ous avez apprécié le récent reportage du journaliste Hugo Clément taclant la lutte vigneronne contre les aléas climatiques et le dernier dossier de Que Choisir montant en épingle des citations sur les fraudes de la filière vin ? Vous allez adorer le documentaire "Labels, des verts et des pas mûrs" réalisé par Baya Bellanger et Floriane Chaume ! Diffusée ce mardi 27 septembre sur France 5, l’émission pose directement le cadre en suivant l’œnologue Nicolas Jamin (Vigne Vivante), qui conseille le château Ferrière, grand cru classé en 1855 de Margaux, dans l’obtention du label Demeter en biodynamie : « un label bio très strict et aux exigences surprenantes » indique la voix off, commentant le rigoureux respect du calendrier lunaire « pour charger la bouse de forces vitalisantes ». Si les fondements des rituels anthroposophiques ne sont pas précisées (pas plus que l’origine des cornes de vache et coquilles d’œuf, sans aucun doute « bio très strict »), le documentaire loue « un cahier des charges hors norme, pour pouvoir prétendre au graal des labels écologiques ».
Fixant ainsi le sommet de la pyramide des certifications environnementales, le reportage met clairement au-dessus du lot l’agriculture biologique, en disqualifiant deux autres démarches agricoles ayant recours à des produits phytosanitaires de synthèse : la démarche gouvernementale Haute Valeur Environnementale (HVE) et la marque privée Zéro Résidu de Pesticides (ZRP). Si la voix off pose bien que ces labels remplissent « le vide » existant entre le bio et le conventionnel, il semble que le documentaire ne considère pas les traitements bio de contact comme étant des pesticides. Ces derniers se limitant pour les journalistes aux matièress actives chimiques/systémiques, les produits phytos utilisables en agriculture conventionnelle*. Sur la HVE, la voix off s’étonne ainsi d’un domaine viticole où l’on peut « protéger la biodiversité et autoriser les pesticides : cela paraît pour le moins incohérent ». Et de pointer également « la liberté chimique » du label ZRP face à l’usage raisonné de phytos de synthèse sur des fraisiers.
Dans le documentaire, le label HVE écope des plus fortes critiques, ne serait-ce que parce que dans sa notation « une haie, un bosquet, même un petit muret rapportent des points ». Suivant la certification du domaine du Meix Foulot (Mercurey), le documentaire résume péremptoirement que « grâce notamment à son muret et à sa petite forêt, [la vigneronne] Agnès [Dewé de Launay] obtiendra la certification Haute Valeur Environnementale ». Sont donc placés hors caméra les efforts de réduction des traitements phytos et de meilleure gestion de la fertilisation… Est également sorti du cadre le virage agroécologique du vignoble, notamment bordelais (accéléré par la pression des émissions Cash Investigation, diffusées avec fracas en 2016 et 2018 sur France 2), qui ne reposerait plus sur la volonté de mieux-faire des vignerons ou sur les demandes croissantes du marché (notamment en grande distribution, qui en fait une clé d’entrée dans ses rayons). Cette frénésie serait du conversion serait le fruit d'un pur calcul, pour bénéficier d'aides européennes au détriment des exploitants bio. C’est du moins l’explication que donne le documentaire** au bond des certifications HVE en 2019 et 2020, notamment dans le vignoble (représentant 4 exploitations certifiées HVE sur 5). Pourtant, les domaines viticoles ne touchent globalement pas d’aides directes de la Politique Agricole Commune (PAC), la filière vin ayant opté pour des aides structurelles (investissements, promotion, restructuration…), via son Organisation Commune de Marché (OCM vin).
Faisant également écho à des tensions entre bio et HVE sur les niveaux d’aides accessibles par les nouveaux écorégimes, le documentaire n’a pas été mis à jour depuis son tournage (les déclarations sur le sujet du vigneron Dominique Techer ayant été visiblement filmées cet hiver). Depuis cet été et les critiques de la Commission Européenne, ce sujet est réglé par la proposition française d’un différentiel de montants de l'écorégime au profit de la bio (à 110 €/ha, soit 30 €/ha de plus qu'en HVE). Une vision qui ne fait pas débat dans le vignoble, où la HVE est parfois vue comme une marche transitoire et complémentaire avant d'aller vers la bio. Autre point d’actualité qui n’est pas évoqué dans le reportage, la réforme en cours de la certification HVE (avec la suppression de la voie B "comptable" et le renforcement de la voie A "agroécologique").


Reviennent par contre les accusations d’« imposture » du label gouvernemental par Valérie Murat, présentée par le documentaire comme une « militante antipesticide » qui aurait été condamnée à 125 000 € d’amende pour « avoir publié les résultats et le nom des châteaux » de « 22 viticulteurs certifiés HVE ». Factuellement, le jugement de février 2021 épingle quant à lui la teneur du dossier de presse de Valérie Murat : « ces écrits ont été largement diffusés et accompagnés de slogans peu mesurés. Ils constituent sans équivoque un dénigrement fautif », faute d’avoir « décrypté et analysé les chiffres qu'ils ont indiqués, malgré les commentaires du rapport d'analyse diligenté », alors qu’« il est manifeste que Madame Murat, rédactrice du rapport, a fait le choix d'une communication volontairement anxiogène, sans aucune explication sur le mode de dangerosité d'une substance, ni sur les taux constatés. »
Une partie de ce jugement pourrait être réutilisée en réponse aux analyses réalisées pour le documentaire sur des bouteilles de vin prises au hasard en grande surface (sauf une, reconnaissable malgré le floutage, d’un ancien président du vignoble bordelais***). Le documentaire évoque ainsi des « limites autorisées » pour les phytos retrouvés dans ces bouteilles, alors qu’il n’existe pas de Limites Maximales des Résidus (LMR) pour les vins (les laboratoires d'analyses estiment que le facteur de transfert doit être égal à un par rapport aux LMR des raisins de cuve).
Le nœud du problème pour Valérie Murat reste le nom « Haute Valeur Environnementale. Qu’est-ce que ça évoque dans l’esprit des gens ? Il n’y a rien au-dessus. C’est mieux que le bio, c’est mieux que le vin nature. » Cette dernière mention n’est cependant pas un label, elle est même interdite faute d’être définie réglementairement (la mention Vin Méthode Nature est autorisée sous conditions par la Répression des Fraudes). Après avoir évoqué les enjeux des labels de pêche durable et de certification bio des saulniers, le documentaire s’achève justement sur la valorisation d’une approche affranchie des labels au profit d’une promesse de local (l'Agriculture Poétique). Si Juvénal se demandait « qui surveille les surveillants ? », on peut se demander qui peut contrôler l'incontrôlé.
* : Une ambiguïté qui persiste auprès du grand public, entretenue avec des communications sur des produits "bio sans pesticides". De quoi alimenter les amalgames entre agriculteurs et riverains dans les parcelles où les pulvérisateurs sont toujours vus comme épandeurs de produits nocifs, quand ils traitent aussi avec des produits bio (également utilisés en agriculture conventionnelle, s’il est besoin de le préciser).
** : Le documentaire indique avoir sollicité sans résultat le cabinet du ministre de l’Agriculture d’alors, Julien Denormandie, pour obtenir un entretien « pendant plusieurs semaines, nos demandes n’ont jamais abouti. Le dossier est sensible. » Mais l’expérience de l’auteur de ces lignes est que la majorité des demandes au cabinet d’un ministre restent lettres mortes et appels en vain. Dossier sensible ou pas.
*** : Réalisé sur le site du vigneron, l’achat de cette bouteille est d’ailleurs mis en scène avec l’intervention téléphonique du « puissant lobby » ayant poursuivi Valérie Murat.