ui a dit que l’herbe était toujours plus verte chez son voisin ? Probablement pas un vigneron ! Surtout si l’on imagine un conventionnel qui désherbe à côté d’un bio qui enherbe… Il est probable que le premier traitera le second d’hippie idéaliste au lourd bilan carbone, etc. « De temps en temps, ça fait bonne presse d’avoir du bio bashing. On le ressent comme ça quand on est bio : peut-être que l’on a l’épiderme sensible » estime Philippe Gérard, le président FranceVinBio, qui ne cache pas son admiration face aux efforts de la production bio : « il faut tellement y croire, que des fois c’est difficile. Ceux qui font du bio ne sont pas dans une situation confortable : faire du vin avec le peu que l’on a comme outils. » Ouvert au dialogue avec les viticulteurs conventionnels, le négociant ligérien appelle au dialogue pour sortir des oppositions de principes et construire collectivement le futur agroenvironnemental du vignoble.
Pour ouvrir le débat, voici les réponses aussi pédagogiques que techniques de la filière bio aux critiques récurrentes, telles qu’entendues dans le vignoble et dans des commentaires déposés sur Vitisphere. Merci pour leur disponibilité dans la réalisation de ce dossier à Olivier Goué de SudVinBio, Gwénaëlle Le Guillou et Stéphane Becquet du Syndicat des Vignerons Bio de Nouvelle Aquitaine (SVBNA).
Phytos : les vignes sont traitées avec du soufre (pluies acides et supprimé des carburants) et du cuivre (métal lourd qui s'accumule dans les sols, y tuant les micro-organismes).
« Tout comme en viticulture conventionnelle, le cuivre et le souffre sont autorisés en viticulture biologique. Rappelons que ce sont des substances naturelles, le cuivre est en effet un oligo-élément que l'on retrouve à l'état naturel. En revanche, contrairement au conventionnel, la viticulture bio bannit l'utilisation de fongicides de synthèse » rappelle SudVinBio. L’interprofession occitane ajoutant que « la préservation de l'environnement est au cœur des pratiques de la viticulture biologique. C'est pourquoi le recours aux intrants se fait en dernier recours et est réduit au maximum. Les doses autorisées ont ainsi fortement diminué ces dix dernières années, et sont aujourd'hui limitées à 4kg/ha/an pour le cuivre (contre 50kg/ha/an il y a dix ans). A ces faibles doses, aucun risque n'est avéré sur la faune du sol. En effet, les études montrent que des effets néfastes peuvent être constatés à partir de 200kg/ha/an (voir l’article "La biodiversité des sols est-elle impactée par l’apport de cuivre ou son accumulation dans les sols vignes ?"). »
Concernant le cuivre, les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine rappellent qu’il s’agit d’« un produit naturel, largement utilisé en viticulture, que celle-ci soit Bio ou conventionnelle ». Citant un rapport de l'Anses de 2022, l’ONG Générations Futures indique que « l’agriculture conventionnelle utilise plus de cuivre en tonnage que l’agriculture biologique (environ 80% du tonnage) ». Le SVBNA indique que le cuivre « n’est pas cancérigène mais simplement irritant. Il n’est pas ou très peu absorbé par la plante. Il ne migre pas dans les sols ne créant pas de contamination des rivières et des nappes phréatiques. Par ailleurs, l’usage du cuivre est clairement limité à la dose strictement nécessaire à une bonne protection du vignoble. En Bio, le respect de cette dose limite est contrôlé chaque année, systématiquement, par un organisme indépendant. On constate par ailleurs que les doses qu’utilisent les viticulteurs Bio sont inférieures à la limite maximale autorisée, en année climatique "normale". »
Sur le sujet du "cuivre métal lourd polluant les sols viticoles bio", les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine répondent que « la toxicité du cuivre dans les sols ne dépend pas que du niveau de cuivre de ce dernier. C’est le niveau de cuivre biodisponible qu’il faut regarder. Ce niveau est très dépendant du pH du sol et du niveau de matière organique. Il peut y avoir des sols qui ont des niveaux de cuivre très élevé (dûs à l’utilisation passée, au vingtième siècle, de très fortes doses puisqu’il était courant, dans les années 1960, d’être à 30-40 kg/cu/ha !) qui ne présentent aucun problème de phytotoxicité (voir la plaquette du projet Copperplace). Le système Bio est justement construit sur la gestion des sols, et sur la gestion de la matière organique afin d’avoir un bon équilibre sol / plante, ce qui permet la gestion des niveaux de cuivre dans les sols. »
SudVinBio ajoute que « des stratégies ont également été mises en place dans le vignoble en bio afin de réduire l'utilisation du soufre (voir l'article Réduire le soufre pour lutter contre l'oïdium en bio, c’est possible). Enfin, les impacts de la viticulture bio sur la biodiversité et la qualité de l’eau sont positifs et reconnus par de nombreuses recherches françaises, européennes et internationales ainsi que par la Cour des Comptes. On constate en effet une hausse de 30% de la biodiversité sur les parcelles certifiées en bio (source : Höle et al., 2005 ; Bengtsson et al., 2005) et les espèces de faune et de flore sont en moyenne 30 % plus nombreuses et les populations 50 % plus abondantes dans les cultures biologiques. Et les agences de l’eau plébiscitent l’intérêt de l’agriculture biologique, ce qui n’est pas anodin. »
Autre point important sur les phytos pour les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine, « les produits utilisés en Agriculture Biologique sont dans le pire des cas classés comme "irritants". Rien à voir avec certains produits utilisés couramment en agriculture conventionnelle classés Cancérogènes, Mutagènes ou Reprotoxiques (CMR). » Concernant le cas du spinosad, il « n’est pas CMR ni perturbateur endocrinien. Il est en cours de réévaluation au niveau européen par l’EFSA suite à une modification en 2018 des critères d’évaluation des perturbateurs endocriniens. Pour le moment nous n’avons pas de retour sur ce dossier. »
Avant toute chose, SudVinBio pointe « que la prévention est au cœur des pratiques de l’agriculture biologique, et ce pour éviter des dommages aux cultures causés par les ravageurs, les maladies et les mauvaises herbes. Ce n’est qu’en cas de menace avérée pour une culture et seulement pour cette raison, qu’un insecticide d’origine naturelle peut être utilisé. Conformément aux principes de l’AB, l’objectif est de limiter l’utilisation d’un insecticide et de privilégier autant que possible les méthodes de prévention telles que la protection des prédateurs naturels. Son application doit également être faite à un moment où les polinisateurs ne sont pas présents dans les parcelles. »
Contre la flavescence dorée et sa cicadelle, les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine ajoutent que « dans le cas précis de cette lutte obligatoire, les vignerons Bio ont obtenu l’autorisation d’utiliser un produit spécifique, un pyrèthre naturel, reconnu comme beaucoup moins toxique que les produits utilisés en conventionnel. Il est clair toutefois que ce traitement est un pis-aller, et qu’il n’est jamais effectué sereinement. Les vignerons Bio ont toujours plaidé pour une approche rationnelle du problème de la flavescence dorée. Il est important de définir de manière pertinente la zone de lutte. Dans le Bordelais, il existe donc depuis plus de dix ans des groupements de défense contre les organismes nuisibles (GDON), qui inspectent régulièrement le vignoble afin de détecter les foyers de flavescence dorée, de les arracher et d’adapter les traitements obligatoires. Grâce à ces actions de détection, l’obligation de traitement a pu être levée dans de nombreux secteurs indemnes de flavescence dorée. »
L’interprofession languedocienne rapporte que « des essais réalisés en 2017 chez Sudvinbio montrent que les traitements au pyrévert n’impactent pas les arthropodes présents sur la vigne et dans le couvert végétal. Les traitements au pyrévert vont impacter les populations d’acariens présents sur les feuilles, avec une baisse de 40 à 50%. En revanche, on observe au bout de quelques jours une augmentation des populations, jusqu’à atteindre des niveaux quasiment identiques à ceux de départ. »
Bilan carbone : les vignes sont traitées plus souvent, car les produits sont lessivés par les pluies.
Sujet complexe, l’empreinte carbone de la viticulture biologique est à remettre en perspective pour les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine. « En limitant la protection de leur vignoble Biologique à des produits de contact, les vignerons Bio choisissent d’être constamment présents dans leur vignoble, afin de pouvoir intervenir rapidement et intervenir plus souvent sur certains millésimes » indique le syndicat aquitain, ajoutant que « leur consommation de gasoil semble également meilleure qu’en conventionnel, malgré un nombre de passages supérieur (ceci s’explique notamment par l’utilisation de matériels moins gourmands en gasoil). »
Les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine se basent sur un programme de comparaison du lycée viticole de Libourne Montagne en 2016 et d’une étude comparative du CIVC de 2010, qui concluent « que le bilan carbone dépend beaucoup de la méthodologie. Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine considère que le bilan carbone doit être corrélé à la valeur créée » et que « la question du bilan carbone en viticulture doit être prioritairement abordée sur l’aval (bouteille + transport). La partie vigne représente 20% (environ) du bilan total seulement. La Chambre d’agriculture de Gironde et celle des Pays de la Loire travaillent sur le détail de la partie viticulture. Pour l’instant, ces travaux montrent qu’il semble peu pertinent de comparer les données entre Bio et conventionnel sur la partie Vigne. Les impacts du cahier des charges Bio ne sont pas majeurs sur les résultats obtenus (les postes importants en émission de CO2 ne sont pas des points présentant de grosses différences, par exemple récolte, travail de la plante et en vert, ce qui représente 60 % des conso de fioul). »
Et pour les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine, « si on voulait une approche vraiment pertinente, il faudrait intégrer dans le bilan carbone les externalités des produits phyto. Or, il n’existe pas de document avec les valeurs Carbone des différents phytos. C’est le même chiffre (une moyenne nationale) qui est utilisé pour tous les phytos, peu importe leur origine ou leur mode de fabrication. De même pour les fertilisants, qui ont un très gros impact sur le bilan Carbone notamment les engrais de synthèse. »
« On le voit, la question est compliquée, et les résultats dépendent de très nombreux paramètres. En Bio, les rares études réalisées tendent à prouver que le bilan carbone est plutôt bon » concluent les Vignerons Bio de Nouvelle-Aquitaine, qui « plaident pour une approche globale dans le dérèglement climatique majeur que nous traversons. Nous ne pouvons pas "saucissonner" les problèmes, ni leurs solutions. Les émissions de CO2 ne sont qu’un aspect du problème, auquel il faut ajouter l’effondrement de la biodiversité, l’utilisation de produits chimiques de synthèse, la pollution de l’eau, etc. Face aux problèmes environnementaux auxquels nous faisons face, un changement de logiciel serait plus que bienvenu, pour permettre à cette approche globale d’émerger. »
« Les externalités positives de la viticulture bio sont indéniables pour l’environnement, la biodiversité, le producteur, le citoyen, le consommateur » résume SudVinBio, qui rapporte « d’une manière générale, le secteur bio sollicite la recherche pour des solutions alternatives, et les pouvoirs publics pour que les investissements financiers soient fléchés et pour que les recherches en agriculture biologique soient mobilisées à hauteur des enjeux. »
SO2 : les vins sont quand même faits avec des sulfites.
« Les sulfites ont une fonction antioxydante et antimicrobienne permettant de garantir une qualité sanitaire et gustative des vins. Rappelons que le sulfitage sur certains vins, est encore nécessaire pour avoir un produit marchand sans défaut. Mais les vignerons bio travaillent à en utiliser de moins en moins ! » pose SudVinBio, qui souligne que « le règlement bio impose des doses de sulfites inférieures à celles des vins non bio et de plus en plus de viticulteurs bio choisissent la vinification sans sulfite ajouté ou en réduisent fortement les doses, bien en dessous des doses autorisées en bio. Un constat encore plus fort en biodynamie, où les doses de sulfites utilisées sont encore plus réduites. Globalement, il convient de noter que l’Agriculture Biologique n’est pas une agriculture totalement sans intrant. Cela ne permettrait pas une culture viable et productive de la vigne. Mais les produits utilisés sont tous d’origine naturelle, et sont utilisés en dernier recours. La liste des produits homologués dans le règlement européen est ainsi très limitée, sans aucune mesure avec les produits utilisables en viticulture non bio (57 substances actives naturelles sont autorisées en bio contre 455 dans le règlement viticole européen, principalement d’origine chimique). »