’est une découverte fortuite, qui pourrait bien être porteuse d’un progrès important dans la lutte contre les goûts d’écurie ou de gouache, encore dénommés goûts phénolés. Elle a eu lieu dans le cadre de travaux menés depuis près de trente ans par Vincent Gerbaux, ingénieur œnologue à l’IFV de Beaune, en Côte-d’Or.
Dans le but de comprendre l’apparition de ces mauvais goûts dans les vins de Bourgogne, certaines de ses expérimentations consistaient à contaminer des vins avec des Brettanomyces, au laboratoire. « Nous avons d’abord observé qu’après cela, nous obtenions beaucoup de phénols volatils dans certains vins et très peu dans d’autres, même si Brettanomyces s’implantait bien dans tous les cas. Nous avons envisagé qu’il y avait peut-être plus d’acides phénols – les précurseurs des phénols volatils – dans les premiers que dans les seconds, et nous nous sommes demandé pourquoi. Nous avons aussi remarqué que lorsque les fermentations alcooliques se déroulaient très bien jusqu’au terme, les teneurs potentielles en phénols volatils (TPPV) étaient plus faibles que lorsque les fermentations peinaient à s’achever. Nous avons donc fait le lien avec la fermentation alcoolique. En creusant, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un effet souche de Saccharomyces important. Dès qu’une certaine souche était utilisée dans un moût, les goûts phénolés étaient systématiquement absents. »
Cette souche, c’est la Fermivin P21, distribuée par œnobrands. « À l’origine, se souvient Vincent Gerbaux, nous avions sélectionné cette levure pour ses qualités d’extraction des composés phénoliques et organoleptiques. Comme nous l’avions développée, nous nous en servions pour tous nos essais. »
Une fois le constat établi qu’il ne se développe pas de goûts phénolés lors de l’usage de Fermivin P21, Vincent Gerbaux s’est lancé dans un nouveau programme expérimental pour comprendre pourquoi. En 2021, il réalise 15 mini-vinifications de pinot noir et de gamay. À cette occasion, il observe qu’avec la levure Fermivin P21, il se forme des combinaisons stables entre les anthocyanes et les acides phénols, rendant ces derniers indisponibles pour Brett. Dès lors, cette levure d’altération ne produit plus de mauvais goûts.
« On a démontré le phénomène avec cette levure, mais ce n’est pas la seule à disposer de cette propriété, avance l’ingénieur. D’ici trois à quatre ans, cette chose sera clarifiée. On saura quelles sont les levures qui disposent de cette propriété de décarboxylation des acides phénols en vinyl-phénols. »
Vincent Gerbaux est d’autant plus convaincu de son affaire qu’en pratique, les caves qui utilisent Fermivin P21 produisent des vins pratiquement dépourvus d’acides phénols métabolisables par Brettanomyces. « Il n’y a pas d’effet cépage ou terroir, c’est purement microbiologique », indique-t-il. Et de prévenir : « On voit des souches, très diffusées dans les grands crus, qui sont loin d’être la panacée concernant les acides phénols… », assure le chercheur, qui délaissera bientôt les Brett, pour se consacrer pleinement à sa retraite.
Convaincu qu’il y a là une piste intéressante à creuser, Lallemand planche sur le sujet depuis trois ans en collaboration avec l’IFV Beaune, au travers d’un contrat de recherche. « L’idée, désormais, c’est de caractériser toutes nos souches et déterminer lesquelles “immobilisent” les acides phénols, explique Anthony Silvano, chef de produits levures Lallemand, mais cela va prendre du temps. On touche un monde extrêmement complexe, il faut continuer d’étudier les précurseurs des phénols volatils. »
Vincent Gerbaux explique l’absence de goûts phénolés dans les vins fermentés avec Fermivin P21 par le fait que cette souche convertit tous les acides phénols des moûts en vinyl-phénols. Or, alors que Brett peut transformer les premiers en phénols volatils, les seconds se combinent aux anthocyanes pour former des composés – des vinyl-pyranoanthocyanes –, que Brett ne peut pas métaboliser. D’après Vincent Gerbaux, Fermivin P21 est capable de convertir en vinyl-phénols tous les acides phénols habituellement présents dans les moûts. Vincent Renouf, directeur du laboratoire Excell, à Bordeaux, en doute. « Lorsque l’on dose les acides phénols, ce que nous faisons depuis vingt ans au laboratoire, on observe un réel effet cépage, millésime et pratique viticole. Mais nous ne pensons pas que les acides phénols soient limitants dans le cabernet sauvignon, le merlot ou la syrah. Il y en a tellement que je doute qu’une levure puisse tous les convertir en vinyl-phénols. De plus, la bibliographie indique que les interactions entre les vinyl-phénols et les anthocyanes ne sont pas stables dans le temps, et qu’elles dépendant notamment de l’état d’oxydo-réduction du vin. Dans le cas des élevages longs, il y a donc un risque de relargage des vinyl-phénols qui, dès lors, pourraient être transformés en phénols volatils par Brett dans des vins contaminés. »