lors que des rumeurs circulaient depuis quelque temps, elles se sont concrétisées ce vendredi 5 janvier dans une annonce faite par le ministère chinois du Commerce. Se basant sur une plainte déposée par le secteur des brandies chinois, par l’intermédiaire de l’Association chinoise des alcools, les autorités sur place ont ouvert une enquête pour des soupçons de dumping sur des eaux-de-vie de vin importées depuis l’Union européenne entre le 1er octobre 2022 et le 30 septembre 2023. La période du 1er janvier 2019 au 30 septembre 2023 sera également étudiée pour déterminer si les producteurs chinois ont subi des préjudices. L’enquête doit durer entre douze et dix-huit mois. Son annonce eu un effet immédiat sur les valeurs boursières des grands acteurs du secteur.
Cela, malgré le fait que la véracité de ces accusations semble loin d’être établie. « On se pose quand même la question de la motivation de cette enquête, qui se base sur des éléments peu probants, de l’aveu même des plaignants », confirme Raphaël Delpech, directeur du Bureau national interprofessionnel du Cognac. En effet, les premières analyses du BNIC, qui devront être approfondies, montrent que le niveau de dumping annoncé semble particulièrement faible. « Sans que nous ayons pu étudier le cheminement suivi par les producteurs chinois de brandy pour arriver à leurs conclusions, ils évaluent à 15,88% le niveau de dumping, ce qui est très bas par rapport à des précédents, c’est-à-dire des plaintes qui ont pu concerner d’autres secteurs où les niveaux étaient beaucoup plus élevés ». Se disant serein par rapport au respect total de la réglementation chinoise et internationale par les maisons de Cognac, le directeur de l’interprofession affirme que le secteur va « collaborer parfaitement avec les autorités chinoises avec lesquelles on a d’ailleurs une relation de transparence et de confiance ».
Dans un premier temps, chaque entreprise européenne concernée par l’exportation d’eaux-de-vie de vin vers la Chine sur la période en question devra se déclarer auprès du ministère chinois du Commerce en remplissant un formulaire, « avec un formalisme assez important », reconnaît Raphaël Delpech. Parmi toutes les maisons déclarées, les autorités chinoises en sélectionneront un certain nombre pour une analyse approfondie de leurs pratiques tarifaires en Chine, et « confirmer ou infirmer ce que contient la plainte aujourd’hui ». A priori, aucune société en particulier n’est visée pour le moment et à ce stade, comme le rappelle le directeur du BNIC, « le risque est potentiel et non avéré ».
L’ouverture de cette enquête, qui n’est pas sans rappeler la procédure lancée à l’encontre des vins et autres produits australiens en 2020, avec les conséquences que l’on connaît, est pour le moins surprenante au niveau sectoriel. En effet, non seulement la production de brandy en Chine est infiniment plus faible que celle d’autres alcools comme le baijiu, mais les produits européens principalement visés du fait de leur rôle moteur dans les exportations – à savoir le Cognac et l’Armagnac – sont loin d’être des produits d’entrée de gamme. « Il est pour nous évident qu’il n’y a pas de dumping concernant le Cognac », insiste Raphaël Delpech. « Nous sommes même surpris qu’une enquête a pu être ouverte. Comme elle n’a pas de réel fondement économique, en toute logique elle ne devrait pas aller à son terme ».
Dans tous les cas, le représentant interprofessionnel estime que la balle est dans le camp des politiques et diplomates, car « c’est un dossier politique ». Ce n’est pas le hasard, en effet, que l’ouverture de cette enquête fait suite à une enquête lancée par l’Union européenne sur les subventions chinoises aux voitures électriques, initiative dans laquelle la France était impliquée. La filière des vins et spiritueux pourrait donc potentiellement redevenir la victime collatérale de différends commerciaux susceptibles de peser lourdement sur ses échanges : pour ne citer que le Cognac, la Chine représente un peu moins d’un quart des exportations et son deuxième marché, pour des qualités dont les valeurs sont supérieures aux volumes.
Suite à l’annonce de l’ouverture de cette enquête, les autorités européennes ont annoncé qu’elles étaient « en train d’évaluer la documentation que nous avons reçue » et qu’elles interviendraient « le cas échéant, en étroite collaboration avec l’industrie européenne concernée ». Et de rappeler que « toutes les enquêtes de défense commerciale doivent respecter les règles de l’OMC en la matière, et la Commission présentera ses observations en temps utile ».