e battement d’aile d’un formulaire administratif en Chine peut dévaster tout l’équilibre des vins de France… Mobilisé pour gérer la crise de déconsommation des vins rouges, le vignoble hexagonal a-t-il conscience du risque qu’il court si l’enquête antidumping lancée ce début d'année par la république populaire de Chine à l’encontre des eaux-de-vie de vins européens aboutit à une flambée des droits de douane ? Pouvant être mises en place dans 3 à 5 semaines si rien n’évolue d’après un connaisseur de la diplomatie chinoise, ces taxes punitives fermeraient immédiatement les portes du premier marché asiatique aux eaux-de-vie françaises, qui sont la première cible de l’enquête, représentant 97 % des exportations européennes de brandies.
Si la Chine imposait de telles barrières tarifaires à l’entrée, les cognacs perdraient du jour au lendemain 25 % de leur export sans perspective de retour rapide à la normale (en témoignent les vins australiens, punis depuis 2021 par +200 % de taxes pour les déclarations de leur premier ministre sur l’origine du Covid). Alors que la filière charentaise connaît des temps commerciaux difficiles (entre digestion du surstock aux États-Unis et ralentissement économique chinois), une telle chute gripperait les achats des maisons de négoce (qui ont arrêté depuis quelques temps leur chasse à la contractualisation et font du stock). Conséquence directe de cette fermeture de débouché, les vins blancs du millésime 2024 destinés au Cognac ne pourraient plus rester confinés dans la région charentaise (comme cela a été réalisé pour contenir le millésime 2023 record, entre réserve climatique et utilisation pour des jus de fruits en Espagne et Italie). En clair, si le marché chinois sanctionne les cognacs ce début d’année, un flot de vins blancs matraquera dès la fin 2024 le marché, brisant l'un des derniers équilibres encore favorable au vignoble.
Cette alerte est portée par une lettre aux élus de Charente et de Charente-Maritime, envoyée par le Bureau National Interprofessionnel Charentais (BNIC) ce vendredi 9 février pour alerter sur les conséquences de cette « prise en otage du Cognac ». Indiquant jouer le jeu de « cette procédure chinoise sans fondements », l’interprofession pointe que « les développements les plus récents du dossier témoignent de la volonté des autorités chinoises de soumettre nos opérateurs à une pression maximale. Leurs dernières exigences risquent de priver bon nombre de nos entreprises - notamment petites et moyennes – de leur accès au marché chinois dès ce mois de mars. »


Le président et le vice-président du BNIC, Florent Morillon et Christophe Veral, craignant également « l’impact que ce dossier pourrait avoir pour nos filières et nos territoires n’est pas compris ou est en tous les cas minimisé par nos autorités, qui semblent donner la priorité à d’autres objectifs. Nous redoutons aujourd’hui que des arbitrages aient déjà été pris nous ramenant au statut de variable d’ajustement ou de dommage collatéral assumé. » Un danger pris très au sérieux pour ce territoire AOC, qui générerait 72 500 emplois en France (dont 30 000 en Charente et en Charente-Maritime) et contribue grandement à balance commerciale française (+3,35 milliards d’euros en 2023). De quoi solliciter une intervention directe de l’État alors que le temps passe et que les enjeux dépassent les eaux-de-vie.
Ouverte ce 5 janvier, l’enquête ne semble pas avoir de portée économique réelle pour la Chine, mais vise à faire pression sur les autorités françaises dans le cadre de l’enquête européenne sur les subventions aux voitures électriques chinoises officiellement ouverte en octobre dernier. Le risque de mesures chinoises de rétorsion sur les vins et spiritueux français était déjà identifié en septembre 2023 par la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), qui avait appelé dans une lettre à la première ministre d’alors, Elisabeth Borne, à la modération gouvernementale dans la communication sur cette taxe pour éviter des sanctions commerciales. A priori la lettre n’a pas eu d’effet, comme en témoignent les propos du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, voyant dans cette enquête « une très bonne nouvelle », quand le ministre délégué au Commerce Extérieur d’alors, Olivier Becht, jugeait que « la France est attachée à ce que le terrain de jeu soit le même pour tous ».
Il semble que les autorités chinoises veuillent faire payer à la France ce soutien affichée, voire l’initiative, de l’enquête européenne sur les voitures électriques produites en Chine. Désormais, le vignoble français appelle son gouvernement à prendre l’avion rapidement pour la Chine, afin d’apaiser les esprits. Et à ne pas laisser pourrir la situation en croyant que des taxes antidumpings ne toucheraient que les grands groupes du luxe possédant des maisons de Cognac (LVMH avec Hennessy, Pernod Ricard avec Martell…). Tout le vignoble pourrait subir une tornade dévastatrice, dont les conséquences seraient immédiates et pèseraient longtemps sur tous les territoires viticoles.
Des messages que pourraient porter la FEVS, le BNIC et le Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac (BNIA) lors d’une rencontre ce lundi 12 février avec le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, et sa nouvelle ministre délégué, Agnès Pannier-Runacher, sur le salon Wine Paris & Vinexpo Paris. Un autre interlocuteur sera Franck Riester, tout juste redevenu ministre délégué au Commerce Extérieur, poste qu’il occupait lors de la mise en place des taxes Trump fin 2019, et de leur extension du début 2020. Taxes qui ne sont d'ailleurs que momentanément suspendues, jusqu'en 2026, et qui ont laissé un bon souvenir à l'ancien président américain Donald Trump... qui espère reprendre la maison blanche cette fin d'année. Le battement de mèche d’une décision américaine peut dévaster tout l’équilibre du vignoble de France…