uand on monte à l’arbre, il faut avoir les fesses propres : c’est un proverbe bien connu en politique, dont on entend actuellement des échos dans le vignoble bordelais. Reformé l’an passé pour répondre à la crise économique des vins rouges de Gironde, le Collectif Viti 33 appelle, dans une récente lettre au ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, à sortir du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) les négociants « réalisant moins des deux tiers de leur chiffre d’affaires consolidé en Bordeaux [pour qu’ils] ne prennent pas part aux décisions concernant ceux qui vivent et travaillent à Bordeaux ». Une attaque sur la représentativité du négoce qui en a fait rire jaune certains, relevant que cette leçon vient d’un collectif pas si représentatif faute de viticulteurs mis en avant. Car son porte-parole, Didier Cousiney (65 ans), vient de signer* la vente de son domaine au groupe de Jean Merlaut (négoce Ginestet, crus classés Gruaud-Larose, Haut Bages Libéral, Ferrière…), et que sa figure montante, Bastien Mercier (35 ans), travaille comme ouvrier agricole dans le domaine appartenant à son père, Daniel Mercier (64 ans).
À ces échos, Didier Cousiney répond par un autre proverbe imagé : « il n’y a pas besoin d’être curé pour dire la messe » s’amuse le maire du Pian-sur-Garonne (sans étiquette). « Je ne suis plus viticulteur, je suis liquidateur de stock et je suis toujours dans le circuit » ajoute-t-il, confirmant pour lui qu’il y a des négociants qui n’ont plus leur place à l’interprofession.


« Le collectif défend aussi les retraités » ajoute Bastien Mercier, maire de Camiran (Les Républicains), qui indique s’être rapproché de la Chambre d’Agriculture pour devenir Jeune Agriculteur depuis 2019 avec la future reprise du château Boutet Mercier : « la crise covid a ralenti le projet, je serai chef d’exploitation en 2024, comme quatrième génération vigneronne. Je sais de quoi je parle avec 60 heures de travail par semaine, avec le tracteur, la comptabilité... » Et les difficultés économiques, le château Boutet Mercier étant un redressement judiciaire. Pour rebondir, Bastien Mercier monte un guinguette cet été pour trouver de nouvelles façons de commercialiser ses vins : « je ne veux pas seulement brailler, je veux aussi montrer que d’autres choses sont possibles ». Bref, face à ces échos sur sa légitimité : « ce n’est pas un argument, et je fais de la politique depuis assez longtemps pour le savoir » réplique Bastien Mercier, effectivement candidats malheureux à de récentes élections (départementales et régionales en 2021, puis législatives en 2022).
Pour sa part, Didier Cousiney « rassure tout le monde je ne suis pas intéressé par un poste ! » mais martèle sa demande de prise de conscience de l’ampleur de la crise bordelaise auprès des instances professionnelles. Alors que le collectif militait pour une aide à l’arrachage immédiat de 15 000 ha en Gironde, le dispositif d’arrachage sanitaire récemment négocié par l’interprofession avec le gouvernement vise le retrait de 9 500 ha sur les hivers 2023-2024 et 2024-2025. Mais les tendances commerciales ne sont pas rassurantes en l'état, et des besoin de nouvelles réductions du potentiel de production de vins rouges sont déjà calculés. D’après une récente projection du service économique du CIVB consultée par Vitisphere, les mises en marchés de l’AOC Bordeaux rouge continueraient de se replier sur la décennie en France, sans trouver de développements majeurs à l’export. Ce qui représenterait une baisse supplémentaire de 426 000 hectolitres entre 2022 et 2030, avec les ventes de l’AOC tombant globalement à 1,22 million hl. Pouvant nécessiter un arrachage faute de marchés d’avenir, l’excédent peut être estimé de 7 600 ha (sur la base d’un rendement moyen de 50 hl/ha).


L’objectif affirmé par le collectif est de « faire en sorte que gens qui quittent la profession partent dignement et que ceux qui restent puissent poursuivre correctement » indique Didier Cousiney, pour qui « la distillation c’est reculer pour mieux sauter : quand je le dis, tout le monde est d’accord. Alors pourquoi on n’y met pas un terme ? » Et le jeune retraité de conclure : « on n’est pas là pour prendre une place, mais pour dire ce qui ne va pas. Depuis un an on apporte quelque chose : qui a fait manifester 1 200 viticulteurs en décembre ? Qui rassemble 300 à 350 vignerons à chaque réunion ? La base est en train de se mobiliser autour de nous. » Une mobilisation qui peut s'accompagner d'un conseil proverbial : si vous avez du beurre sur la tête, surtout n’allez pas au soleil.
* : La signature portant sur une promesse unilatérale d’achat et non l’acte définitif, le groupe Jean Merlaut indique à Vitisphere ne pas commenter.