vis de tempête dans le monde de la recherche viticole. Développés par l’Institut National de la Recherche pour l’Agriculture et l’Environnement (INRAE), les quatre premières variétés de vignes françaises résistantes aux maladies cryptogamiques sont inscrites au taxon botanique des Vitis vinifera L. par l’Office Communautaire des Variétés Végétales (OCVV, voir encadré). Désormais officiellement affiliés aux cépages européens traditionnels, les nouveaux cépages Artaban, Floreal, Vidoc et Voltis pourraient rentrer dans les vignobles d’appellation, dont l’accès leur était jusqu’à présent inenvisageable. Pour pouvoir produire un vin d’appellation, la réglementation communautaire ne reconnaît en effet que les cépages de l’espèce européenne Vitis vinifera L., alors que ces cépages résistants au mildiou et à l’oïdium sont issus de croisements entre Vitis vinifera L. et d’autres espèces de Vitis (américaines et/ou asiatiques, qui portent les gènes de résistance).
« Nous n’avons pas tordu le bras de l’OCVV, nous avons déposé un dossier étayé se basant sur des faits. Ce signal est fort, une autre décision aurait été un coup d’arrêt » indique Christian Huyghe, le directeur scientifique à l’agriculture de l’INRAE. « Le fait que l’office communautaire ait reconnu ça change la donne, ce n’est pas un comité Théodule dans son coin, c’est la coordination de l’ensemble des dénominations de toutes les espèces végétales en Europe » souligne le chercheur, qui appelle à « regarder les variétés pour ce qu’elles apportent au système viticole français, une grande résistance au mildiou et à l’oïdium », avec une réduction de 95 % des pulvérisations de fongicides en conditions de de production (d’après les résultats du réseau Oscar).


« Jusqu’à présent, dans le réseau des experts de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin (OIV), dès qu’il y avait un croisement on considérait qu’il ne s’agissait plus de Vitis vinifera. L’acceptation par l’OCVV est une porte ouverte » confirme Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, le directeur général de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), qui est un partenaire de l’INRAE pour le déploiement des variétés à Résistance Durable (Resdur). Les quatre nouveaux cépages sont « a priori éligibles pour la production AOP. Nous attendons un retour du ministère de l’Agriculture » indique Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, ajoutant que la décision de l’OCVV « est une forme de reconnaissance sur l’aptitude à produire des vins de qualité. [Artaban, Floreal, Vidoc et Voltis] sont génétiquement très proches de Vitis vinifera, ils peuvent être considérés comme tels ».
Si l’entrée accélérée dans le vignoble AOC de ces nouveaux cépages répond pour certain une impérieuse nécessité environnementale, notamment à proximité des riverains, elle tient pour d’autre d’une hâte trop court-termiste. Professeur honoraire d’ampélographie à la retraite, Jean-Michel Boursiquot ne décolère pas face à la décision de l’OCVV et aux analyses de l’INRAE. À commencer par les arguments sur la proximité entre les nouvelles variétés résistantes et les cépages traditionnels. « On peut voir à l’œil nu sur tous les Resdur que ce sont des croisements interspécifiques. Un ampélographe relativement formé peut le voir à la couleur du limbe, aux textures, à la bullure, à la forme des dents, à la vigueur… On ne peut pas dire qu’il y ait un proximité si grande » critique Jean-Michel Boursiquot.
« Si l’on n’avait pas donné les ascendants, Jean-Michel Boursiquot n’aurait pas pu dire de quel cépage il s’agissait. Il se serait retrouvé comme s’il était face à une nouvelle obtention de Vitis vinifera (type marselan) » rétorque Didier Merdinoglu, à la tête de l’équipe de recherche Génétique et Amélioration de la Vigne de l’INRAE de Colmar, qui maintient que « du point de vue agro-œnologique », les Resdur « se rapprochent des cépages traditionnels ».
« A ce que je sache, ces croisements interspécifiques n’ont pas encore fait leurs preuves qualitatives pour leur aptitude à produire de l’AOC. Peut-être le feront-ils un jour, je leur souhaite, mais pour l’instant il n’y a pas d’élément » réplique Jean-Michel Boursiquot. « Il faut distinguer l’aspect agronomique des performance agro-œnologiques. Ces obtentions ont fait leurs preuves » répond Didier Merdinoglu, s’appuyant sur les résultats de trois années de tests sur la Valeur Agronomique et Technologique (VATE).
« Nous avons fait des dégustations comparatives : c’est erroné de dire qu’il n’y a pas les mêmes caractéristiques. Je réfute. Là où l’on est d’accord, c’est que sur le plan de l’exploitation, tous les itinéraires agro-œnologiques sont à concevoir. On n’a pas les siècles de maîtrise du pinot noir » précise le chercheur de l’INRAE Colmar. « Dans les dégustations de ces nouveaux cépages, on trouve les caractéristiques de Vitis vinifera et pas d’hybrides (comme les notes foxées d’aminoacétophénone). Pourquoi limiter leur utilisation aux vins de table et IGP et pas les faire rentrer en AOP ? » plaide le docteur Eugenio Sartori, le directeur des pépinières italiennes VCR.


Avec l’intégration des Resdur parmi l’espère Vitis vinifera, « l’objectif est d’éviter la confusion avec les hybrides producteurs directs. Nous avons des produits qui ont subi six rétrocroisements [avec Vitis vinifera] après le premier croisement [avec des non-Vitis vinifera]. Il reste moins de deux pourcents de fragments non-Vitis vinifera, comme les gènes de résistance majeurs à l’oïdium et au mildiou » explique Christian Huyghe. Le chercheur ajoute que la décision de l’OCVV répond à un besoin de cohérence taxonomique, citant le cas d’hybrides de blé tendre qui sont pleinement considérés comme Titricum.
« Je ne suis pas d’accord. À ce que je sache, la vigne n’est ni de la laitue, ni du blé dur. Les enjeux de patrimoine et de qualité ne sont pas les mêmes, ça ne peut pas se comparer » répique Jean-Michel Boursiquot. Pour l’ampélographe, il n’y a d’ailleurs pas de connotation négative au terme hybride : « toutes les plantes en sont ». Défendant une vision qualitative et non quantitative de l’obtention variétale, le professeur honoraire estime que la quantification de gènes sauvages n’a pas de sens. « Nous manquons de connaissances sur ce qui est propre à chaque Vitis, ni sur les séquences ADN codantes. Il suffit d’un mauvais gène... Le vin c’est qualitatif, ce n’est pas quantité d’alcool et de tanins » plaide Jean-Michel Boursiquot.
Défendant un pourcentage de plus de 98,5 % de gènes issus de Vitis vinifera dans les Resdur, Didier Merdinoglu indique s’appuyer sur la technique du « chromosome painting », qui cartographie visuellement les régions ADN appartenant à Vitis vinifera et Vitis rotundifolia. Ce pourcentage de gènes Vitis vinifera pourrait devenir un outil de discrimination pour certains. « Il faut une position unique en Europe, avec des critères de base pour inscrire un hybride comme Vitis vinifera » indique le docteur Eugenio Sartori. Le pépiniériste transalpin rapporte qu’« en Italie certains disent si un gène n’est pas issu de Vitis vinifera, le cépage ne peut pas être considéré comme Vitis vinifera. C’est une politique extrême, faudra-t-il déclasser le merlot ou le chardonnay si l’on y trouve des gènes d’autres Vitis ? En Allemagne, il suffit d’une caractéristique commune pour classer Vitis vinifera… »
« Comment considérer qu’à partir de 97 ou 98,5 % c’est Vitis vinifera ? Qui le déciderait et sur quelles bases ? » soupire Jean-Michel Boursiquot, qui maintient que « ce n’est pas le pourcentage d’ADN total qui importe, c’est l’ADN codant. La vigne ne répond pas à des enjeux quantitatifs. Ces variétés sont des croisements interspécifiques, point barre. Je ne suis pas contre la création variétale, au contraire, mais contre leur assimilation à Vitis vinifera. C’est tromper le consommateur, qui a droit à la vérité. »


Indiquant ne pas comprendre cet argument de tromperie du consommateur, Didier Merdinoglu martèle que « dans l’ascendance des Resdur il y a des Vitis sauvages. On ne l’a jamais caché. Mais les appeler hybrides interspécifiques, c’est créer une confusion avec les hybrides du XIXème siècle. » Rappelant que des programmes d’obtentions variétales spécifiques aux bassins viticoles sont actuellement pilotés par les interprofessions (Alasace, Bordeaux, Bourgogne, Champagne, Cognac, Languedoc, Val de Loire…), le chercheur de l’INRAE Colmar « souhaite que les variétés résistantes, sous condition qu’elles répondent aux conditions agro-œnologiques AOP, soient considérées comme des cépages identiques aux autres. Ce sera aux AOP de fixer leurs propres règles. »
Mais encore faut-il que la décision de l’OCVV ait réellement une portée réglementaire. Traitant de droit privé, l’office européen gère des questions de propriété industrielle. Et dans le classement et le catalogue français des variétés de vigne, les variétés résistantes sont accompagnées d’une précision sur leur origine de « variété issue d’un croisement entre l’espèce Vitis vinifera et une autre espèce du genre Vitis ». Un fin connaisseur de la réglementation national souligne que le « catalogue français ne précisant pas l’espèce, la décision de l’OCVV n’a pas d’intérêt ou impact. C’est une donnée sans valeur. »
Avec l’approche imminente de la fin des négociations sur la prochaine Politique Agricole Commune (PAC), la situation pourrait encore changer. La Commission Européenne précise en effet à Vitisphere que « pour donner aux vignerons des outils supplémentaires afin de faire face aux enjeux environnementaux et au changement climatique, la Commission européenne a proposé en 2018 de changer la législation pour permettre l’utilisation d’hybrides de Vitis Vinifera dans la production de vins AOP. Afin de pouvoir bénéficier de la résistance et du pouvoir d’adaptation améliorés de tels cépages et aussi pour stimuler la recherche dans ce contexte. Cette proposition est encore en discussion avec le Parlement européen et les États Membres. »
Face à la complexité des débats scientifiques, juridiques et politiques, le vignoble se montre résolument pragmatique. « La pépinière française prend note de ces avancées. Je ne suis pas expert pour juger de cette décision [de l’OCVV] et pour la qualifier » indique David Amblevert, le président de la Fédération Française de la Pépinière Viticole. « Si cette décision peut permettre d’accélérer l’implantation des cépages résistants et d’atteindre l’objectif partagé de réduire les intrants phytosanitaires, je m’en satisfais pour la filière et les riverains. Hormis les traitements insecticides obligatoire, il n’y aurait plus que deux traitements par an » souligne le pépiniériste bordelais, notant une attente sociétale forte pour la réduction des traitements phytosanitaires et une demande croissante des vignerons (avec 2,5 millions de Resdur greffés en 2020 et une vingtaine d’hectares de vignes mères à greffon implantés en France en 2021).


Malgré l’appel à une réduction des traitements viticoles, l’intérêt commercial peine à décoller pour ces variétés. « Les gens sont réticents. C’est une question de temps, de génération. Dans 5 à 10 ans cela va prendre. Mais est-ce que ce sera Resdur ? » indique Gabriel Ruetsch, le responsable du service agronomie des Vignobles Foncalieu. Le groupe coopératif languedocien regroupe actuellement 5 ha d’Artaban, 14 ha de Floreal et 14 ha de Vidoc (pour un total de 72 ha de cépages résistants, dont 27 ha de Souvignier gris), avec un parti-pris de vinification à faible degré alcoolique (des essais de maturité plus avancées et vinifications en rosé sont évoqués pour le millésime 2021).
« Qu’il soient considérés Vitis vinifera, je ne sais pas si cela peut changer les ventes. Je n’en suis pas sûr » confie Gabriel Ruetsch, estimant qu’un nom commercial plus proche des cépages connus serait plus vendeur. En la matière, l'OCVV estime qu'il n'est pas interdit de donner un nom de cépage international à une obtention résistante en descendant. Un sujet qui fait également débat dans la recherche viticole, semant la discorde.
Répondant favorablement ce printemps 2021 à une demande déposée en 2017 par l’INRAE, l’OCVV a pris le temps d’étudier les arguments présentés par l’institut français (jusqu’en avril 2021). « Lors de la procédure, l’OCVV a accepté le taxon botanique indiqué par le demandeur (initialement présentée comme Vitis L, puis plus précisément comme Vitis vinifera L.) et l’obtention communautaire accordée fait bien référence au taxon botanique Vitis vinifera L. » précise l’office communautaire. Qui ajoute que si « le protocole technique ne fournit pas d'informations permettant d'identifier le taxon botanique », le dossier de reconnaissance DHS (Distincte, Homogène et Stable) indique bien qu’il s’agit de Vitis vinifera.
À noter que les décisions de l’OCVV peuvent être modifiées, ou pas. « En règle générale, le respect des connaissances scientifiques fait partie des valeurs de l'OCVV. Toutefois, si des changements taxonomiques sont convenus au niveau international, nous n'alignons pas nécessairement tous les dossiers préalablement enregistrés mais nous tenons compte de ces changements pour les travaux en cours et futurs » indique l’institution angevine, ajoutant cependan que « l'article 53 de notre règlement de base précise que les erreurs manifestes dans les décisions de l'office doivent être corrigées ».