etour vers le futur pour les vins rouges de Bordeaux. Après un millésime 2021 marqué par des équilibres et maturités rappelant le siècle dernier, la vendange 2022 porte la marque d’une succession de vagues de chaleur démontrant la réalité du changement climatique. « Il est intéressant de voir que les deux peuvent se côtoyer : une fenêtre sur le passé et un aperçu de l’avenir » résume David Pernet, le directeur du service conseil du cabinet Sovivins (basé à Martillac). Dans sa synthèse de référence sur le millésime (disponible sur demande), le consultant note que la campagne viticole est devenue solaire dès mai (avec une « floraison précoce, premières fleurs le 16 mai, rapide et de qualité »), avec une succession de vagues de chaleur (mi-juin, début juillet et début août) dont les effets ont été en partie atténuées par des pluies salvatrices (fin juin, avec hélas de la grêle, et mi-août).
La précocité des fortes chaleurs et de la contrainte hydrique (dès la mi-juin) aura permis de préparer les baies aux coups de chaud qui ont suivi, avec un épaississement des pellicules atténuant les échaudages et flétrissements qui étaient attendus en juillet et août analyse David Pernet. Ces baies de petites tailles dopent la charge phénolique des raisins, avec des rapports tanins/anthoncyanes particulièrement élevés : « il y a plus de charge tanique que de couleur (mais l’extractibilité est forte du fait du parcours hydrique) » ajoute le consultant, soulignant la qualité des tanins des raisins 2022 : avec une très belle maturité dans les pépins, « croquants avec des goûts de noisette torréfiés ».
Un paramètre majeur fait cependant défaut à ce millésime : le rendement. Il s’annonce réduit au vignoble, avec de petites baies, et dans les chais, avec peu jus à l’écoulage. Mais ces faibles rendements vont servir la qualité des vins indique David Pernet, notant que tout le reste des paramètres est à l’équilibre : « il y a énormément de charge tanique, ce qui va équilibrer la faible acidité », du moins pour ceux ne laissant pas leur vendange partir en surmaturité (« il ne faut pas passer à côté de la fraîcheur, qui est fragile cette année »). Le consultant n’est pas inquiet par la faiblesse des acidités totales : « il y a peu d’acide malique, il y aura peu d’évolution de l’acidité pendant les vinifications. Comme la charge tannique est importante, c’est une bonne chose que les pH ne soient pas trop bas : cela aurait renforcé un côté austère. Là, il y aura de l’équilibre. » De quoi hâter la récolte, en cours de finalisation pour le merlot et sur le point de commencer pour les cabernets (la vendange de raisins rouges devrait s’achever avant octobre).
Au jeu des comparaisons de millésimes, 2022 peut aussi bien tenir des solaires 2003 que 2005. « Ils sont très différents, mais il y a des éléments communs. Aujourd’hui, la façon dont se goûtent les raisins est plus proche de 2005. Mais cela dépend des terroirs et des choix culturaux » note David Pernet, qui pointe l’importance de la gestion de la matière organique dans les sols, de la maîtrise du couvert végétal, de l’âge des vignes, du choix du porte-greffe…
Extrême dans ses températures (y compris en cette période de vendange, très chaude de jour comme de nuit), ce millésime reste rassurant pour l’expert : « on est sur un millésime qui est aussi contraignant que 2003 (voire plus, comme la contrainte est plus précoce), avec un impact important sur le rendement, mais qui montre d’un point de vue qualitatif la résilience du vignoble sur la plupart des parcelles. Qui ont un meilleur aspect début septembre que début août. Cette résilience est encourageante pour l’avenir avec la palette de solutions techniques actuelles et les cépages existants. »
Alors que le merlot est souvent ciblé par des critiques le jugeant inapte à tenir face au changement climatique, David Pernet note que ce cépage « a souvent montré moins de signes de fatigue que le cabernet. Il ne faut pas de raccourcis sur son avenir à Bordeaux. »