Jean Natoli : J’ose espérer que c’est quelque chose d’acté ! En prenant du recul, les Å“nologues ont participé à l’émergence de cette démarche qualitative, qui est liée à la mort du chimiste. Quant j’ai débuté dans les années 1980, beaucoup d’Å“nologues étaient des pharmaciens qui faisaient des analyses de vins finis dans leur arrière-boutique pour les producteurs du village. On peut rendre hommage à Marc Dubernet qui a été le premier à vouloir moderniser les analyses de vin en les automatisant à flux continu. Il a suivi et accompagné l’adoption et la diffusion des évolutions technologiques avec l’ancêtre des IRTF (que l’on appelle FOSS aujourd’hui), les analyseurs séquentiels, la cytométrie… L’investissement dans ces innovations a permis de détacher l’Å“nologue des analyses. Ce temps libéré lui a permis d’aller d’abord dans les caves, puis progressivement dans les vignes et enfin de se tourner vers la demande des marchés pour moins reproduire ce que l’on a toujours fait.
Quand j’ai créé ma structure, j’ai développé mes visites des vignes et le conseil agronomique. Je les ai structurées, puis je les ai facturées. J’ai essayé de répondre aux besoins supplémentaires des clients, demandeurs de gestes vertueux à la vigne et à la cave. À l’analyse et au conseil Å“nologiques, j’ai ajouté des prestations agronomiques, de la veille réglementaire et normative, etc. J’ai tendance à dire que l’on est un laboratoire qui privilégie le conseil. Notre originalité est de passer beaucoup de temps avec nos clients. Dans nos laboratoires, nous avons aménagé des salles de dégustation plus confortables pour discuter et déguster avec les vignerons, dans le but de personnaliser fortement le conseil, d’adapter les vins à leurs marchés particuliers. En résumé, je ne pense pas avoir révolutionné l’Å“nologie, mais j’ai pris ma part de la mutation des vins méditerranéens.
Lors de votre carrière, vous avez aussi pu suivre les effets concrets du changement climatique : réduction des acidités, augmentation des degrés…
Quand j’étais jeune Å“nologue, le mois de septembre était relativement tranquille. Aujourd’hui, on entame les vendanges début-août. La notion de réchauffement climatique n’est pas un vain mot. J’ai toujours considéré que le raisin est un fruit que l’on ramasse mûr pour améliorer la qualité des vins avec des arômes plus intéressants, des tanins plus doux… Mais la maturité poussée n’est pas une fin en soi. Il fallait la rechercher dans les années 1980 à 2000, mais si l’on attend trop maintenant, on ne respecte plus les équilibres. Depuis les années 2010, on observe un vrai dérèglement climatique : tous les scénarios se sont succédés (gel, canicule, précipitations importantes avec forte pression mildiou…). Rien ne remplace en amont la réflexion sur le type de vin que l’on recherche.
Tout ça repose souvent sur une inculture technique et scientifique. Sur les raisins sains, il y a peu ou pas de levures indigènes. Et les microorganismes présents ne sont pas forcément les plus adaptés à une fermentation alcoolique complète. C’est un peu une loterie. Les levures sèches actives ont été un progrès considérable. Pour ma part, je préfère limiter, voire ne plus utiliser, de SO2 en vinification, mais levurer pour sécuriser les fermentations. Après tout, on ne fait du vin qu’une fois par an, il n’y a pas de plan B.
Dans les tendances, il y a aussi eu la starisation des Å“nologues. Michel Rolland est le plus connu de tous les Å“nologues, grâce à sa relation directe avec le critique américain Robert Parker, qui est venu avec un système de notation originale. Cette starisation a aussi été un piège, cristallisé dans le documentaire Mondovino de Jonathan Nossiter (sorti en 2004). Beaucoup de clients se sont mis à craindre une influence trop grande des Å“nologues… C’étaient les prémices des vins qui ne veulent plus être totalement maîtrisés techniquement. Des vins nature qui peuvent friser le défaut, voire présenter une déviation majeure. Ce sont des choses qui touchent peu de volumes, mais qui me troublent, et plus encore leur soutien médiatique, très politiquement correct. Notre laboratoire a pris très tôt le virage de la naturalité, avec la démarche bio, qui est devenu une certification parmi d’autres, mais qui reste pourtant une avancée majeure et pas si facile, n’en déplaise à certains.
Vous avez fondé un laboratoire d’analyses Å“nologiques, mais aussi de conseil agronomique. Pour résumer, il n’y pas de bons vins sans raisins sains ?
Sans beaux raisins en particulier. Je suis originaire du pied du mont Ventoux. Mon père était viticulteur, arboriculteur et maraîcher : la recherche de qualité d'un beau raisin de table n'a rien à voir avec celle d'un raisin de cuve.
Avec la notion de réchauffement climatique, il faut voir comment faire pour produire de bons vins sans déplacer les vignes vers le nord. Comment maintenir une belle acidité dans les raisins avec les maturations aromatiques et phénoliques complètes, sans atteindre 15 à 16 degrés d’alcool. On en est aux balbutiements. On va affiner avec les modes de conduite, l’alimentation minérale…
Quels sont vos projets d’avenir ?
À titre personnel, j’espère pouvoir lever un peu le pied et réduire ma charge mentale journalière. Je souhaite être plus présent aux côtés de mon fils dans notre domaine, Mas des Quernes (18 hectares en Terrasses du Larzac). Je prends une retraite active à partir du premier juillet. Je vais garder le suivi de quelques clients pour le laboratoire, mais je laisse les rênes à mes associés en cédant mes parts. J’espère avoir une santé suffisamment solide en vieillissant pour garder une activité longtemps encore. Il y a peu de risque de faire la vendange de trop, il y a toujours besoin d’avis et de recul.