmène pas de contractualisation évidente. La règle de base est l’équilibre du marché. Évidemment que des prix bas tels que pratiqués ne sont pas tenables. Mais la règle d’or est qu’un marché doit être équilibré pour conserver des prix valorisés. Le marché des blancs est équilibré en termes d’offre et de demande, les cours sont cohérents. Le marché des rouges n’est pas équilibré, il s’effondre. C’est une règle de base du marché, qui n’est pas spécifique au vin. Tous les marchés fonctionnent comme ça. À nous de penser des socles qui permettraient d’amortir ces périodes d’emballement à la baisse que l’on n’arrête pas sous l’effet croisé du nombre d’opérateurs sur le marché et des surstocks.

Profitons de cette période compliquée pour réfléchir l’arrachage pas seulement comme un mode de régulation économique, mais aussi comme un objectif sanitaire, avec le repos des sols, et également pour penser les équilibres économiques de nos exploitations. Les entreprises doivent pouvoir maîtriser leurs volumes de production sur la surface la plus optimisée possible en fonction de la recherche qualitative souhaitée. Si je suis en Côtes-du-Rhône, je dois être à un niveau de rendement compris entre 45 et 51 hl/ha plutôt que d’atterrir à 38 hl/ha qui est la moyenne de production de l’année dernière, et qui s’approche d’un niveau de cru. Un rendement optimisé permet des économies d’échelle. Dans la détermination du prix, le rendement est un indicateur extrêmement important.

Ces mesures d’arrachage doivent aussi nous amener à réfléchir sur la taille et la structuration d’une exploitations viticole économiquement viable en s’appuyant sur des mesures de remembrement. D’un point de vue sanitaire, en vallée du Rhône nous avons aussi besoin d’un temps de repos des sols pour retrouver de la vie organique et permettre d’objectiver les rendements des cahiers des charges. C’est pour ça que le négoce demande dans le cadre des arrachages temporaire une prorogation des autorisations de plantation à 7 ans minimum. Il y a aussi une réduction de volumes à objectiver. Je ne parle plus ici en termes de surfaces. Déterminons quel est le volume de Côtes-du-Rhône commercialisable demain avec un prix rémunérateur pour tous. Avec ce volume et l’articulation des rendements des cahiers des charges, on peut donner une surface d’équilibre. Si l’on se focalise sur la surface à arracher, je crains que l’on n’atteigne pas l’objectif : qui est d’ajuster le volume pour ajuster la surface.

Il nous faut aussi garder en tête une trajectoire vers encore une baisse de consommation et inventer des outils pérennes de gestion du potentiel de production afin de pouvoir s’adapter au plus près de la demande. Nous devons aussi réfléchir pour sauvegarder nos territoires, nos plantations et notre viticulture sur les possibilités d’orienter nos récoltes vers d’autres destinations que le seul produit vin ! Des boisons à faible degré d'alcool (low alcohol), mais aussi l’industrie agroalimentaire très en recherche de base sucre ou l’industrie des cosmétiques ? Si l’on pouvait varier la finalité de nos productions, nous pourrions également améliorer la rentabilité des exploitations et moins dépendre d’une seule destination commerciale. 

 

Pour le calibrage de l’arrachage, quelles seraient les surfaces excédentaires chiffrées pour le vignoble rhodanien ?

Nous n’en sommes pas encore au stade des retours d’intention. Il faudra le traiter et dans l’immédiat la mesure n’est pas encore opérationnelle.

 

On entend des vignerons, notamment à Bordeaux, craindre qu’avec l’arrachage massif il y ait un rapide retour de balancier conduisant à une pénurie de vins rouges… Est-ce envisageable ou contre-intuitif pour vous ?

Comme ça, ça me semblerait assez contre-intuitif. Si l’on se trompe avec nos projections de baisse de consommation, pour des raisons sociétales, pour des questions de santé publique, je pense qu’il va être plus simple de replanter et de reproduire plutôt que de subir à chaque fois. Si l’on doit retrouver de la production, je n’ai pas d’inquiétude. Mais je vois une période un peu sombre devant nous. Je ne sais pas s’il existe une vraie solution. On peut faire évoluer les profils et les styles des vins, mais la crise est aussi physique : la clé sera de réinventer le vin dans sa distribution. Je le répète souvent : dans les lieux de convivialité où l’on consomme une boisson alcoolisée, le vin est souvent absent. On souffre de ça. Le vin était consommé d’abord à table lors d’un repas traditionnel qui n’existe plus. En revanche, dans un festival, une fête locale, un concert de musique, le vin n’est pas distribué parce qu’il n’est pas pratique, pas simple comme la bière… Ça, c’est un travail d’innovation : c’est du physique. Et on y travaille dans le plan de filière, qui l’a largement identifié.

 

Concernant la distribution, les travaux du comité de liaison avec le CNIV permettent-ils d’avancer sur la valorisation et la consommation du vin.

Dans la cellule de travail avec les enseignes de la grande distribution (FCA et FCD), on partage le constat : il faut revoir l’offre du vin et sa compréhension. Beaucoup de nos potentiels consommateurs ne passent pas à l’acte d’achat par méconnaissance. La clé d’entrée dans le monde du vin est trop compliquée. On avait un consommateur qui considérait savoir et se risquait. Aujourd’hui, les jeunes consommateurs ont une affection particulière pour le monde du vin, mais il y a une rupture générationnelle des connaissances. Il y a un vrai travail pédagogique à faire. J’ai tendance à penser que si l’on aborde le vin par la porte d’entrée des modes alimentaires, c’est-à-dire répondre simplement à la question : "qu’est-ce que je peux boire avec ce que je vais manger", alors on pourra dénouer les inquiétudes d’achats. C’est un vrai travail de fond et c’est encore du physique : il n’y a pas besoin de tout révolutionner dans nos produits alors que des efforts qualitatifs très importants ont été faits. Même s’il faut aussi le faire, résoudre la crise en réinventant des profils produits par bassin me semble trop simple.

 

Dans certains bassins viticoles, le sujet de l’importation des vins d'Espagne est source de tensions. Le comprenez-vous ?

On a travaillé sur le sujet, la grande majorité des vins en vrac importés en France sont pour des segments qui ne sont pas produits en France et que l’on a choisi de ne pas produire, car la production française est sous signe de qualité à 97 %. Est-ce que l’on veut faire de nos vins sous signe de qualité des vins que l’on importe pour des boissons de type boissons à base de vin ou pour élaborer des vins mousseux ? Un segment plus industriel dans ses méthodes de production ? Pour moi, ça ne s’emboîte pas. Avoir une posture comme ça, un peu trop rigide, va difficilement aller avec nos ambitions d’exporter nous aussi nos vins chez nos voisins. Je n’identifie pas la concurrence directe avec nos bassins IGP/AOP pour être très clair.

 

Avez-vous bon espoir que, d’ici la prochaine campagne de vin en vrac, il y ait des avancées sur la valorisation et de l’apaisement après les tensions des derniers mois ?

Ça passera par moins de volumes. Il faut de toute façon avoir des productions en ligne avec le marché. Quand il y a trop de vin, ça déstabilise les marchés et la multiplicité des opérateurs dans notre filière crée dans cet environnement un vent de panique vers le moins disant et par conséquent un effondrement des prix. La double peine c’est que même à vil prix nous ne vendons pas de volumes supplémentaires ! Ça passera par une raréfaction du produit pour rebâtir un marché. En attendant, j’espère que l’on avancera suffisamment vite pour donner des éclairages sur la rémunération. La récolte ne s’annonçant pas pléthorique dans notre bassin, avec des effets sanitaires complexes, on croise les doigts pour retrouver des prix de marché rémunérateur pour tous.

 

* : « Pour les rouges conventionnels et HVE, 70 % des transactions sont au-dessus de 100 euros depuis le début de la campagne et le prix moyen est de 112 euros contre 142 €/hl en bio » précise Samuel Mongermont.

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Tous les commentaires (2)
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Renaud Le 25 juin 2024 à 00:12:40
Comme quoi le marché ne peut être le seul maître. Il est intéressant de voir par contre que intégrer la prise en compte des coûts de production n'est plus tabou. Et oui le prix des choses a une valeur intrinsèque liée à sa composition matérielle et immatérielle aussi. Je loue cette annonce d'autant plus qu'il dit bien que Bordeaux y travaille. Tant mieux même si il reste en Gironde des forces contraires ou le négoce le plus important porte plainte contre la viticulture pour avoir osé dénoncer la prédation qu'elle subit. Nous n'avons pas que des progressistes en terre girondines.
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J.Henry DAVENCE Le 24 juin 2024 à 18:12:29
Quand même le patron des négociants du Rhône avoue qu'il est incapable de vendre plus même si c'est moins cher...ça en dit long sur l'espoir de voir les mesurettes d'arrachage et autre avoir un quelconque impact sur le marché!
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