Pour moi, c’est un outil d’avenir », se réjouit Matthieu Rey. œnologue consultant pour le laboratoire œnologie Gauthier, à Sauveterre-de-Guyenne, il est convaincu par le potentiel de Lachancea thermotolerans. L’an dernier, trois de ses clients du Bordelais ont employé Excellence X-Fresh, de Lamothe-Abiet, sur des lots de merlot. « Je n’ai pas utilisé un seul kilo d’acide tartrique, alors que j’ai pu acidifier toutes les cuves de ces chais. Cette souche a de grosses capacités de production d’acidification, nous l’avons poussée à plus de 20 g d’acide lactique par litre. »
Sur une thermovinification liquide, il a isolé en tout début de vendanges une cuve de 200 hl, à laquelle il a inoculé Excellence X-Fresh. « Travailler de cette façon évite les mauvaises surprises. Je laisse Lachancea produire de l’acide lactique pendant quatre à cinq jours, puis j’ensemence en Saccharomyces pour finir les sucres. On s’est retrouvé avec un vin très acide, à quasiment 3,10 de pH, qui nous a permis de corriger l’acidité des autres cuves au fur et à mesure des rentrées de vendange, pour descendre le pH et obtenir des SO2 actifs plus importants. » Bien entendu, l’œnologue n’a travaillé ces assemblages que sur la même appellation Bordeaux.
Matthieu Rey conseille également de réaliser un suivi de la teneur en azote assimilable des moûts ensemencés. « Excellence X-Fresh est très gourmande en azote. Des moûts qui n’étaient pas carencés se sont vite retrouvés à 80 mg/l d’azote assimilable. Avant d’ensemencer en Saccharomyces, j’effectue un bilan nutritif complet pour savoir où j’en suis. Puis je réhydrate systématiquement mes levures avec des levures inactivées riches en stérols, de type Oenosteam, à 20 g/hl, afin de les rendre le plus résistantes possible et ne pas prendre de risque. Je n’ai eu aucun arrêt de fermentation. »
Autre avantage à travailler ainsi, selon lui : « Réaliser des assemblages permet de gérer parfaitement les apports en acide lactique et de ne pas avoir de blocage des malos. »
Marie-Laurence Porte, œnologue chez Oenosens, utilise depuis quatre ans plusieurs souches de Lachancea thermotolerans. « J’ai testé Laktia, d’IOC, Zymaflore Omega, de Laffort, et Excellence X-Fresh, de Lamothe-Abiet. Pour moi, X-Fresh et Omega ont le même comportement, soutient-elle. Elles sont plus adaptées aux blancs et aux rosés car j’inocule en sortie de stabulation à froid, et elles supportent les températures “basses” de 18-20 °C, là où Laktia a plus de mal à s’implanter. Cette dernière s’arrête dès lors qu’on atteint un TAV de 6 %, alors qu’Omega et X-Fresh supportent jusqu’à 10-12 % vol. d’alcool ! Après ajout de ces deux souches, il faut inoculer rapidement Saccharomyces. »
Sur les rouges, par précaution, Marie-Laurence Porte effectue d’abord la malo, afin d’éviter tout risque de blocage. « J’inocule le moût directement en Lactobacillus plantarum (ML Prime). Généralement, la malo se fait en 24 heures. Ensuite, j’inocule la Lachancea à 20 g/hl. Et d’illustrer : A titre d’exemple, au Château Prieuré Saint-Anne, à Capian, à 20 kilomètres de Bordeaux, j’ai utilisé Laktia sur toutes les cuves du chai en phase solide. J’ai inoculé 12 h après en Saccharomyces, et obtenu 2,5 g/l d’acide lactique et une baisse de pH de 3,90 à 3,60. On va bientôt le mettre en bouteille et on a un très joli fruit. »
« En revanche, si je veux faire une cuve “médecin” et pousser jusqu’à 18 g/l d’acide lactique, je ne prends que du moût et j’utilise Omega. Je me sers d’une canne chauffante pour augmenter la température du moût à 28-30 °C et je fais un complément azoté à hauteur de 200 mg/l afin de couvrir les apports car cette levure en consomme au moins 130 mg/l. »
Marie-Laurence Porte met cependant en garde : si on a trop de lactique, le profil aromatique peut s’en trouver modifié. « Ça lisse un peu l’aromatique du cépage », prévient-elle.
« Pour les blancs, je procède de la même manière, sauf que je n’implante pas de lactobacille pour faire la malo. »
Un process parfaitement maîtrisé par cette œnologue, qui ne manque pas de mettre en garde pour éviter les déconvenues. « Si des personnes ont eu des mauvaises expériences, c’est qu’elles n’étaient pas accompagnées. Il faut bien connaître les Lachancea thermotolerans et savoir les manipuler. » Elle espère cette année expérimenter la bio-acidification sur les liquoreux. « L’an passé, je n’avais pas assez de volume, mais on est monté par endroits à des pH de 4,60… »
Christophe Rossi, œnologue pour Laffort, préconise l’emploi de Zymaflore Klima, une Saccharomyces cerevisiae malicante. « On a fait des essais à la cave de Rousset, dans les Bouches-du-Rhône, sur une cuve de rosé de 300 hl. On a fini avec un TAV de 14,8 % vol. avec Klima, contre 15,3 % avec la levure témoin, et on a gagné 0,3 g/l d’acide malique. À la dégustation, on a plus d’esters, c’est plus aromatique et surtout, on gagne en fraîcheur ! »
« Ce qui est appréciable, c’est qu’on suit le même protocole de vinification qu’avec une Saccharomyces classique. J’utilise juste le Superstart blanc afin d’augmenter la résistance des levures. » Une technique qui s’avère donc également plus accessible.
« Avec une cinquantaine d’euros, j’ai fait gagner 400 kg d’acide lactique à mon client, se réjouit Matthieu Rey. Sur 5 000 hl, ça fait plus de 1 500 € d’économie en acide tartrique réalisée grâce à la bio-acidification. Ce n’est pas rien. » Marie-Laurence Porte est du même avis. « Les levures coûtent environ 100 €/kg, établit-elle. Sur une même appellation, si on fait une seule cuve avec de grosses concentrations en lactique, ça permet de gérer tout un chai ! Quand on utilise de l’acide tartrique, on en perd par précipitation, sans parler du coût qui a tendance à augmenter et du fait qu’il faudra le mentionner dans la liste des ingrédients. J’ai d’ailleurs plusieurs vignerons qui passent à la bio-acidification à cause de cela. »