ous présentez votre feuille de route pour les vins des Côtes du Rhône : quels en sont les axes ?
Damien Gilles : C’est une politique pour les trois prochaines années qui va abonder et compléter le plan stratégique de mon prédécesseur [NDLA : Denis Guthmuller, évincé fin 2023 faute d’avoir été élu dans son canton]. Le premier axe est la réduction du potentiel de production, avec une innovation majeure : la création d’un outil professionnel de régulation qui va compléter la réserve interprofessionnelle (fixée aujourd’hui à 20 % pour tout le monde). Ce sera un outil challengeant se basant sur les sorties de chais de chaque opérateur sur plusieurs années, ce qui définira pour chacun un volume libre à commercialiser. Le delta entre le rendement et la capacité de commercialisation passée sera mis en réserve interprofessionnelle. Du volume pourra être débloqué s’il y a un contrat pluriannuel, un conditionnement, la présentation d’un contrat spot... Cela va équilibrer l’offre et la demande en temps réel, pour ne plus avoir trop de stocks en fin d’année.
Quel est le nom et quel est l’état d’avancement de ce dispositif ?
Il n’a pas de nom : c’est l’outil professionnel de régulation. Nous l’avons déjà travaillé au niveau de l’interprofession, avec un groupe de travail dédié. Une proposition est dans les mains de l’administration pour en voir la légalité, comme c’est un outil que j’ai créé de toute pièce. Le dispositif est un peu inédit : des outils existent en IGP (Pays d’Oc et IGP Méditerranée par exemple), c’est une première en AOC, comme notre Déclaration de REVendication (DREV) et notre Déclaration de Récolte (DR) sont très proches. Afin de faire voter cet outil, il faut le faire valider par l’administration. Cela nous permettrait de ne produire que ce que l’on est capable de vendre.
Et éviter la forme de punition collective d’une baisse de rendement touchant tous les opérateurs, en difficulté commerciale ou non ?
C’est tout à fait ça.
Pour la réduction du potentiel de production, quelles sont vos demandes sur l’arrachage ?
Mon prédécesseur avait demandé en novembre 2022 l’accès à l’arrachage : par restructuration différée et arrachage définitif. Nous n’avons pas été les derniers à nous positionner, au contraire. Aujourd’hui, nous avons les annonces du gouvernement, j’attends impatiemment la création d’un groupe de travail sur l’arrachage pour y participer. Mais rien n’est acté, au niveau national ou européen. On voit l’arrachage dans l’avenir l’arrachage. Les deux formes : restructuration différée et arrachage définitif. Quand les modalités seront calées précisément, on pourra lancer une enquête et l’on saura exactement où l’on en serait. C’était comme faire une enquête sur la distillaiton sans en connaître le prix. Si l’arrachage est à 4 000 euros/hectares, certaines personnes seront intéressés. La brèche sera plus grande à 6 000 €/ha et plus petite à 2 500 €/ha.
Les bas prix affolent les Côtes du Rhône : comment y remédier.
C’est dans le deuxième axe de ma feuille. Il me tient à cœur, pour remettre le syndicat et sa communication au plus près des adhérents. Je ne veux pas que le syndicat soit une entité à laquelle on n’a pas accès. Dans cet accompagnement au plus près, il faut s’assurer, en plus de l’équilibre du marché, d’un prix rémunéateur. On comptait y travailler dans le cadre d’Egalim 3, mais les annonces du président de la République au salon de l’Agriculture permettent d’aller plus loin avec un prix plancher créé par la nouvelle loi Egalim attendu avant l’été. Nous pouvons rapidement répondre rapidement à cette annonce comme nous avons mis en place un observatoire des coûts de production dans l’interprofession (avec un centre de comptabilité agréé). Nous savons quel prix plancher conviendrait aux Côtes-du-Rhône. Nous avons un coup d’avance. Les Côtes-du-Rhône seront leader sur le prix plancher. On espère que le président de la République prendra ses responsabilités pour que l’outil soit à la hauteur de l’annonce.
Quel est le prix plancher d’un vin en vrac AOC Côtes du Rhône ?
Aujourd’hui, le coût de production d’un hectolitre payé au coopérateur est de 155 euros. C’est une valeur sans inclure les frais de vinification, afin de comparer ce qui est comparable entre caves coopératives/particulières. Nous avons un coût de production jusqu’à l’entrée en cave.
Actuellement, le prix des côtes du Rhône rouges millésime 2023 est de 119 € hl (pour le mois de février 2023 d’après Inter Rhône). Mais on n’entend parler de prix bien plus bas…
C’est insoutenable, je fais moi-même face à ces prix tous les jours. Nous sommes malheureusement oppresses par ces prix, qui sont insoutenables et illogiques alors que l’on revient à des équilibres entre offre et demande. Nous sommes victimes une nouvelle fois de la mauvaise répartition de la valeur dans la chaîne de distribution des vins. Certains usent et abusent de nos savoirs faires et de notre gentillesse : il faut que cela cesse. La construction montante des prix depuis la production est très attendue.
Le Dauphiné annonce dans le Vaucluse la création du Mouvement Viticole Vallée du Rhône, MVVR, pour obtenir des cours plus valorisés. En savez-vous plus sur ce groupe anonyme ?
Ces membres se déclarant sous couvert d’anonymat, je ne sais pas de qui il s’agit. Mais je comprends leur douleur et leur souffrance, je la vis tous les jours à la même hauteur. Ce mouvement a l’air assez récent, on parlerait d’une poignée de vignerons. Je n’en sais pas plus.
Est-ce que ce groupe se situe dans la continuité de la manifestation du vendredi 2 février devant Inter Rhône à Avignon pour dénoncer des cours trop bas du vin en vrac ?
Que la colère monte face à l’injustice des bas prix, je le comprends. Je ne sais pas s’il y a une continuité comme je ne sais pas qui a amorcé ce mouvement.
Quels sont les autres éléments de votre feuille de route ?
Dans l’axe 2, je veux arriver à une certaine unité entre les tous syndicats, avec la création d’une AGPV informelle du Rhône [NDLA : sur le modèle national de l’Association Générale de la Production Viticole]. L’AOC Côtes du Rhône est particulière, elle est sur plusieurs départements et région. Nous serions plus précis sur les sujets qui nous appartiennent et nous parlerions d’une seule voix : Jeunes Agriculteurs, caves coopératives, Vignerons Indépendants, AOC, IGP… On partage les mêmes craintes et avons des sujets en commun. Dans l’axe 2, je veux simplifier et amender le cahier des charges en fonction des attentes des consommateurs et du réchauffement climatique, avec de nouveaux cépages, d’autres densités de plantation…
L’axe 3 veut diversifier et innover. Nous valorisons 100 000 hl de rosés et autant de blancs, nous allons va continuer à valoriser ses profils et diversifier nos couleurs. Sans oublier le rouge, avec des études sur les profils des vins rouges dans le monde pour répondre aux demandes. Nous n’allons rien nous interdire dans la modification de certains profils en rouge. Dès 2024, une étude sur la désalcoolisation et sur les effervescents sera lancée. Je pense aujourd’hui que l’on doit réajuster nos vins en termes d’alcool. Il est important d’y travailler. Il y a un avenir dans ce segment des vins désalcoolisés, sans pour autant oublier les vins à 15°alc. Mais il faut penser aux gens qui rentrent dans le marché.
L’axe 4 doit nous permettre de devenir une référence environnementale. Mais sans contrainte, ce n’est que de l’accompagnement par le syndicat. Nous avons une organisation collective d’accompagnement à la Haute Valeur Environnementale (HVE). On peut le dupliquer en bio et Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) s’il y a une demande pour accompagner les adhérents dans ces certifications. 54 % de l’AOC est aujourd’hui en certification environnementale : on voit l’engouement.
L’axe 5 concerne la communication et la promotion en France et à l’export. Le contexte géopolitique a rendu compliqué l’export (covid, guerres…), il va sans doute falloir apprendre à vivre avec. Il faut aussi travailler le marché national où les Côtes du Rhône ont une présence historique. Il faut aussi capitaliser sur Avignon, un beau lieu de rencontre. Et il faut accompagner nos villages à se transposer sur de nouvelles couleurs si le marché le demande.
En conclusion, le changement a déjà commencé, il est déjà en marche. Nous avons de bons signes des marchés, mais le problème c’est la valeur. Nous travaillons sur Egalim et un prix plancher. Nous sommes tous d’accord, ça ne va jamais assez vite, mais avec mon implication forte on va aller plus vite. Nous avons notre destin entre nos mains.
Vous avez évoqué votre prédécesseur, Denis Guthmuller, vous positionnez-vous en continuité ou rupture de son héritage après son départ précipité ?
J’hérite de la situation et des chantiers qu’il avait commencé et qu’il faut continuer. Notamment la diversification qui a du sens, mais je m’émancipe de certaines autres approches qui ne me semblent plus d’actualité (ou qu’il faut les reporter faute de moyens pour les financer ou les soutenir). Je ne suis pas le fils spirituel de Denis Guthmuller. Sur son départ précipité, je le laisserai répondre. Je constate son départ, je regrette la personne : j’ai travaillé avec lui. Mais une AOC forte ne peut que se remettre de cela. Je suis à sa place, j’aurais aimé que cela se fasse dans d’autres circonstances. Ma une feuille de route s’imbrique dans l’accompagnement au plus près des adhérents. Et le combat des Côtes du Rhône est un prix plus juste et rémunérateur